Alors que se tient jeudi à Paris le procès de l’ex-compagne de Maxime Gaget, ancien homme battu et auteur du livre témoignage Ma compagne. Mon bourreau, l’avocate Samira Meziani décrypte l’ambiguïté de la justice dans les cas de violences conjugales commises par des femmes.
7136. C’est le nombre d’hommes en souffrance victimes des violences volontaires de leur conjointe en 2013, selon l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP). Ce qui représente 11 % des cas de violences conjugales. D’ordinaire plus suspects que victimes, ils sont en moyenne 26 à mourir chaque année sous les coups de leur femme, soit environ un tous les treize jours. Souvent, les hommes battus restent murés dans le silence, trop honteux d’être dominés par des femmes. D’ailleurs, ils ne représentent que 2,5 % des 13.834 personnes à avoir composé le numéro d’urgence (3919) en 2013.
Et puis, il y a ceux qui arrivent à partir, à porter plainte et à se donner une chance de vivre à nouveau normalement, de se réinventer loin de leur bourreau. C’est le cas de Maxime Gaget, qui a raconté son calvaire dans le livre Ma compagne. Mon bourreau (1). Son ex-compagne comparaît jeudi au tribunal correctionnel de Paris pour « violences, menaces, intimidations et escroqueries ». Des hommes battus comme lui, l’avocate Samira Meziani en a défendu une dizaine devant le tribunal ces deux dernières années. Si leurs histoires permettent de mieux comprendre le système de soumission psychologique des victimes de violences conjugales, les hommes se heurtent à une justice pas toujours impartiale à leur égard.
Lefigaro.fr/madame. – On comprend difficilement le cas des hommes battus, puisqu’on a tendance à penser que la violence provient forcément de celui qui a la plus grande force physique… Pourquoi restent-ils s’ils sont physiquement plus forts ?
Samira Meziani. – Les hommes ont peur de répliquer car ils risquent de se retrouver en garde à vue ou mis en examen. Ces histoires de violences conjugales interviennent souvent avant ou pendant des divorces ou des séparations, alors que la garde des enfants est en jeu. Le conjoint violent fait du chantage en menaçant de piller le patrimoine de l’autre ou de l’éloigner de ses enfants s’il part. Les hommes qui restent sont un peu faibles, ils ne veulent pas d’ennuis. Puis viennent le sentiment de honte, le silence… On est encore dans une société avec l’image classique de l’homme viril, qui possède la force morale et physique.
Comment ceux qui ont porté plainte ont-ils franchi cette barrière de la honte ?
Au bout d’un moment, il y a une prise de conscience qui s’opère, notamment grâce à l’entourage. Les victimes vont consulter gratuitement des avocats ; elles ont alors un déclic et se disent qu’il est temps de stopper tout ça. Mais il peut se passer des années avant que les hommes battus ne prennent une décision. Pour certains, la justice représente leur dernier recours. Les violences qu’ils ont subies leur permettent d’avertir les services de police, d’engager une procédure de divorce pour faute, d’obtenir la garde des enfants, des droits de visite plus étendus et une réparation pécuniaire. Cela devient une stratégie.
Quelles différences peut-on observer par rapport aux femmes battues ?
Dans tous les cas, c’est la même chose. La forme et la fréquence des violences sont les mêmes. Je ne note pas de différences majeures, si ce n’est que les femmes victimes sont mieux soutenues que les hommes.
La justice est-elle plus souple avec les femmes auteures de violences conjugales ?
Oui. La justice est complètement différente avec les hommes battus. Les tribunaux sont bien plus cléments avec les femmes auteures d’agressions, surtout si elles ont des enfants. On ne veut pas mettre une maman en difficulté, ni la mettre en prison. Durant les audiences, le moindre doute va profiter à la femme. Il est très difficile de plaider et d’obtenir des dommages et intérêts quand on défend un homme victime de la violence de sa compagne, à moins que le nombre de jours d’interruption de travail ne soit élevé. Et encore. L’un de mes clients s’est fait massacrer par sa compagne, sans répliquer. Il a eu 45 jours d’interruption de travail. Elle n’a pas été mise en garde à vue, ne serait-ce qu’une seule nuit.
Pourquoi s’en remettent-ils à vous, une femme ?
Le juge est souvent une femme dans les tribunaux correctionnels et ils peuvent avoir l’impression que cela ne va pas jouer en leur faveur. On s’attend à une certaine solidarité entre femmes. Pour les hommes battus, prendre une avocate compense ce désavantage supposé, même s’il est dur pour eux de se confier à une personne du même sexe que leur bourreau.
(1) Ma compagne. Mon bourreau, de Maxime Gaget, Éd. Michalon, 224 p.,