Ce jeudi marque la journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale. Une forme de racisme également présente au Luxembourg. Ghislaine et Armelle, deux Camerounaises habitant au Grand-Duché, ont accepté de témoigner.

La population noire serait-elle mise à l’écart au Luxembourg? C’est ce qui ressort d’une étude de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, baptisée «Être noir dans l’UE», qui a interrogé 5.803 personnes habitant dans douze pays membres.

Si le nombre de personnes interrogées pour cette étude n’est pas vraiment représentatif, les chiffres qu’elle apporte inquiètent tout de même la Commission consultative des Droits de l’Homme (CCDH).

Dans un communiqué adressé à la presse en cette journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale, la CCDH souligne ainsi que «le racisme et les infractions motivées par la haine mettent en danger la cohésion sociale».

En effet, si la discrimination semble déjà être bien ancrée en Europe avec 39% des sondés déclarant en avoir été victime ces douze derniers mois, le Luxembourg se situe bien au-delà puisque le taux de discrimination se situe à 50%, selon les témoignages des sondés.

«Les gens rient de mon accent»

L’esprit “multikulti” voulu par le pays ne s’appliquerait-il donc pas à tous? Pour Armelle*, c’est certain.

Etudiante depuis trois ans à l’Université de Luxembourg, elle est «la seule Noire» de son master. Venue directement du Cameroun, elle confie avoir eu l’image d’un Luxembourg ouvert, où le racisme n’avait pas sa place. La réalité fut tout autre.

La jeune femme de 26 ans, dont les mots chantants révèlent une origine africaine, capte instantanément la défiance de ses camarades. «Je suis souvent seule. Les gens rient de mon accent et très vite, je suis mise de côté», explique-t-elle.

Des moqueries qui ne se limitent pas à ses camarades de classe; des professeurs y ont également pris part. «J’ai appris que deux professeurs ont critiqué ma façon de parler et insinué que je devais rentrer d’où je venais… Il y a plus de 30 nationalités ici, pourquoi s’en prendre uniquement à moi?», se demande Armelle.

«Non, je ne suis pas la femme de ménage»

Si au niveau européen, environ un quart de la population noire a déjà été victime de discrimination raciale dans le cadre du travail ou d’une recherche d’emploi, le Luxembourg s’affiche à nouveau dans le top trois des pays où ces attaques sont récurrentes.

Ainsi, 47% des personnes interrogées déclarent en avoir été victimes en cherchant du travail. Ghislaine, jeune maman de 34 ans, connaît bien ce monde. Elle travaille au Luxembourg depuis 2012 et elle était, elle aussi, la seule personne noire dans son entreprise lorsqu’elle est arrivée.

Mais cette idée ne l’a pas effrayée. «Mes parents m’ont appris qu’il fallait que je me batte davantage pour avoir les mêmes droits que les autres; c’est ce que j’apprends également à mes enfants. Et puis, je suis noire et femme en plus, donc j’accumule les problèmes», souligne-t-elle en riant.

Prouver ce qu’elle vaut, sans cesse: «En arrivant ici, j’ai dû rassurer les gens autour de moi. Non je ne suis pas la femme de ménage, oui je parle bien votre langue. C’est épuisant, il faut sans cesse se justifier», explique Ghislaine. 

Face à ce constat, elle refuse pourtant de se laisser abattre et «fait en sorte qu’on oublie» sa couleur de peau. Pas facile pourtant, surtout lorsque le motif de discrimination numéro un au Grand-Duché concerne la couleur de peau, toujours selon le rapport européen de l’Agence«Être noir dans l’UE»

«On ne travaille pas avec des gens comme vous»

Armelle* a ainsi été confrontée à un délit de faciès, dans une entreprise de la place financière du pays. Déjà sujette par le passé à de mauvaises expériences, elle ne met volontairement aucune photo d’elle sur son CV. Arrivée à l’entretien, les choses se gâtent assez rapidement, l’équipe ne comprenant pas ce qu’elle fait ici.

«Il y a eu un gros malaise et la responsable a fini par me dire : “On ne travaille pas avec des gens comme vous”. J’étais choquée», raconte la jeune étudiante, qui souligne que «toute l’équipe était blanche». L’entretien n’aura jamais lieu: «On ne savait pas que c’était vous», ajoutera même la responsable.

Apporter de la visibilité

Face à cette situation, dénoncée par la Commission consultative des Droits de l’Homme, les deux jeunes femmes proposent une solution commune: une meilleure représentation au niveau de la politique nationale.

«Il faut apporter de la visibilité aux personnes noires. Si, sur dix élus nationaux, nous avions au moins une personne de couleur noire, cela changerait beaucoup de choses! Il faut que le gouvernement ouvre les yeux sur ce qui se passe dans la société», martèlent-elles.

Des revendications également mises en avant par la CCDH, qui invite le gouvernement à faire de la lutte contre le racisme et l’intolérance une «question prioritaire dans le combat pour les droits humains».

Il s’agit de lutter contre les préjugés et les stéréotypes, notamment «par une éducation aux droits humains dans nos écoles, la formation des acteurs de terrain et des campagnes de sensibilisation». 

A l’heure actuelle, une seule femme noire a été élue au niveau local lors des dernières élections communales de 2017: Natalia Silva, première bourgmestre capverdienne du pays, à Larochette. Si elle ne se sent pas «comme un symbole mais simplement comme une Luxembourgeoise engagée», sa nomination reste dans les mémoires comme un bel exemple d’intégration.

Une chance que n’a pas eue Monica Semedo, la populaire journaliste-présentatrice de RTL qui s’est engagée en 2018 pour le DP. La jeune femme a fini quatrième de sa liste dans la circonscription Est, lors des dernières élections législatives, avec 5.602 voix.

Malgré sa présence quotidienne à l’antenne, elle n’a donc pas été élue députée. Elle aura toutefois une chance de se rattraper puisqu’elle sera tête de liste du parti libéral pour les élections européennes du 26 mai prochain.

* prénom modifié par la rédaction

Sophie WIESSLER

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