Traditionnellement, les sommets France-Afrique réunissent le président français à ses « homologues africains ». Ces grandes messes ennuyeuses ont pour objet de rassurer le grand public de l’amitié qui lie la France à ses anciennes colonies. La prochaine rencontre aura lieu du 8 au 10 juillet 2021. Pour la première fois, les conviés ne seront plus les chefs d’Etats africains, mais une ribambelle d’intellectuels conduits par l’historien camerounais de renommée Achille Mbembé.
Osons croire que la montagne, pour une fois, n’accouchera point d’une souris. Achille Mbembé a accepté ce défi. Il est réputé pour sa droiture, son sens de l’analyse et son honnêteté intellectuelle. Il abordera tous les sujets et ne cèdera pas à l’appétit matériel qui a ruiné la pensée aride de ses prédécesseurs. Est-ce pour autant qu’il faut lui donner un blanc-seing ?
Mais soyons réalistes ! L’occasion est trop belle. Ce débat se fera avec un panel d’intellectuels francophones usés et abusés par le discours paternaliste de la France qui consiste à infantiliser l’Afrique depuis des siècles.
Nous pouvons aussi nous interroger sur les intentions d’Emmanuel Macron. Est-il sincère dans sa démarche ? A-t-il réellement la volonté de changer radicalement une relation entretenue depuis des lustres par une poignée de conservateurs accrochés à des avantages matériels ?
Dans l’affirmative, les présidents africains ne verraient pas d’un bon œil leurs pouvoirs usurpés étalés au grand jour par un protecteur séculaire.
Face à toutes les contradictions qui animent la relation France-Afrique, les intellectuels africains qui participeront à ce sommet-débat auront du pain sur la planche. Pourront-ils débattre des sujets qui « fâchent » tels que le franc CFA, les bases militaires, les constitutions piétinées, les règnes sans fin, les prisonniers politiques, les successions de père à fils, les élections truquées, la corruption des multinationales, les accords de décolonisation, etc… ?
Le sommet voulu par Macron aura le mérite d’aborder les questions occultées par nos propres présidents. C’est en cela que ce sommet offrira à nos intellectuels une tribune inédite. Nous les jugerons sur leurs capacités à dire tout haut ce que le petit peuple ressent. Nous aurions aussi tort de croire que l’avenir de l’Afrique francophone se jouera au cours d’un sommet.
N’oublions pas notre combat commun. Il doit se poursuivre jusqu’à la libération totale de notre continent et la mise à l’écart de nos dirigeants corrompus. N’attendons pas de ce débat un changement radical de la France en Afrique. Mais si ce sommet peut faire bouger les lignes, pourquoi pas ? Nous méritons le respect.
Le rôle de la France en Afrique est aujourd’hui très largement rejeté par la jeunesse africaine qu’elle ne peut plus embastiller comme nos intellectuels corrompus. Ce temps est révolu. Dès lors, nous pouvons nous poser la question suivante : « Macron peut-il réellement poser les piliers d’une nouvelle relation gagnant-gagnant avec ses anciennes colonies ?
Les intellectuels conviés, sous la houlette d’Achille Mbembé savent d’avance que l’Afrique francophone aura un regard très critique sur eux. Ils ont pris un risque à la hauteur de leur réputation. Nous ne doutons pas de leur engagement ni de leur détermination à briser un tabou séculaire. L’occasion est trop belle pour débattre sans fil des thèmes cruciaux qui enveniment une relation incestueuse tant décriée que les médias français étouffent volontairement.
Accordons un large crédit à Achille Mbembé qui a accepté ce débat. Ce n’est qu’une pierre dans la construction de l’édifice Afrique. D’autres combats ont déjà eu lieu et ont généré des fruits. La lutte est longue. Mais la victoire nous tend les bras.
Emmanuel Macron a pris un risque. Il devra aller au bout de sa pensée. Que de questions ! Va-t-il lui aussi abuser de cette compassion qui anime le cercle politique de la France bienveillante envers ses administrés de toujours ? Cette politique a fait son temps. Le monde s’ouvre. L’époque d’une domination outrageante est révolue. Chaque peuple doit choisir librement ses partenaires. Les équilibres commencent à tanguer. De nouvelles puissances s’affichent sans complexe pour affirmer leur souveraineté et s’émanciper.
Le sommet de Macron est une nouveauté dans la relation de la France avec l’Afrique francophone. Ouvrons la voie à d’autres rencontres fructueuses car il est temps de tourner la page d’une relation controversée. Ce sommet est-il le présage de l’espoir d’un renouveau pour donner un rêve à nos vies ?
L’actualité politique et économique africaine va s’enrichir, avant le sommet France-Afrique, d’un grand rendez-vous qui réunira des personnalités africaines de renom autour d’un thème fédérateur : Les états généraux de l’Eco. Du 26 au 28 mai 2021, l’économiste togolais, Kako Nubukpo, organise les états généraux de l’Eco à Lomé. La liste des invités promet un débat ouvert et constructif. Parmi les invités, nous citerons : Serge Ekué, Achille Mbembé, Lionel Zinsou, Carlos Lopez, Nathalie Yamb, Michel Nadim Kalife, Wilfrid Do Rego, Mamadou Koulibaly, Koffi Ahadzi-Nonou, Alioune Sall, Caroline Roussy. Voilà qui nous offre un échantillon de haute facture pour un débat démocratique et sans tabou.
Les états généraux de l’Eco, en roue libre, débattrons sur un thème majeur qui aura des répercussions sur le sommet France-Afrique.
Ces débats sont indispensables car la jeunesse africaine, paupérisée volontairement par le pouvoir politique, veut mettre fin à son exode cruel vers l’Europe. Elle ne peut plus attendre que les discours politiques des intellectuels mettent fin à leur calvaire sur terre. Elle s’indigne avec raison. Il faut très vite apporter des solutions à leurs rêves.
L’Afrique francophone aurait cependant tort de croire qu’elle recouvrerait sa dignité à travers un sommet avec un président français. Ce serait une grosse erreur de croire que la France coupera la branche sur laquelle elle est assise. La vigilance est de mise. Le combat pour la souveraineté et la liberté de l’Afrique ne se gagnera que si tous ses enfants adhèrent aux vœux de ceux qui se sont sacrifiés pour sortir du piège des indépendances étriquées.
Nos intellectuels ont une mission : la liberté totale, la souveraineté, la dignité et non la servitude pour mettre fin au pillage systémique élaboré par l’impérialisme.
Par Michel Lobé Étamé
Journaliste Indépendant