L’actualité nous plonge, malgré nous, sur les rapports de l’homme et de la maladie. La Covid-19 est la première pandémie de l’ère moderne depuis que l’homme a marché sur la lune. Mais, capter l’actualité à travers ce prisme est totalement erroné. Des pandémies, et non des moindres, ont frappé l’Afrique sans que le monde des nantis s’en émeuve.
C’est dans cette ambiance morbide que l’historien Benjamin Stora a présenté à Emmanuel Macron ses recommandations pour « réconcilier les mémoires » sur la colonisation et la guerre d’Algérie. Ce travail d’orfèvre a été réalisé par un historien, loin du tohu-bohu des « historiens de circonstance » qui inondent de leur verbe venimeux les plateaux de télévision. Cette espèce sans avenir dans l’histoire précieuse d’une civilisation se voit disqualifiée.
Les sujets sur la colonisation française sont extrêmement sensibles. Pour les aborder, il ne suffit pas seulement d’être historien, mais il faut fournir les preuves des sujets à débattre. Curieusement, les principaux intervenants, dans les médias en France, sont des journalistes autoproclamés du passé et de l’avenir de la République. Ce n’est pas un hasard ! Il faut dire que le sujet ramène à une époque « révolue » et peut heurter les nostalgiques de l’épopée coloniale. Ces derniers sont toujours très actifs et influents. Leurs messages négationnistes sont bien relayés par des courants libertaires.
Ce que le grand public et les esprits ouverts ignorent, c’est que les lobbys en question ne supportent ni la repentance ni la contradiction. Certains présidents français ont essayé d’aborder le sujet dans le sens évolutif de l’histoire. Faute de courage politique, ils ont abandonné.
Les nostalgiques de la colonisation ont toujours tenu le même langage. Un discours odieux, haineux, suprémaciste, raciste et abject continue à vanter les « bienfaits de la colonisation ». Or, faut-il encore et toujours rappeler le caractère criminel, discriminatoire et raciste de de la colonisation ? En France, le sujet continue à diviser car il est entretenu farouchement par une mémoire tronquée et éclectique très vivace.
Réconcilier les mémoires
Le rapport de Benjamin Stora pour « réconcilier les mémoires » sur la colonisation et la guerre d’Algérie a pour objet d’éradiquer le poison lent des mémoires séparées qui alimentent les compétitions victimaires des deux côtés de la méditerranée. Il ne serait pas juste d’oublier le caractère criminel et la faute civilisationnelle de la colonisation.
Emmanuel Macron réussira-t-il à réconcilier les français sur un sujet qui divise ? Ses prédécesseurs ont essayé, sans succès, de reconnaitre les responsabilités de la France afin de redéfinir une nouvelle relation plus juste et plus équilibrée avec l’Afrique francophone. Ces démarches ont été torpillées et ont ouvert la voie au néocolonialisme aussi pernicieux et fatidique. Les tenants de l’orthodoxie à qui profitent cette relation tronquée à travers les siècles restent très influents.
Le risque est pourtant là. La relation déséquilibrée qui lie la France à ces anciennes colonies n’est plus supportable. La jeunesse africaine aspire à la liberté, à la justice et surtout au développement des esprits. Les esprits libres ont des dispositions naturelles pour créer, modifier et développer leurs pays. Le rouleau d’étranglement que représente le néocolonialisme pourrait se retourner contre ses maitres et ses félons.
Le rapport de Benjamin Stora aura-t-il une suite ou va-t-il s’ajouter à ceux de Mitterrand, Chirac ou Sarkozy qui croupissent dans des tiroirs exigus ? On peut s’interroger car, lors d’une de ses dernières sorties médiatiques, le Premier Ministre, Jean Castex, a été on ne peut plus clair : « Je veux dénoncer toutes les justifications à cet islamisme radical. Nous devrions nous autoflageller, regretter la colonisation, je ne sais quoi encore ?
Les propos de Jean Castex, constituent un véritable camouflet que les médias se sont empressés d’étouffer. Ce sont des propos péremptoires aux antipodes de la réconciliation mémorielle qui portent la marque d’une rhétorique binaire : A prendre ou à laisser.
Les dérives fascistes en place, bien alimentées par certains médias, la haute administration, les politiques et quelques patrons du CAC 40 se frottent les mains. Ils ne manqueront pas de dégainer pour faire capoter un projet social et humaniste pour la France et ses anciennes colonies. Le rapport de Benjamin Stora est d’avance condamné car la réaction d’Emmanuel Macron est sans équivoque. Il exclut les excuses pour la guerre, mais envisage des « actes symboliques ». Des actes symboliques ? Voilà des propos qui ouvrent la voie à de nombreuses spéculations. Et, à n’en pas douter, les propos malheureux de Jean Castex viennent corroborer ceux d’Emmanuel Macron.
Et l’Afrique francophone ?
L’impatience de l’Afrique francophone est plus criarde que celle du Maghreb. Elle n’a pas fini de panser ses plaies causées par le lourd fardeau de l’esclavage et de la colonisation. Elle est maintenant confrontée à un cancer virulent qui s’appelle le néocolonialisme initié et conceptualisé par la France. Ce nouveau concept a mis en place des outils d’asservissement tels que le franc CFA, la religion, les obédiences occidentales et la main mise sur le choix des présidents à vie des anciennes colonies.
Le néocolonialisme est très subtil et n’a point de visage. Mais il est facilement détectable. Il prive l’Afrique francophone de sa liberté et brise tous ses efforts de développement économique et social.
Aujourd’hui, la jeunesse éveillée africaine veut se prendre en main par des politiques sans influences extérieures car c’est la seule garantie qui permettra à l’Afrique francophone et à l’Afrique en général de s’autodéterminer et de réconcilier les mémoires sur une triste partie de notre civilisation.
Par Michel Lobé Étamé
Journaliste Indépendant