AFFAIRE NDOGMO-OUANDIE
Bibi : Comment trouviez-vous le président AHIDJO ?
SANMARCO. : C’était un homme froid ! [rire]. En tout cas s’il était dur ou méchant, ce n’était pas avec moi. Vous ai-je dit que lors de l’affaire OUANDIE des parlementaires, des élus français venaient parler de ce dernier à AHIDJO ?
Bibi : … de OUANDIE et NDOGMO…
SANM.: Qui ça ?
Bibi : Mgr NDOGMO
SANM. : Ah ! L’évêque. [rires] Je peux vous dire que les parlementaires socialistes s’en-foutaient royalement de l’évêque.
Bibi : [rires] Donc ils se préoccupaient du sort du combattant, du militant OUANDIE, en ignorant totalement NDOGMO ? [Rires]
SANM. : Tout à fait.
Bibi : Ça c’est important à savoir ça [rires]
SANM. : Voyant qu’il n’arrivait pas à convaincre AHIDJO au sujet de OUANDIE, un de ces parlementaires tenta de faire croire que sa démarche ne signifiait en aucun cas une tentative d’ingérence dans les affaires du Cameroun, en déclarant que ses électeurs lui mettaient la pression dans cette affaire, qu’ils ne le laissaient pas respirer, etc… etc… Réaction irritée d’AHIDJO : « Qu’est-ce que j’en ai à foutre des électeurs de Narbonne et d’ailleurs, au lieu de m’occuper des affaires du Cameroun ? Votre protégé a été jugé conformément à la loi… » et tutti quanti… Puis il ajouta : « OUANDIE, je le respecte, il sera fusillé. NDOGMO, je le méprise, il sera gracié. »
Bibi : Alors là c’est stupéfiant ! A-t-il dit pourquoi il respectait OUANDIE ?
SANM. : Le député qui m’a rapporté ces propos ne m’a rien dit à ce sujet. Sans doute n’avait-il pas posé cette question. En tout cas ces propos m’ont donné froid dans le dos.
Bibi : Il semble qu’au cours de l’interrogatoire qu’il avait subi, et selon des sources proches de l’enquête, OUANDIE s’était comporté avec beaucoup de dignité, en véritable combattant, sans peur et inflexible dans ses positions. Ainsi, quand on lui suggéra de demander pardon pour tout le mal qu’il avait fait au pays en menant cette lutte armée qui avait coûté tant de vies humaines, et de prendre l’engagement qu’il y renonçait, il aurait répondu : « Demander pardon et renoncer au combat ce serait reconnaître que je ne savais pas ce que je faisais. Je suis prêt à reprendre la lutte, à tout moment ». Radio Cameroun avait diffusé la bande de son interrogatoire, et je l’avais enregistrée sur cassette ; malheureusement un de mes cousins effaça cette bande en l’utilisant pour enregistrer de la musique. Il y a un passage de cet enregistrement qui est resté gravé dans ma mémoire : une passe d’armes
entre OUANDIE et FOCHIVE, le chef de la police secrète ; le premier ayant traité ses camarades de « combattants nationalistes », fut brutalement interrompu par le second qui lui lança « vous voulez parlez des maquisards, des terroristes » ; alors, très calmement, OUANDIE lui répondit sèchement : « Vous n’allez quand même pas me prêter votre langage ! » Cet échange musclé pouvait-il expliquer les propos d’AHIDJO envers OUANDIE ? En tout cas selon des sources dignes de foi, interrogé par ses proches sur la contradiction majeure qui consistait à le respecter tout en le faisant fusiller, le chef de l’Etat avait expliqué en substance : j’ai trouvé en OUANDIE un homme de conviction, déterminé. Il s’est battu pour la libération de notre pays, malheureusement avec des moyens et des méthodes qui ont entraîné la mort de milliers de Camerounais. Il a dit qu’il était prêt à mourir pour son idéal, et comme il avait déclaré pendant l’interrogatoire que s’il recouvrait la liberté il retournerait immédiatement au combat et avec plus de détermination que jamais, cela signifiait que cela entraînerait de nombreuses nouvelles victimes. On ne peut donc pas le libérer, alors, comme je le respecte, je vais en faire un martyr, je vais le faire fusiller.
« L’AFFAIRE NDOGMO » ? UNE VERITABLE BOMBE
Quant à Mgr NDOGMO, dont AHIDJO avait dit qu’il le méprisait et qu’il le gracierait, il avait expliqué à ses proches qu’il avait trouvé en lui un lâche et un homme sans convictions. Ce jugement sévère était apparemment partagé par le Prononce Apostolique, l’ambassadeur du Vatican qui était au Cameroun à cette époque ; le regretté anthropologue et ethnologue Philippe LABURTHE-TOLRA, alors enseignant à l’Université Fédérale du Cameroun et intime du Prononce connaissait le fin mot de l’affaire NDOGMO ; lui et moi en discutâmes plus tard à Paris. Il m’apprit alors que lorsque NDOGMO fut arrêté, le Prononce fut autorisé à aller le rencontrer en tête à tête dans son lieu de détention ; NDOGMO lui jura ses grands dieux que l’accusation de complot contre le chef de l’Etat dont il était l’objet était totalement fausse. Sur la foi de cette dénégation faite avec des arguments qui lui parurent convaincants, le Prononce commit la faute diplomatique de faire une déclaration dénonçant l’arrestation du prélat. Selon toute vraisemblance il l’avait fait sans le feu vert du Vatican ; sans s’offusquer de l’attitude inamicale du Prononce, le gouvernement camerounais lui remit des pièces à conviction irréfutables de l’implication de NDOGMO dans le complot dont on l’accusait. Très remonté alors contre ce dernier, le Prononce demanda et obtint l’autorisation de le rencontrer de nouveau. LABURTHE-TOLRA m’a dit que, hors de lui, le Prononce interpella brutalement NDOGMO en ces termes : « Comment, Monseigneur, un homme comme vous, un homme de votre niveau a pu me mentir avec autant d’aplomb ? Et en plus vous m’avez mis dans une situation particulièrement difficile vis à vis des autorités camerounaises ». NDOGMO aurait éclaté en sanglots et reconnu lui avoir menti, avant de lui demander pardon. Cette affaire fut tellement énorme que beaucoup de Camerounais doutent encore de sa crédibilité ; était-elle avérée, ou s’agissait-il d’une affaire montée de toutes pièces pour salir un prêtre qui traînait une réputation sulfureuse ? Pour ceux qui, comme moi, se posent toujours des questions sur certains aspects d’affaires troubles, je peux déjà donner ici un élément de réponse : pourquoi l’arrestation et l’embastillement de Mgr NDOGMO n’entraînèrent-ils pas une condamnation officielle en bonne et due forme du Vatican ? Le silence fut même total. Mon opinion est que (se) poser des questions dans ces circonstances permet parfois de comprendre les tenants et les aboutissants d’un dossier complexes. Mon côté journaliste sans doute…
La vérité est que cette affaire était tellement stupéfiante que, rendue publique, elle aurait eu l’onde de choc d’une bombe atomique, toutes proportions gardées. Un ami très proche – paix à son âme – avait obtenu tous les éléments de ce dossier [source A1] et avait même décidé d’en tirer un livre, qu’il hésita beaucoup à publier, pour des raisons personnelles liées à notre amitié ; en effet il m’avait dit sans ambages qu’il était très embêté par le fait que la communauté à laquelle j’appartiens a très souvent estimé que dans ses articles il menait régulièrement une campagne, ouverte ou sournoise, contre les gens de ma région. Il était donc convaincu que la personnalité du personnage concerné, Mgr NDOGMO, risquait de passer aux yeux de beaucoup comme une intolérable provocation. Il m’avait raconté toute l’affaire lors d’un de mes séjours à Yaoundé. J’ai beaucoup hésité à mon tour, avant de prendre la décision de relater ce qui suit, mais comme il faut bien que les Camerounais soient informés des détails de cette affaire, une des plus complexes de notre histoire, je prends mes responsabilités. Je pense avoir l’accord moral de mon regretté ami et confrère, car je lui avais clairement dit que j’étais prêt à le suppléer en révélant cette affaire; il m’avait répondu : « Ce serait peut-être une solution, mais la prochaine fois que tu viendras au pays nous en discuterons les modalités. » Sa mort, subite, ne nous laissa pas le temps et l’occasion d’en reparler. Je présente donc toutes mes excuses à sa famille, que je n’ai pas pu rencontrer faute de savoir avec précision à qui m’adresser ; c’est pour cela que je ne mentionne pas le nom de mon ami, mon presque frère. Je ne doute cependant pas que beaucoup de gens le reconnaîtront. Je tiens à dire de façon nette et claire, et avec beaucoup de gratitude que cet énorme scoop est entièrement de lui, et pas de moi. Je suis convaincu que le fait de ne pas chercher à m’approprier cette affaire est la meilleure façon de rendre un hommage très largement mérité à sa mémoire.
Résumé succinct du déroulement des faits : Un jour de 1970, Radio Cameroun annonce l’arrestation de Mgr NDOGMO pour atteinte à la sûreté de l’Etat ; c’est le début de la fameuse affaire du « complot de la Sainte Croix » ; il s’agissait, avouera Mgr NDOGMO au cours de l’interrogatoire, de chasser AHIDJO du pouvoir lors d’un « coup d’Etat spirituel » au cours duquel ce sont des anges qui devaient opérer. Il reconnut avoir, au début des années 60, et à la demande des autorités de Yaoundé, pris attache avec Ernest OUANDIE pour essayer de le faire sortir du maquis et abandonner la lutte armée. OUANDIE ayant été appréhendé peu après l’arrestation de NDOGMO, la conclusion qui s’impose – en tout cas beaucoup de gens y souscriront – est que c’est le prélat qui l’avait « donné », trahi. D’ailleurs NDJASSEP, le fidèle bras droit de OUANDIE déclarera quelques années plus tard dans une interview accordée à « Jeune Afrique Economie » (dont j’ai perdu les références ainsi que mes archives au cours d’une inondation) avoir la conviction que ça ne pouvait être que NDOGMO, car lui seul savait avec précision où se cachaient OUANDIE et ses hommes dans la région de Mbanga, où des gendarmes étaient venus les cueillir. Le raisonnement de NJASSEP était d’une logique imparable, mais la réalité était plus rocambolesque, voire sidérante ; c’était bien NDOGMO qui avait « trahi » OUANDIE et ses hommes, mais ce fut à son corps défendant, et sans le savoir lui-même.
Explication plutôt surréaliste, voire hallucinante de cette affaire racontée à un défunt ami par le Président AHIDJO en personne. Passons sur les détails et allons à l’essentiel; selon cet ami, voici, en substance, la déclaration ahurissante que lui fit le Président AHIDJO, qui l’avait fait venir au palais présidentiel pour lui faire des confidences ; le Président lui dit : «J’ai reçu de BOUMEDIENE un coup de fil qui m’a surpris au plus haut point, lui et moi n’étant pas particulièrement amis ; c’était la première fois, du reste, qu’on se parlait au téléphone.
AHIDJO expliqua alors à mon confrère et ami dans le détail ce que lui avait dit le président algérien : une tentative de coup d’Etat contre lui au profit de OUANDIE, que BOUMEDIENE connaissait très bien, était effectivement en préparation, financée par l’Algérie, et on était dans l’ultime phase. Le président algérien avait demandé à OUANDIE de lui envoyer son homme de confiance, pour régler les derniers détails de l’opération. Le jour du rendez-vous, qui avait lieu au palais présidentiel algérien, et à sa grande surprise, BOUMEDIENE vit débarquer un homme en soutane, un prêtre. Pour être sûr que ce dernier était vraiment l’envoyé de OUANDIE, il le soumit à un véritable interrogatoire. NDOGMO – puisqu’il – s’agissait de lui – ayant donné toutes les preuves, BOUMEDIENE prit congé de lui. Il décida alors d’appeler AHIDJO au téléphone; ce dernier raconta alors à mon ami les raisons avancées par BOUMEDIENE pour justifier sa décision, lourde de conséquences, de lui livrer OUANDIE; il lui dit « Je vais aller droit au but. Je tiens à vous préciser que, tout bien pesé, la décision que je vais prendre dans cette affaire me pèsera longtemps sur la conscience, car je sais ce qui attend OUANDIE. Votre adversaire est du même bord politique que moi ; c’est un révolutionnaire, un combattant de la liberté, un ennemi résolu des colonialistes de tout bord, comme moi. Le gros dilemme qui m’interpelle est que je dois agir avant tout en bon musulman que je suis. En mon âme et conscience, je crois que Allah ne me pardonnerait jamais d’avoir financé l’arrivée au pouvoir d’un régime qui pourrait s’en prendre par vengeance aux musulmans du pays. » BOUMEDIENE conclut l’entretien sur ces mots : « OUANDIE, votre irréductible ennemi se trouve dans la région de la ville appelée Mbanga. C’est uniquement par charité musulmane, mais avec un pincement au cœur que je vous donne cette information. »
C’est donc sur la base des informations détaillées fournies par NDOGMO à BOUMEDIENE, qui les répercuta à AHIDJO, que le repaire exact de OUANDIE fut pris d’assaut, permettant sa capture. Quant à NDOGMO, il se trouvait à Rome lorsque le Président algérien informa son homologue camerounais de ce qui se tramait. Ayant décidé d’éviter un incident diplomatique avec le Vatican, AHIDJO y dépêcha un émissaire de haut rang, Simon-Pierre TCHOUNGUI, Premier ministre du Cameroun francophone, avec un dossier bien fourni afférant à l’implication de NDOGMO dans le complot. L’émissaire camerounais remit le dossier au Pape, avec le message suivant : malgré les lourdes charges qui pèsent sur Mgr NDOGMO, nous ne souhaitons pas le juger, pour éviter tout malentendu, et ça tombe bien qu’il ne soit pas au Cameroun en ce moment. Nous vous saurions donc infiniment gré des dispositions que vous vous voudrez bien prendre pour faire en sorte qu’il ne remette pas les pieds de sitôt au Cameroun, sinon nous nous trouverions dans l’obligation de l’arrêter, de le juger et de le condamner. L’histoire dit que le Pape assura Simon-Pierre TCHOUNGUI que des dispositions seraient prises à cet effet, annonçant même confidentiellement à l’émissaire camerounais que NDOGMO serait affecté au Canada. Pourquoi le diable décida-t-il de faire s’effondrer un scénario si bien huilé ? Il ne peut s’agir que de ça, sinon comment comprendre la décision de NDOGMO de rentrer précipitamment au Cameroun, sans en informer ses supérieurs ? La question était de savoir s’il était informé de l’accord le concernant conclu entre le gouvernement de Yaoundé et le Vatican. Toujours est-il que Simon-Pierre TCHOUNGUI arriva à Paris avec plus de 24h de retard sur son programme, en raison d’une grève à l’aéroport de Rome. Lorsqu’il téléphona à Yaoundé pour annoncer ce qu’il croyait être la bonne nouvelle, à savoir que le Vatican avait accepté d’envoyer NDOGMO au Canada, il tomba littéralement de sa chaise quand on lui apprit que NDOGMO était rentré au Cameroun la veille et avait été arrêté et incarcéré.
Stupéfiant, n’est-ce pas ? L’on comprend ainsi peut-être un peu mieux les propos d’AHIDJO quand il avait dit : « …NDOGMO, je le méprise, il sera gracié ! » Dans l’émission sur l’histoire qu’il présentait sur une chaîne télévisée privée camerounaise, Annanie Rabier BINDZI a évoqué quelques détails intéressants liés à ce volet de l’histoire et proches de la vérité… Il y a peut-être une explication à la décision de BOUMEDIENNE : lorsque MBIDA fut investi Premier ministre, c’est logiquement AHIDJO qui aurait dû occuper la place, puisque son parti avait dix députés de plus que lui à l’Assemblée ; parmi les explications avancées par les autorités françaises à cette situation insolite, certaines voix avaient fait remarquer que ce serait imprudent de mettre à la tête du gouvernement un musulman, alors que les musulmans étaient minoritaires dans le pays… Samuel Mbajum