Par Me YONDO BLACK
DU RAREMENT VU
On a, en effet, rarement vu au monde un peuple de l’espèce du peuple camerounais. S’il embrasse son ennemi, ce n’est pas pour l’étouffer, mais pour le conforter. Il n’y a pourtant pas d’autre chemin pour vivre en paix et dans l’unité que d’œuvrer pour la paix, l’amour de l’autre, sans discrimination ni dévalorisation, le tout dans la crainte de Dieu, à l’idée que demain nous aurons à rendre compte pour chacun de nos actes. Et la paix, ce n’est pas la horde d’hommes armés jusqu’aux dents, soit disant pour assurer l’ordre et la sécurité ; le vivre ensemble, ce n’est pas contraindre les citoyens, dans la peur, à sortir de force de leur tanière, pour aller à la rencontre des autres ; ce n’est pas du faire semblant avec la bouche, cela veut dire poser des actes concrets au quotidien, et envers tous sans exception, des actes d’amour pour le prochain, des actes de partage, pour le bonheur des uns et des autres.
Comment pouvons-nous imaginer que pendant que des milliers de familles endeuillées pleurent leurs enfants tombés injustement sous les balles d’un ennemi qu’ils ne connaissent pas, que des villages entiers se vident de leurs habitants, pour un ailleurs, en quête d’un mieux vivre, que des compatriotes en nombre toujours croissant croupissent dans une misère qui n’honore pas les princes qui nous gouvernent, dans un pays aux richesses multiples et variées mais constamment détournées sans contrôle, que ces princes organisent dans un faste à nul autre pareil ce qu’ils appellent pompeusement la fête de l’unité. Le monde entier avait les yeux rivés sur le boulevard du 20 Mai et le Palais d’Etoudi, ce temple de l’unité, à l’idée de lire dans les yeux et sur les visages des uns et des autres la tristesse, la désolation, la peine et l’angoisse. Que nenni. A la place, qu’avons-nous vu ? Des militaires danser sous les acclamations d’une foule en liesse, admirative, des militaires qui dansent pendant que le pays se meurt, que le pays est en guerre, des youyous à tout rompre à l’arrivée du ‘’Messie’’ sous forte escorte de policiers, gendarmes, militaires et autres gardes du corps, à bout de souffle, agrippés à la Mercedes blindée et dernier cri de l’homme qui préside aux destinées du pays. Au Palais de l’Unité, le spectacle était plus révoltant encore.
.On y côtoyait ce qui est censé être la crème de la Nation, mais c’était plutôt pour l’essentiel un parterre hétéroclite, venu on ne sait d’où, chacun jouant des coudes pour se trouver aux premières loges sur le passage du Président, lui serrer la main et si possible se voir honoré de quelques civilités, je dirais… saisies à la volée.
Oui ! Du rarement vu ! On a en effet rarement vu au monde un peuple de l’espèce du peuple camerounais.
Le jour du 2O Mai aurait dû être pour le Cameroun une journée de réflexion pour un peuple en guerre et en quête de solutions pour l’avenir du pays, une journée de recueillement à la mémoire des compatriotes qui nous ont injustement quittés. Pour Paul BIYA et ses affidés, le 2O Mai n’aura été qu’une journée de fanfaronnade et de gloriole. Ils fêtaient en effet pour avoir vu les rangs s’étoffer à la place du 20 Mai, sans la moindre étincelle, sans la moindre bavure ; ils fêtaient pour avoir démontré, croient-ils, aux prétendus alliés du Cameroun que la force, la légitimité et la légalité sont toujours de leur côté. C’est à la fois puéril et irresponsable. Les divers commentaires sur le spectacle dont nous a généreusement gratifié le couple présidentiel ne font qu’augmenter notre écœurement. Que la Reine Chantal Biya ait perdu des kilos, en quoi l’avenir du Cameroun est-il concerné. Sans cynisme aucun, ce fait nous ramène-t-il les milliers de camerounais disparus, tant du côté des forces publiques que du côté de la société civile, et à jamais perdus par son fait et celui de son déifié d’époux ? Je m’interroge !
Le moment venu, ne venez surtout pas nous demander pardon et dire « nous avions les mains et les pieds liés ». Il sera trop tard pour l’éveil des consciences. Nous en avons assez des pères de la nation. Un Président de la République est un mandataire du Peuple Souverain. Il doit en tout temps rendre compte à ce Peuple et ce n’est pas au Peuple de lui rendre compte. Le peuple est son mandant, n’inversons pas les rôles. Aujourd’hui le Président Biya nous parle de ‘’pardon’’, savoir pardonner pour organiser l’avenir. Qu’a-t-il fait au moment où, tout auréolé de la gloire dont son illustre prédécesseur l’avait gratifié, le pays était calme, prospère et respecté. Longtemps il nous a tenus par la peur, aujourd’hui la peur a changé de camp.
D’aucuns disent que le pays vit les heures de la succession de Monsieur Paul Biya, Président de la République. Il est vrai qu’aux yeux de tout observateur objectif et de bonne foi, notre Président donne les signes physiques d’un homme malade. Mais serait-il malade au point que l’on puisse évoquer le problème de sa succession ?
DU RAREMENT VU
De parler de la succession d’un Président qui vient à peine d’être élu à plus de 71% du corps électoral. Cela signifie que son état de santé est tel qu’il serait dans l’incapacité physique ou morale d’exercer les pouvoirs liés à sa charge, bref d’assumer sa charge de gouverner le pays au mieux des intérêts de tous. Or, il n‘échappe à personne et il ne saurait surtout pas vous échapper que le Cameroun vit une des périodes les plus difficiles de son histoire, confronté à des problèmes multiformes : la crise anglophone dans le NOSO, les perturbations imposées par la nébuleuse BOKO HARAM dans le grand Nord, le nombre sans cesse croissant de migrants en provenance des Etats voisins, eux aussi en troubles, l’ insécurité dans laquelle vit le Cameroun et qui porte gravement atteinte à l’économie du pays, la chasse ouverte par l’opération ‘’Epervier’’ en lutte contre ceux qui portent atteinte à la fortune publique, le tribalisme exacerbé comme arme de gouvernement, l’état de nos villes et de nos hôpitaux, ce sont-là autant de sujets qui meublent au quotidien notre actualité.
La gravité de toutes ces préoccupations nécessite que le ’’Navire-Cameroun’’ ait à son bord un Capitaine solide, sûr, qui non seulement a la confiance du plus grand nombre de ses compatriotes, mais dispose de toutes ses facultés physiques, mentales, intellectuelles, que sais-je encore, pour assumer les plus hautes fonctions attachées à sa charge du Premier d’entre nous.
Je n’ai pas besoin de vous dire que pour le citoyen lambda que je suis, ces bruits qui courent et parcourent le monde sont pour le moins alarmants. Aussi, avons-nous besoin d’être informés, éclairés pour bien augurer de l’avenir avec optimisme. Je n’ignore pas que beaucoup d’entre vous êtes membres du RDPC, parti politique majoritaire au pays dont notre Président de la République est aussi le Président. Mais comme vous le dites vous-mêmes en bombant le torse, vous êtes députés de la Nation, représentants du peuple souverain, et en cela, vous avez bien raison. Vous avez entre autres missions de veiller aux intérêts supérieurs de l’Etat, et l’état de santé du Chef de l’Etat en est un.
Parler de l’état de santé du Chef de l’Etat est au Cameroun, semble-t-il, un sujet tabou, une provocation, un appel à la déstabilisation. Mais Paul Biya n’est pas un chef dans la tradition de nos ancêtres. On ne devient pas Chef, on naît chef. En démocratie, Paul Biya est un élu du peuple, de ce peuple souverain qui lui a confié la gestion de son destin. A ce titre, il a des comptes à lui rendre, surtout sur son état de santé, car il faut que ce peuple soit assuré qu’il dispose encore de l’énergie nécessaire pour accomplir la lourde tâche qu’il lui a confiée pour la survie des millions de ses compatriotes. Paul Biya n’est pas un Dieu, il est, comme nous, un simple être humain, né des entrailles d’une femme, et partant appelé à être malade, et à mourir. On finira par l’annoncer, mais on ne mettra pas le Cameroun dans la tombe avec lui et il n’emportera pas non plus le Cameroun avec lui au paradis, si tel pourrait être son chemin.
Honorables, tout en ayant raison gardée, vous avez le devoir de défendre l’honneur de ce pays qui vous a donné mandat de le représenter sans que des leçons nous viennent d’ailleurs. Il ne s’agit pas du nombre d’années que le Président Biya a passées au pouvoir, ni de son âge civil, mais tout simplement de son état de santé que vous, comme nous, n’étant pas des spécialistes du monde médical, ne pouvons apprécier qu’aux dires des experts, et je crois savoir que vous avez votre mot à dire dans les cas d’impeachments, mais vous ne pouvez valablement et objectivement le faire qu’après recours à l’avis des spécialistes. C’est l’objet de cette lettre que je me suis donné le droit de vous adresser. Nous ne vivons pas en autarcie et nous devons tirer des leçons du monde qui nous entoure. C’est grâce à un certificat médical exigé des Avocats des barreaux d’Algérie que le Président BOUTEFLICKA a été amené à renoncer à la quête d’un cinquième mandat. Il est temps que le peuple camerounais, par sa représentation nationale, prenne ses responsabilités pour éviter au pays une dévolution monarchique du pouvoir. La guerre de succession a sa solution dans le verdict des urnes, démocratiquement, loyalement et légalement organisé.
Ceux qui trouvent leur compte dans l’exercice actuel du pouvoir, soit matériellement, soit pour des raisons ethno-tribales, verront dans ma démarche, à n’en pas douter, plus une volonté de déstabilisation du régime que le souci d’éviter au pays une descente aux enfers dont il ne pourra se relever qu’au prix de sacrifices incommensurables que le bon sens et un sentiment quelque peu patriotique auraient permis d’éviter.
Chers Honorables, vous n’êtes pas des mercenaires dans ce pays qui vous a vus naître et vous a certainement tant donné pour le laisser aujourd’hui dépérir sans réagir, et sous vos yeux. S’il y a un vide juridique qui puisse faire obstacle à votre démarche pour parvenir à une situation d’impeachment que seul le Conseil Constitutionnel est autorisé à constater, alors faites œuvre créatrice qui servira de précédent pour les générations futures afin d’éviter ce ridicule auquel le Cameroun est exposé. Et la Patrie vous le revaudra.
(*) Président du Mouvement Social pour la Nouvelle Démocratie (M.S.N.D)
Ancien Bâtonnier de l’ordre
Avocat au Barreau du Cameroun