Plusieurs pensent que Kamto était déterminé à aller aux élections, mais a reçu subitement des informations confidentielles des américains ou de l’ONU ou de la Cour Pénale Internationale ou de l’Union Européenne,… ou enfin des espions cachés à la présidence camerounaise, ce qui l’a conduit à changer d’avis.
C’est normal pour le commun des mortels de raisonner ainsi, puisque en matière de stratégie politique, l’information est la matière première. Mais plus que la matière première, il y a la matière grise.
Lorsque le pouvoir camerounais avait jeté Kamto en prison, avec ses militants, Dzongang, sa bonne et tous les jeunes badauds arrêtés au faciès, ils avaient oublié une chose : Ils traitaient ainsi l’un des hommes les plus intelligents que ce pays ait connus, et cet homme était en train de convertir toutes ses aptitudes mentales en stratégie de conquête de pouvoir pour le mieux-être pour son peuple. Arrêté, bousculé, frappé, menotté, lié, sali, humilié, obligé de faire pipi sur lui-même, Kamto ressemble à un animal sauvage quand il rentre en prison.
C’est un animal politique qui en sort.
Au départ, c’était le chef élu par ses camarades. Maintenant, il l’est, naturellement. Il réfléchissait longtemps, consultait beaucoup… Aujourd’hui, son chemin lui semble tout tracé. Il tirait les pénaltys, et revendiquait bruyamment le but. Maintenant, Il sait dribbler et traverser tout le terrain, balle au pied, pour marquer depuis le poteau du corner. Il ne discute plus, il parle peu, il agit.
Ceci est certain : Kamto ne dispose d’aucune information spéciale, mais possède des capacités d’analyse exceptionnelles.
Il veut d’abord aller aux élections pour augmenter son rayon d’action
Incapable de stopper les élections, il confirme devant le Drian et devant les femmes de son parti son choix d’aller aux élections, pour sauver l’existence politique de son parti ; ce qui réjouit le régime au pouvoir, heureux de pouvoir lisser son image de démocratie. Un moment, il se demande s’il ne devrait pas vraiment y aller pour renverser ce régime corrompu à partir du Parlement. Mais il se rappelle qu’il s’agit de l’un des régimes les plus cyniques du monde, capables des pires injustices. Après la convocation du corps électoral, le bus des élections est lancé, il sait bien que le SDF et les autres prétendus opposants y monteront. Et il y a tout son régiment de caporaux, tous heureux d’accéder enfin à la lumière d’une position de pouvoir, honorable et rémunérée. La solution géniale qu’il trouve, c’est d’entrer dans le bus, comme un passager normal, et de le détourner. Oui, le prochain procès de l’Etat du Cameroun contre Kamto pourrait être un procès pour détournement d’élection, prise d’élections en otage, saccage et destruction de processus électoral couplé. Même un éventuel abandon des charges par Biya devrait conduire à la peine de mort au moins !
Pourquoi Kamto a-t-il arrêté le processus électoral ?
KAMTO ARRETE LE PROCESSUS ELECTORAL POUR 4 RAISONS AU MOINS
Penda Ekoka et d’autres conseillers lui avaient déconseillé d’aller aux élections, mais ils étaient largement en minorité. Il pensait que les fraudes du pouvoir produiraient enfin l’indignation populaire, si chère à son dispositif mental. Mais il se représente la suite du scenario, et il trouve le prix difficile à payer pour son peuple. Il choisit finalement de quitter le processus. Pour plusieurs raisons :
La Certitude d’une Guerre Civile
Premièrement, parce qu’il est convaincu que quitter ces élections est la seule solution pacifique de changement. Imaginez un moment que Djamen gagne à Douala, et que la Cour Constitutionnelle produise des PV comme elle sait le faire, avec un gagnant du RDPCRN. Djamen se jetterait immédiatement dans une véritable insurrection, pour protéger sa victoire, et le gouvernement réagirait avec des moyens disproportionnés. Il y aurait surement mort d’hommes, et le risque d’un soulèvement national n’est pas à écarter, si le même scénario se reproduit dans les autres régions. On se retrouverait dans un période d’incertitude, de guerre civile, le pouvoir en place se livrant à la pire des répressions pour sa survie, sous la protection des drones français et du véto de la France au Conseil de Sécurité de l’Onu. Or Kamto est certain que ce pouvoir peut tomber avec un coût humain plus bas.
Ce qui le conforte dans la certitude d’un tel conflit post-électoral, c’est la violence de la réaction des sous-préfets et des maires. Même s’il avait eu la moindre hésitation, le comportement de ces agents supposés impartiaux lui montre clairement qu’une victoire du MRC sera contestée par les moyens les plus bas et les plus grossiers ; or il ne se sent pas prêt pour prendre le pouvoir par la lutte armée. Déjà, RFI, la radio idéologique française, le présente comme un chef de groupe ethnique et réduit l’impasse politique camerounaise à la lutte entre le clan tribal de Biya contre celui de Kamto. Il comprend qu’il vaut mieux reculer.
Une occasion inespérée de réunifier le Cameroun
Une autre raison, c’est que Kamto trouve là l’occasion de réunifier le Cameroun. Autour de sa personne. Pourquoi pas ? Puisque ce pays se rassemble autour du football. Pourquoi pas autour de lui ? Et s’il devenait le père de la nouvelle nation ?
Les anglophones se sont jusqu’ici tenus très loin de la politique électorale, ne se sentant pas concernés. Certes, Kamto a lancé quelques timides clins d’œil en leur direction, avec des quêtes en faveur de la fondation Ayah, des déclarations publiques, mais, pour les anglophones, tous les francophones sont méchants. Impossible de leur plaire. Voilà que par un retournement de situation, neuf mois de discussions en prison avec Ayuk Tabe et ses collègues l’ont fixé sur leur psychologie : c’est clair pour lui, il peut et doit trouver le chemin de leurs cœurs.
Parce que, malgré ses aspects froids, scientifiques et bien rôdés, la stratégie de Kamto est fondée sur un contact émotionnel plutôt que purement rationnel. Il travaille autant sur son programme que sur la relation de confiance et d’empathie qu’il crée avec ses auditeurs. L’affectueux papa est toujours couplé au Professeur hors classe. Il trouve donc primordial, par un acte retentissant, de montrer aux anglophones qu’ils sont aimés, et qu’il y a des gens qui s’inquiètent sincèrement de leur sort, au point de risquer pour eux ce que certains ont appelé un ‘suicide politique’… Comme si Kamto pouvait se suicider ! La réponse pratiquement religieuse des anglophones montre qu’il ne s’est pas trompé, et qu’il a frappé dans le mille.
Régler le compte de l’opposition financée par le RDPC
Puis il y a l’autre opposition, celle qu’il méprise. Il leur a tendu la perche deux fois, et ils n’ont pas suivi. Il méprise le SDF et les autres partis, il méprise foncièrement tous ceux qui se font acheter. Il sait que le MRC, en se retirant subitement, ces différents partis apparaitront nus, et leurs nombreux appels à l’unité qui troublent les âmes naïves n’auront plus d’écho, car sans conviction et sans substance. Et ne pouvant pardonner au SDF l’abandon des anglophones à leur sort, il pense en finir avec eux par ce nouveau dribble. Et comment continueront-ils à recevoir de l’argent du pouvoir s’il n’y a plus de MRC à abattre ?
Mettre le parti en ordre de bataille
Dans son parti, le MRC, il se sent infiltré, assiégé. L’emprisonnement des cadres a permis l’arrivée non contrôlée de nouveaux visages, avec des transfuges d’autres partis, à la recherche de postes électifs, ou plus grave, avec pour mission secrète de bloquer toutes les actions, pour réduire l’influence du parti et trahir. La préparation des listes est une occasion excellente pour mettre en évidence ces faux militants, et faire respirer de l’air pur au sein du parti. En décidant d’aller aux élections, les réseaux mafieux se mettront certainement en route, et seront traqués et dénoncés.
LE RISQUE EST FAIBLE
En fait, le risque posé par ce retrait, sur sa carrière politique, est très faible. Kamto, comme beaucoup d’autres hommes politiques, est convaincu que la loi électorale sera changée à court terme, absolument, et que des élections sans le MRC conduiront forcément à une situation politiquement instable. Sa sortie à Gouache et la frayeur du régime qui ne le laisse faire de meeting nulle part l’ont convaincu que très très peu de monde ira voter le 9 février 2020 s’il maintient le mot d’ordre de boycott. Il est le maître du jeu. Par ailleurs, malgré le soutien français à Biya, il sait que la pression internationale aura raison du régime bien avant 2025. C’est d’ailleurs pourquoi il surligne deux points essentiels dans son discours :
ELECAM veut un changement profond du code électoral, et l’a signifié publiquement et par écrit. Mais le gouvernement n’a pas écouté ce corps prétendu indépendant dont il a pourtant nommé tous les membres.
D’autre part, dans le code électoral, il y a des contradictions, dont Kamto relève et commente largement la plus grossière. La loi exige que le contentieux électoral en matière d’élections locales se fasse avant la proclamation des résultats, mais en indiquant le nom des personnes frauduleusement élues. Donc pour se plaindre des fraudes dans le décompte des voix, il faut déjà savoir au préalable qui sera proclamé plus tard comme élu par le conseil constitutionnel. Il ne suffit pas de se plaindre contre le premier de la liste, parce que le verdict des urnes ne peut être donné officiellement que par le Conseil Constitutionnel. Donc, aucune contestation n’est en fait recevable, et celui qui est déclaré élu l’est sans recours possible, un point c’est tout ! Qui accepterait ça ? Même Monsieur Le Drian, champion des racistes, serait gêné par un tel procédé dans ses colonies !
Rien que du bénéfice
En se retirant des élections sans crier gare, Kamto prend tous ses adversaires à contrepied, et par ce coup de théâtre, il ouvre un chemin de réconciliation avec les anglophones, donnant une possibilité de retour de ces derniers dans une république sans Biya. Il prend un risque mesuré pour son avenir, sur la base d’analyses plus fines et plus poussées que celles des panélistes de la rue ou de professeurs peu doués, intellectuels faussaires.
Il n’a pas d’information supplémentaire, mais une formation supérieure.
Il se pose enfin comme un chef dont l’aura déborde largement son parti. Si le MRC joue correctement son rôle, alors il le portera à la victoire.
Evidemment, Kamto a bien compris qu’on n’accompagne pas son cheval, on monte dessus. Et tout le monde avance.
Albin Michel Njilo
(Journaliste, Vice président du Mouvement
Agir et coordinateur du Mouvement C’est le Moment)
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