Les prisonniers Anglophones au Cameroun
Le régime de Yaoundé a décidé, les 12 et 13 décembre derniers, de rendre leur liberté à un nombre très limité de nos compatriotes arrêtés et emprisonnés dans le cadre de la Crise Anglophone. Il s’agit là d’un développement heureux. Des observateurs de ce conflit politique avancent des chiffres, selon certains, de plus de 1000, pour d’autres, de 3000 personnes incarcérées.
Des 289 libérés, un cas est pour moi évocateur. Pour la sécurité de ce compatriote, je ne mentionnerai pas son nom. Il se trouvait à Bamenda au mois de décembre 2016, dans le restaurant de sa maman, lorsque les forces de sécurité à l’occasion d’une rafle y firent une descente. Ni sa génitrice ni lui ni aucun membre de sa famille ne sont politisé ou impliqué dans les événements dramatiques qui étranglent les deux régions anglophones du Cameroun. Mais ce citoyen a été arrêté, déporté à Yaoundé et jeté à la prison centrale de Kondengui : sans jamais être jugé. Je l’ai rencontré à l’Hôpital Général de Yaoundé, sa maman et son épouse venues du Nord-Ouest à ses côtés. Une hernie était sur le point de l’emporter, n’eût été l’intervention et la mobilisation exceptionnelles d’un généreux compatriote bénévole à la Fondation Ayah. Deux années en prison, sans commettre aucune infraction à la loi. Et aucune excuse ni compensation de l’Etat.
Mais, aussi choquante que la situation de ce brave monsieur puisse être, il compte parmi les plus chanceux. Cette semaine sur la BBC, dans le cadre de l’émission de The Fifth Floor, un habitant de la même ville de Bamenda rapportait : « the logic of the security forces is that, if you are well built, then the chances of you being a fighter are greater, (…) many people have been killed because they looked suspicious ». Les exécutions sommaires ou extrajudiciaires, ajoutées au racket des populations, de la part des forces de sécurité et de défense de l’Etat camerounais sont une réalité dans les régions anglophones. Elles terrifient les civils non armés qu’elles sont pourtant censées protéger, même dans le cadre d’un conflit interétatique. Or, il s’agit ici de deux régions et de populations officiellement camerounaises. La tactique de guérilla urbaine des forces opposées, les groupes armés séparatistes, qui n’arborent pas de tenue militaire et se confondent aux non belligérants, combinée à la paranoïa de l’armée camerounaise, cause un nombre de victimes et de morts que nous ne connaîtrons certainement jamais avec exactitude. Des familles restent et resteront à jamais sans nouvelles de leurs proches arrêtés et exécutés par l’armée ou les groupes séparatistes et jetés dans des fosses communes.
De simples revendications d’avocats et enseignants ont débouché sur une catastrophe humanitaire dont l’ampleur va grandissante. Pourquoi le régime de Yaoundé refuse-t-il de mettre un terme aux souffrances des populations de ces deux régions, en libérant toutes les personnes incarcérées dans le cadre de cette crise, en décrétant un cessez-le-feu suivi d’une démilitarisation et, enfin, en dialoguant ou négociant avec toutes les parties, notamment sur la question de la forme (et la nature) de l’Etat ? Il est permit de douter que gouvernement de Yaoundé souhaite un Cameroun en paix.
Malheureusement, mettre un terme à l’arbitraire et à tous type d’abus et violations des droits fondamentaux passe aussi par une résolution politique de la Crise Anglophone. Et avoir une Armée républicaine, qui est le bouclier du Peuple, et non une dont les soldats, eux-mêmes victimes de leur hiérarchie corrompue, sont les bourreaux de leurs propres compatriotes, est un des plus grands challenges que le Cameroun doit relever.
Ogolong Ondimoni Ombano (JMTV+)