Au matin de son indépendance, le Cameroun affichait un taux de croissance à faire pâlir le continent africain et les pays du Sud. Il était cité en exemple. Cette croissance s’est poursuivie malgré le premier choc pétrolier de 1973 qui a vu de nombreux pays africains solliciter l’aide de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International.
La dynamique de développement était très ancrée dans les investissements prioritaires afin de limiter la dépendance du pays. Ces choix ont permis de maintenir à l’équilibre la balance du commerce. Le Cameroun, à l’époque labelisé comme un pays à revenus intermédiaires offrait à sa population un niveau de vie à faire des envieux. Le mot « pauvreté » échappait alors au vocabulaire usuel.
Rien, en cette période de croissance affichée ne pouvait présager des lendemains douloureux. La dégradation économique a entrainé, depuis une trentaine d’années, le délitement du climat social. Toutes les catégories sociales ont vu leurs moyens de subsistance se dégrader. La population s’est interrogée. Dans un système où la parole est d’avance confisquée, le murmure s’est installé.
Face au mutisme des autorités incapable de se réinventer, le pays est entré, malgré lui, sous un cycle de la « débrouillardise » dont on connait les conséquences dramatiques sur le plan économique et social.
Un dialogue aurait sans doute pu limiter les dégâts. Il n’en a rien été. La parole est verrouillée. La descente aux enfers connait à l’heure actuelle une trajectoire abyssale. Le Cameroun vit à l’heure de la rumeur. La pauvreté s’est durablement installée.
A qui la faute ? Elle n’incombe pas seulement au gouvernement incapable de combattre sans relâche un poison qui réduit à l’échec toutes les perspectives. Tout le monde a sa part de responsabilité dans cet échec collectif. Pourquoi ? tout simplement parce que ni le pouvoir en place, ni la prétendue opposition, encore moins les pseudos intellectuels n’ont eu l’audace de dénoncer et combattre un mal qui est devenu insupportable : la corruption à tous les niveaux d’une administration déshumanisée.
Cette peste réduit les perspectives et pousse à l’exil les forces vives. Soyons capables de reconnaitre ensemble notre empathie et l’absence d’indignation dont nous faisons preuve. Et s’il était vrai que nous manquons tous de courage ?
Vers un premier lever de bouclier ?
La grogne, dans le climat social actuel ne s’exprime que par la rumeur. Elle est véhiculée aujourd’hui par les réseaux sociaux et une presse qui ose. La détérioration du climat social a atteint les limites du supportable. Les langues se délient enfin pour dénoncer les frustrations sociales à travers le mouvement « Craie morte ».
Les instituteurs vivent dans une précarité déshonorante. Ils ont pris le risque de se faire entendre et sortir de leur anesthésie générale. Ils ne sont pas les seuls. Mais, à écouter les récits des uns et des autres, nous avons l’impression de nous trouver dans une jungle où la loi n’obéit à aucune règle. Un fonctionnaire qui exerce légalement son métier peut-il vivre sans un salaire des décennies durant ? Il a en charge l’avenir de ceux qui présideront aux destinées du pays. Ce métier est un sacerdoce. Il n’est exercé que par ceux qui ont le mérite d’offrir leur savoir, leur intelligence et leur amour. Ils ont donc besoin de reconnaissance.
Face à l’inertie du pouvoir central, certains corps de métiers se sont joints aux enseignants. Il s’agit des transporteurs, des enseignants du supérieur, des agents de la santé, etc. Cet éveil prévisible dans un climat où la frustration sociale n’est plus supportable peut entrainer un désordre social aux conséquences imprévisibles. Le pouvoir central en a-t-il conscience ?
Le déclin du climat social dans un pays aux richesses endogènes énormes trahit l’immobilisme du pouvoir central. Il serait temps de changer un logiciel usé pour une nouvelle dynamique qui fera adhérer toutes les forces vives placées sur leurs starting-blocks et disposées à apporter un sang nouveau, générateur de progrès social.
Par Michel Lobé Étamé
Journaliste Indépendant