Ceux qui ont publiquement , aperçu Ahmadou Ahidjo à Dakar , les premières années de son exil sénégalais , sont unanimes sur le fait qu’il aimait se recueillir tout seul , sur la terrasse d’un grand hôtel de la place , faisait face à l’océan .
On le surprenait alors , les deux poignets croisés sur sa poitrine et , le regard perdu au lointain dans d’interminables méditations .
À quoi pouvait -il bien penser , dans ces moments d’extrême solitude et de recueillement ? Repensait -il à toutes ces années , pendant lesquelles , il fut au paroxysme de sa gloire ? Sans doute , mais il devait sûrement aussi lui arriver de repenser , aux conditions de la fulgurance de on parcours politique , et à tous ceux qui l’avaient combattu et qu’il avait lui-même combattu , car c’était la loi du genre .
Repensait-il seulement alors , au message que lui avait fait parvenir Ernest Ouandié , le dernier chef historique de l’UPC exécuté le 15 janvier 1971 , à Bafoussam sur la place , trois semaines avant la visite du président français , Georges Pompidou ?
Ernest Ouandie, avait été jugé et condamné à mort , au terme d'un procès bâclé et expéditif au tribunal militaire de Yaoundé en 1970 . Ses amis mobilisés à l'étranger , avaient évoqué des simulacres de mascarade judiciaire, exact terme qu'emploiera curieusement Ahidjo 14 ans plus tard , lorsqu'en 1984 , le même tribunal militaire le condamnera par contumace à une peine de prison de 20 ans , pour complot contre la sécurité de l'État .
Peu avant avant que le peloton d'exécution ne se mette en place en ce 15 janvier 1971, Ernest Ouandié avait comme deux des acolytes , droit au respect de trois dernières volontés . 1- Il demanda qu'on lui serve une bière . Pour la petite histoire , retrouvant soudainement ses vieux instincts d'enseignant qu'il fut à la ville , reprit vertement un militaire qui lui demandait : " Vous voulez qu'on vous donne une bouteille de bière ? " Donnez-moi une bière , et non une bouteille de bière , rétorqua-t-il .
Sa deuxième volonté, consistait à ce qu’on ne lui banda pas les yeux , au moment de son exécution . ” Si ces messieurs veulent me tueur , qu’ils aient au moins le courage de leur actes , et qu’ils me regardent dans les yeux . avait-il .
Enfin , la troisième volonté consistait à ce qu’il adresse un message enregistré à l’adresse d’Ahidjo , dont la teneur était la suivante :
” Malgré l’insistance de l’UPC , pour une issue pacifique à ce qui est un combat pour notre souveraineté, tu as , aidés des colonialistes et des impérialistes systématiquement pourchassé , et éliminé les dirigeants de ce parti . Je vais certes mourir , mais je meurs dans la terre de nos ancêtres . Toi , quand viendra ton heure , tu mourras à l’étranger très loin des siens , et ton âme en tourment et en peine , ne connaitra jamais de repit . ”
Au terme de ce message émouvant , certains militaires avaient de la peine à contenir leurs larmes .
Quand les premières balles commencèrent à crépiter , Ernest Ouandié avant de succomber face contre sol , lança : ” Vive la République ! L’histoire jugera ! ” Telles furent ses dernières paroles . Parmi les militaires , chargés de faire couler du béton sur sa dépouille , un de ceux qui étaient en larmes , noua son poignet gauche d’un sac plastique , histoire de pouvoir l’identifier un jour , puisque les trois hommes avaient eu une tombe commune .
Jean-Pierre Du Pont