L’accord de partenariat économique (APE) pour le commerce et le développement entre l’Union européenne (UE) et le Cameroun est entré en vigueur le 4 Août 2016. Cet accord dit “intérimaire”, garantira réciproquement à notre pays et l’Union européenne, le libre accès aux marchés domestiques, et la diversification des activités économiques.
Dans une note rendue publique le 28 Juillet 2016, la commission européenne informe l’opinion publique et les médias que cet accord prévoit l’accès en franchise de droits de douane et sans contingentement à son marché, des exportations en provenance du Cameroun. Notre pays quant à lui, ouvrira progressivement son marché domestique aux exportations européennes sur une période transitoire prévue jusqu’en 2023. Cette ouverture portera sur 1 500 produits, tout en assurant la protection des secteurs agricole et industriel camerounais, considérés comme sensibles.
(Source : Eurostat. Commission Européenne, 2016.En Millions d’Euro) *1
Dans nos médias, l’opinion publique, la classe politique et les milieux d’affaires ont exprimé leurs inquiétudes quant à l’entrée en vigueur de cet accord intérimaire objectant que notre tissu industriel est constitué essentiellement de petites et moyennes entreprises (PME) sous capitalisées, qui nécessitent une protection contre la concurrence des entreprises multinationales européennes. Par ailleurs, l’entrée en franchise de ces produits manufacturés au Cameroun entraînera une baisse importante des recettes douanières. Mr. Henri Dikoume Mbonjo a exprimé son inquiétude lors d’un débat télévisé quant à l’impact négatif de l’accord intérimaire au plan macroéconomique. Pour cet expert-comptable, son entrée en vigueur entraînera la substitution de la production locale aux importations, la fermeture de certaines unités industrielles, ainsi que l’augmentation du déficit des balances commerciale et de paiement. Pour certains acteurs de la société civile, cet accord transformera notre pays en un “gigantesque comptoir commercial” et orientera les capitaux investis dans l’industrie camerounaise vers l’importation de marchandises fabriquées en Europe.
Notre économie peut elle résister à l’impact négatif que pourrait créer l’entrée en vigueur de l’accord intérimaire ? Au milieu des années 1990, l’Etat camerounais a dû assouplir les conditions d’importation des marchandises fabriquées en Asie (Chine), ou en transit au Moyen Orient (Dubaï) afin de lutter contre l’inflation et préserver le pouvoir d’achat des ménages camerounais, mis à mal par la dévaluation de notre monnaie, et les baisses des salaires des travailleurs de la fonction publique. Malgré ce choc, l’économie camerounaise démontra pour la première fois sa capacité de résilience.
TRADE BETWEEN CAMEROON AND THE WORLD (Source Eurostat 2015)
A cause du faible pouvoir d’achat de nos ménages, les camerounais consomment des produits manufacturés peu élaborés qui sont essentiellement importés de Chine et du Nigeria. Le tableau ci dessus expose la position de l’Union européenne et ces deux partenaires dans notre commerce extérieur, ainsi que le déficit commercial résultant pour le Cameroun. En effet, les statistiques démontrent que le Nigeria exporte 14 fois plus qu’il n importe du Cameroun. A cause de la porosité de nos frontières, et du non déploiement de l’administration des douanes à tous les points de passage des marchandises, notre pays perd d’énormes ressources budgétaires. Malgré cela, notre économie résiste et parvient à engranger des points de croissance économique.
Lors de la signature le 11 Avril 2014 d’un accord de libre-échange entre le Cameroun et le Nigeria, le Ministre du Commerce Luc Magloire Mbarga Atangana déclarait dans une interview au journal Mutations : “Cet accord devrait concrètement permettre au Cameroun de pouvoir accéder au marché du Nigeria sans obstacles ni contraintes”. Bien qu’il soit assez tôt pour apprécier son impact sur le rééquilibrage de notre déficit commercial, nous notons que cet accord de libre-échange avec le Nigeria n’a soulevé aucune indignation dans l’opinion publique, les médias, la classe politique et les milieux d’affaires, alors que notre pays y est essentiellement perdant pour l’instant.
Quid de notre économie
Depuis le 4 Août 2016 et l’entrée en vigueur de l’accord d’étape vers l’accord de partenariat économique entre l’union européenne et le Cameroun, une interrogation subsiste : Que gagnera à terme notre économie ? Les statistiques de la commission montrent que l’Union européenne est le premier partenaire commercial de notre pays. Nous tirons 40% de nos recettes d’exportation dans nos échanges avec l’union européenne, contre 28% seulement à l’importation. Le solde des échanges avec l’union européenne est excédentaire en faveur du Cameroun, à l’inverse du Nigeria où il est très déficitaire. En signant l’accord d’étape, nous perdons certes des recettes douanières, mais préservons la solvabilité de notre pays à savoir notre balance de paiement soutenue à 40% par nos exportations vers l’Union Européenne. Par le même fait, le Cameroun préserve également les emplois et les ressources budgétaires induites par nos exportations vers l’espace économique européen.
Dans le répertoire des entreprises publié par l’Institut National de la Statistique (INS), nous observons que plus de la moitié des 100 premières entreprises camerounaises en termes de chiffre d’affaires ont pour activité, le commerce de gros, de détail, ou encore les prestations de services à faible valeur ajoutée. Cela veut dire que l’activité économique dans notre pays est assez spéculative et ne crée pas réellement de valeur ajoutée. Mieux, la nomenclature de la Chambre de Commerce de l’Industrie, des Mines et de l’Artisanat (CCIMA) portant sur les biens manufacturés par les unités industrielles camerounaises, démontre que notre production est peu élaborée, basique et à faible valeur ajoutée : savon de ménage, pâtes alimentaires, boissons, huiles alimentaires…. La valeur ajoutée créée par notre industrie est très faible, donc la richesse créée est insignifiante et ne permet pas au Cameroun d’enclencher un cycle de croissance inclusive.
A titre d’exemple, la Société Camerounaise de Raffinage Maya (SCR MAYA) réalise un chiffre d’affaires hors taxes de 36 milliards de FCFA, avec un effectif de 650 travailleurs (Source INS). Son concurrent espagnol Casa Kiriko SA qui a une production mieux élaborée réalise le même chiffre d’affaires avec seulement 60 employés (Source annuaire Kompass).
Au Cameroun, les principaux obstacles d’une production industrielle à réelle valeur ajoutée sont entre autres : l’absence d’une large classe moyenne dotée d’un pouvoir d’achat conséquent, et une offre de crédit à la consommation. La Banque Mondiale estime pour l’année 2015, la population du Cameroun a 23,1 millions d’habitants (Source World Bank Cameroon Data). Selon l’Institut National de la Statistique, seulement 979 406 habitants possèdent un emploi déclaré (Source INS 2013). Enfin, la Banque Africaine de Développement (BAD), dans son enquête sur la classe moyenne africaine intitulée : “The Middle of The Pyramid, Dynamic of The Middle Class in Africa” estime la classe moyenne camerounaise à 16,1% de la population, soit environ 3,719 millions d’habitants. Il est difficile pour l’industrie locale de réaliser des investissements aux standards internationaux afin de proposer une offre à forte valeur ajoutée, car la taille réelle (et non potentielle) de notre marché domestique est petit, comparé à celle de l’union européenne : 800 millions (Source CREDOC). En plus, le marché domestique de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) peine à se mettre en place à cause de l’absence d’infrastructures modernes de transport, de la libre circulation des personnes, de l’insécurité….
La mise en place d’un cadre de libre échange entre les 28 pays de l’Union européenne et le Cameroun permettra aux industriels nationaux ou étrangers qui s’implantent chez nous, d’intégrer dans l’étude de marché non seulement notre classe moyenne, mais également celle de l’Europe. A terme, les entreprises implantées au Cameroun pourront affronter sur le marché européen, la concurrence d’Amérique du Sud et d’Asie, et gagner des parts de marchés sur le segment de l’alimentation “ethnique” destinée à notre diaspora, des produits agricoles bio, du mobilier “colonial”, de l’artisanat et de la décoration intérieure….
La signature de l’accord intérimaire devrait permettre au Cameroun d’attirer les délocalisations industrielles. Le port en eau profonde de Kribi ramène désormais “le transit time” à 10 jours sur porte-conteneurs géants, vers tous les grands ports européens. Les aéroports de Douala et Yaoundé pourront désormais permettre des livraisons aériennes à flux tendus en une demi-journée vers les plates-formes commerciales de Rungis ou Amsterdam. Notre pays a réalisé des progrès dans la scolarisation de sa population qui est en majorité jeune et multilingue. Avec les outils modernes de gestion des ressources humaines dans le recrutement, la formation et l’insertion, les firmes multinationales trouveront aisément au Cameroun toutes les compétences nécessaires pour la réalisation d’investissements dans l’industrie. L’urbanisation, le vieillissement de la population et la hausse du coût du travail en Chine a rendu compétitive la jeune main d’oeuvre qualifiée de notre continent. En y ajoutant la stabilité politique et monétaire, la proximité du marche Nigeria et congolais(RDC), nous concluons que notre pays est assez bien placé pour attirer les délocalisations industrielles européennes
La franchise progressive des droits de douane sur la matière première destinée aux industries, la hausse des volumes importés permettra d’engranger les économies d échelles pour nos unités industrielles. Par le même fait, cela permettra une baisse des coûts de production dans nos usines, l’augmentation de notre compétitivité sur le Nigeria, et une meilleure rentabilité de nos projets industriels.
A terme, l accord de partenariat économique permettra le transfert de technologie et surtout la hausse de la productivité de nos industries, ce qui constitue le principal pilier d’une croissance économique inclusive. La franchise progressive des droits de douane sur le matériel et les équipements industriels entraînera pour nos entreprises, la baisse sensible du coût d’acquisition de l’outil de production. En effet, la vente du matériel industriel s’accompagne de la formation des employés sur site, de l’assistance technique et parfois de la cession des licences de fabrication des produits. En français facile cela s appelle du transfert de technologie.
L’accord de partenariat économique devrait à terme permettre à l’économie camerounaise de renouer avec une croissance inclusive parceque nos industries pourront désormais améliorer leur productivité. En économie, la productivité mesure la performance de l’appareil de production, ou encore la quantité de biens (en valeur) produit pour une heure de travail. Afin de mettre en évidence la faiblesse de la productivité de nos industries, revenons à l’échantillon d industrie camerounaise et espagnole. SCR MAYA du Cameroun réalise un chiffre d’affaires hors taxe de 36 milliards Fcfa avec 650 employés, alors que Casa Kiriko SA son concurrent espagnol réalise la même performance avec seulement 60 salariés. En prenant comme hypothèse que chaque salarié travaille 3000 heures par an en moyenne, le salarié de SCR MAYA produit environ 18500 Fcfa de biens par heure de travail, contre 200000 Fcfa de biens par heure pour son concurrent espagnol, soit 11 fois la performance horaire de son concurrent camerounais. Voilà qui explique en partie l’écart entre notre économie et celle des pays industrialisés.
Les faiblesses de notre économie
Les gains de productivité d’une économie dépendent de la performance de l’outil de production des entreprises, surtout du matériel industriel. Le produit intérieur brut du Cameroun est faible à cause de la vétusté des équipements de nos usines et entreprises de services : le coût de la maintenance, la consommation d’énergie élevée. Notre produit intérieur brut est peu dynamique et la marge de progression de notre taux de croissance et de création d’emplois est faible parce que nos industries n engrangent pas les gains de productivité. Sans gain de productivité, les profits et les investissements des entreprises industrielles et de services stagnent, ainsi que la rémunération des travailleurs puis les ressources budgétaires de l’Etat camerounais.
L’entrée en vigueur des accords d étape vers l accord de partenariat économique (APE) permettra au Cameroun à terme, de renouveler l’outil de production, de remplacer le parc de machines vieillissantes dans nos usines par du matériel neuf, performant, permettant à notre économie d’engranger des gains de productivité et partant, déclencher un cycle de croissance inclusive.
Quelle stratégie mettre en place pour doper la croissance économique de l’Etat du Cameroun via l’accord de partenariat économique (APE) ?
Nous devons mettre en place un e-guichet unique de formalités pour les créateurs d’entreprises camerounais et étrangers. En plus de la dématérialisation des transactions (Procédures, paiement), ce site web doit également contenir en plusieurs langues, la totalité des informations, des statistiques dont a besoin un investisseur qui s’intéresse au Cameroun.
Afin d attirer les délocalisations industrielles de l’Union européenne, notre pays doit investir dans les infrastructures économiques pour compléter le programme en cours dans l énergie. L’état doit restructurer et recapitaliser la MAGZI, afin qu’elle crée les parcs d’activités, à savoir : l’aménagement de terrains, la connexion d’eau, d’électricité, de télécommunications, et surtout de bâtiments industriels à louer ou acquérir en leasing.
Notre Etat doit lancer un programme de refinancement à des taux bonifiés, de sociétés de crédit bail d’équipements industriels destinés aux unités existantes.
L’Etat doit créer à terme, sous le modèle d’une banque de développement, une banque d’équipement des petites et moyennes industries (PME). Cette banque peut lever un ou plusieurs Eurobonds destinés au financement des équipements industriels.
Le Cameroun doit aussi construire autour des aéroports internationaux de Douala et Yaoundé, des entrepôts modernes destinés à l’entreposage et le traitement rapide des marchandises, car la mise en place d’un pont aérien vers l’Europe permettrait aux entreprises exportatrices du Cameroun de fonctionner en flux tendu, d’honorer les commandes de produits agricoles frais, ou hyper frais, ainsi que l’industrie de l’assemblage….
A terme donc, l’accord de partenariat économique sera bénéfique pour notre pays, mais tout dépendra de la stratégie du gouvernement camerounais.
Elisee Yonta, Analyste Financier – Economiste.