L’histoire encore toute fraîche du Cameroun célèbre le roi Rudolph Duala Manga Bell, un héros de la lutte d’indépendance pour son courage, sa détermination et sa résilience à défendre les terres du peuple Sawa accaparées par le colonisateur allemand. Nous croyions que cet épisode a pris fin avec l’indépendance et la gestion de nos terres par la nouvelle administration nationale.
L’histoire se répète. Le peuple Sawa est confronté aujourd’hui à sa propre administration qui devrait le protéger. Alors qu’il s’attend à une restitution de terres confisquées, occupées, utilisées ou endommagées sans leur consentement libre, préalable et éclairé, l’administration post-coloniale, au nom de « l’utilité publique » s’accapare à nouveau des terres des autochtones et réduit chaque jour leur espace intime et familial.
Au nom de l’utilité publique non démontrée, le peuple autochtone Sawa, dit non contacté, c’est-à-dire qu’il n’a pas de contact avec l’administration, est exclu des décisions qui concernent son propre territoire.
Ces terres représentent « la base de leur identité symbolique » où se déroulent les rituels religieux par exemple. Quand ces terres sont confisquées de force, tout leur mode de vie est détruit.
Le rôle des chefferies
La gestion des biens communs des autochtones est étroitement liée à un chef traditionnel qui représente ses administrés auprès du pouvoir légal. Ce dernier rend des comptes. Il sert de trait d’union entre son peuple et l’Etat souverain.
Notre administration se réfère-t-elle au droit des autochtones comme elle s’y est engagée auprès des Nations-Unies ? L’article 28 de la déclaration stipule que « les peuples autochtones ont le droit d’obtenir réparation, par des moyens qui peuvent inclure la restitution ou, lorsque cela n’est pas possible, une indemnisation juste, équitable et permanente, pour les terres, territoires et ressources qu’ils possèdent ou occupent ou utilisent traditionnellement et qui ont été confisqués, pris, occupés, utilisés ou endommagés sans leur consentement libre, préalable et éclairé » et que cette indemnisation « doit prendre la forme de terres, territoires et ressources de qualité, d’étendue et de statut juridique égaux, ou d’une indemnisation monétaire ou d’une autre réparation appropriée ».
Nous constatons que l’administration n’a pas appliqué le droit sur les terres du lieu-dit « Dikolo » dans le canton Bell. Notre surprise est encore plus grande car le chef supérieur actuel, le prince Ebombou Manga Bell, n’a pas été associé à une décision qui expulse les ayant droits de leurs maisons.
Le prince Eboumbou Manga Bell est-il toujours dans son rôle de garant de la souveraineté de son territoire et de ses administrés ? Nous en doutons.
Une cruauté insupportable
L’administration ou les tenants du pouvoir public ont fait montre d’un mépris total du droit du citoyen. Les maisons du lieu-dit « Dikolo » ont été brutalement démolies au petit matin. Sans sommation, les habitants ont été réveillés dans leur sommeil par des coups de bulldozers. Détruire au petit matin sans sommation les maisons est devenu un rituel de notre administration.
Maitre Joel Etokè, livré à lui-même, a récemment fait les frais de cette justice partisane sans que les chefs traditionnels lèvent le doigt. Qui seront les prochaines victimes chez les Sawa honteusement soumis à l’arbitraire et à leur manque de solidarité ? Une question se pose : les Sawas ont-ils les élites qu’ils méritent ?
Cette opération commando a mis en émoi tout le peuple Sawa. Elle a aussi égratigné tous les autochtones du Cameroun très accrochés à leurs terres ancestrales. Il faut mettre fin à une barbarie au profit des intérêts des opérateurs privés et des spéculateurs immobiliers bien couverts par une administration corrompue.
L’Administration devrait revenir sur cette décision arbitraire qui ne l’honore pas à un moment où le Cameroun a besoin de paix, de sérénité et d’unité pour affronter les défis mondiaux.
Le peuple Sawa tout entier devrait se réunir et conduire dans la légalité une lutte pour faire respecter ses droit séculaires et non négociables.
Le canton Bell sort très affaibli de l’expropriation des terres de ses ancêtres. Mais cet échec est aussi celui de tout le peuple Sawa et des autochtones des différentes régions qui ne se sont pas levés pour défendre un bien ancestral.
Il est peut-être temps de voir à la tête du canton Bell un homme lucide, prévoyant, consensuel, à l’écoute de ses administrés et capable de s’imposer face à une administration corrompue. Le prince Eboumbou Manga Bell est-il à la hauteur des défis en cours ?
Par Michel Lobé Étamé
Journaliste Indépendant