Dans son Histoire du Cameroun, Engelbert Mveng, qui n’est pas un Bamiléké, mais un Béti, membre de la congrégation des Jésuites dont on connaît la rigueur morale et intellectuelle, fait, de son côté, ce témoignage qui sonne aussi comme une apologie du dynamisme bamiléké :
« Ce qui caractérise ce peuple, c’est à la fois une ardeur au travail qui ne compte guère beaucoup de concurrents sous les tropiques, un esprit d’économie
et de prévoyance qui ne va pas sans une certaine âpreté au gain, une intelligence pratique rare, un individualisme qui s’allie harmonieusement à une vie communautaire sans faille ».
Le dynamisme bamiléké n’est donc pas un mythe, c’est une vérité incontestable qui ne doit pourtant pas constituer un motif d’orgueil. Ils le doivent à leur histoire, à leur éducation et à leurs traditions. L’ostracisme dont ils sont victimes depuis de longues années concourt paradoxalement à accroître leur potentiel d’énergie et d’ingéniosité. Placés dans les mêmes conditions d’austérité, les autres feraient autant. Rien n’est inscrit dans les gênes. Tout est culture. L’idée de race supérieure est le plus barbare des préjugés qui aient jamais été. Elle a fait ses victimes et capitulé avec le régime nazi à la Deuxième Guerre mondiale.
Les Bamiléké sont un peuple très laborieux. Qu’on les regarde à l’oeuvre ! Ils sont sur tous les fronts, entreprenants, endurants, portant le travail à une autre
dimension. Qu’il neige ou qu’il pleuve, ils sont au travail, les hommes comme les femmes, les jeunes comme les moins jeunes. Le travail est véritablement un culte, une religion chez ces gens-là !
Bafoussam, la capitale de leur région, est une ville commerçante en
ébullition permanente. En dehors du petit centre administratif, tous les quartiers
ne sont que des commerces et des ateliers : de couture, de menuiserie,
d’électricité, de soudure, d’électronique et que sais-je encore ! Quartier résidentiel chez ces gens-là, un vain mot ! Ils ont tôt fait de tout transformer en
boutiques, ateliers voires fermes porcines ou avicoles ! Ce n’est pas une qualité,
bien sûr. Mais, le dynamisme des Bamiléké ne souffre d’aucune discussion. Ils
quadrillent tous les secteurs de l’économie nationale. C’est même le côté par
lequel ils dérangent le plus.
Dynamisme et agriculture
Peuple de commerçants, les Bamiléké sont avant tout des agriculteurs
acharnés comme nous venons de le montrer. Ils cultivent tout, depuis les
cultures dites de rente jusqu’aux cultures vivrières et maraichères. Aucun
espace cultivable n’est négligé, même pas les abords des voies, qu’elles soient en terre ou bitumées ! En ville comme en rase campagne, vous trouverez
difficilement un espace libre autour de leur maison ou dans leur quartier qui ne
soit un potager. Les Bamiléké intègrent difficilement la culture des fleurs et des
plantes ornementales dans leur environnement ! Ils leur préfèrent les bananiers,
le maïs et les autres plantes potagères jugées utiles et plus rentables. Ils sont si
pragmatiques et portés sur l’utile qu’ils ne s’apercevront pas des mutations en
cours qui font de plus en plus des fleurs une culture plus rentable que les
espèces comestibles.
Dès trois heures de la nuit, dans toutes les villes de la région de l’Ouest, les
camions assurent le transport vers les zones agricoles. A Bafoussam, à
Bangangté, ils transportent les cultivateurs, hommes et femmes confondus,
qu’ils déversent à 20, 30 km, dans les riches plaines du Noun. C’est cela, le
Bamiléké : le travail ! Encore le travail ! Du matin au soir et tous les jours de la
semaine !
A la limite, on peut dire que les Bamiléké ne vivent pas, ils travaillent. C’est
une espèce qui travaille à toute heure, ne s’arrête que là où l’épuisement extrême place ses bornes. Les jours interdits, ménagés dans leur semaine pour le repos, ne proscrivent que le travail à la houe ! Alors, ils rusent, se replient sur
les machettes, et le travail continue ! En période de pointe, c’est souvent tard le
soir, au-delà de 19 heures, que les femmes bamiléké rentrent des champs,
chargées de lourds fardeaux de provisions ou de bois de chauffage. Et, avant le
jour, elles seront de nouveau reparties ! Si cette manière de travailler ne dénote
pas un caractère dynamique, qu’on nous dise comment il faut le qualifier.
Les Bamiléké consacrent très peu de temps au loisir. Ils s’en donnent très
rarement d’ailleurs. A part les funérailles qui sont un temps d’arrêt obligatoire
d’activités – solidarité oblige – pour faire place aux danses et aux mouvements
de foules ; à part les veillées au coin du feu qu’on agrémente de contes, à l’état
naturel, on ne leur connaît aucun autre moment de détente. N’est-ce pas un sujet à débat ? Le dynamisme bamiléké a quelque chose de pervers, quelque chose d’excessif, qui aliène, il faut aussi le reconnaître. De la mesure, n’est-ce pas ? il en faut en toute chose.