LA CONSÉCRATION DE LA MONDIALISATION DES EQUIPES EUROPÉENNES DE SPORTS COLLECTIFS
Le 30 décembre 2002, le Conseil d’Etat prononçait une décision au profit de la basketteuse
polonaise Lilia Malaja, interdite de jeu à Strasbourg en raison de sa nationalité et victime de
la réglementation des quotas de joueurs(ses) étrangers. L’arrêt Malaja a été aussitôt qualifié
d’ « arrêt Bosman à la puissance 10 » par Sepp Blatter, alors président de la Fédération
internationale de football. C’est actuellement l’anniversaire de cet arrêt qui a complètement
transformé et révolutionné la composition des équipes de sports collectifs devenues
cosmopolites.
L’élargissement des possibilités de recrutement des clubs
Avec l’arrêt Malaja accordant de nouveaux droits aux sportifs, les lignes Maginot du sport ont
« explosé ». Les possibilités de recrutement de joueurs étrangers par les clubs en Europe ont
augmenté très sensiblement en application des Accords européens, véritables Traités
internationaux, signés par l’Union européenne avec des Etats tiers (Europe de l’Est, Maghreb,
accord de Cotonou avec la zone Afrique-Caraïbes-Pacifique…).
Le Conseil d’Etat en rendant applicable l’accord d’association signé entre l’Union européenne et la
Pologne édictant l’interdiction de la discrimination en raison de la nationalité en ce qui concerne les
conditions de travail, est à l’origine d’une innovation dont les clubs vont ensuite profiter.
Ainsi, l’arrêt Malaja, faisant “jurisprudence”, va considérablement transformer le paysage sportif,
ouvrant en grand la porte de la mondialisation pour les joueurs étrangers qui pendant longtemps
ont été soumis à des restrictions dans les clubs européens.
Des stars sud-africaines du rugby en France
Le rugby est entré de plein pied sur la scène mondiale grâce à l’arrêt Malaja et quelle entrée
mondiale ! L’accord de Cotonou a permis l’arrivée remarquée des joueurs du Pacifique (Fidji,
Samoa…) et également des joueurs sud-africains qui ont été fort nombreux à être recrutés par les
clubs. Qui n’a pas entendu parler des grandes stars de l’Afrique du Sud dans le rugby anglais et
français ? L’arrivée de Springboks a donné à la fois une visibilité et également une audience,
toutes deux inédites et exceptionnnelles à la discipline.
Le capitaine de l’Afrique du Sud championne du monde en titre Siya Kolisi s’est engagé avec le
Racing 92, c’est une sacrée nouvelle pour le rugby français. D’autres joueurs sud-africains vont
sans doute l’imiter dans les mois à venir.
Dix joueurs étrangers voire onze au coup d’envoi de matches de football
Vingt ans après, la victoire pour les droits des sportifs est réelle puisqu’à la politique des quotas
des joueurs étrangers a succédé la liberté de circulation et d’embauche des sportifs qui peuvent
mettre leurs talents au service des clubs européens. C’est l’apport de l’arrêt Malaja qui fait suite à
la secousse de l’arrêt Bosman (1995) qui concernait seulement les joueurs communautaires.
De nombreux clubs de l’Union européenne ont bénéficié de l’application de l’arrêt Malaja et donc
des accords européens puisqu’à l’époque du prononcé le 30 décembre 2002, le nombre d’Etats
membres de l’Union européenne était moindre qu’aujourd’hui et des Etats signataires des accords
n’étaient pas encore membres de l’UE (15 Etats seulement étaient membres de l’Union
européenne à l’époque ; aujourd’hui, 26).
Les clubs européens comptent désormais de très nombreux joueurs étrangers quel que soit la
discipline concernée et il est arrivé à certains clubs de football de débuter une rencontre avec dix
voire même onze joueurs étrangers au coup d’envoi, ce qui était impensable il y a une trentaine
d’années. La grogne est grande dans certains Championnats où certains jugent que la présence
des joueurs étrangers est excessive mais la mondialisation est là, elle est irréversible, l’arrêt
Malaja y a nettement contribué.
L’arrivée de la diaspora africaine dans le foot
Avec l’application des accords avec le Maghreb et ceux de Cotonou, les sélections nationales
bénéficient de l’apport de leurs joueurs nationaux venus jouer en grand nombre en Europe. Leurs
joueurs exerçant en Europe, constituent l’ossature de différentes équipes nationales.
L’illustration la plus probante est celle du Maroc. En effet, lorsque l’équipe nationale du Maroc a
atteint les 8 èmes de finale de la Coupe du Monde 1986, le nombre de joueurs évoluant en Europe
était de cinq sur un effectif de 22 joueurs sélectionnés, soit une très faible proportion, alors que
lors de son premier match contre la Croatie lors de la Coupe du Monde 2022, le sélectionneur du
Maroc a aligné au coup d’envoi onze joueurs évoluant en Europe et plus précisément dans sept
Championnats européens différents (Espagne, Allemagne, Angleterre, France, Italie, Belgique,
Turquie). L’arrêt Malaja est passé par là…
Quelques mois avant le Mondial 2022, le Sénégal était « européen » en remportant la finale de la
Coupe d’Afrique des Nations avec un onze de départ 100% expatrié en Europe et n’oublions pas
la sélection d’Algérie, gagnante de la finale de la Coupe d’Afrique des Nations en 2019 avec au
coup d’envoi sept joueurs évoluant en Europe dans le onze de départ.
Quant aux joueurs de l’Europe de l’Est issus des pays signataires des accords, comme la Pologne,
ils sont également nombreux en Europe de l’Ouest et sont considérés comme des joueurs
communautaires ces dernières années avec l’adhésion de leurs pays dans l’UE quelques années
après, bénéficiant ainsi de la liberté de circulation au sein de l’UE.
Comment en est-on arrivé là ?
A l’origine de la procédure, Lilia Malaja perd son procès à Strasbourg, capitale de l’Europe… mais
gagne à Nancy et au Conseil d’Etat.
Le règlement de la Ligue féminine de basket-ball était le cœur du conflit. Il limitait à deux le
nombre des joueuses extra-communautaires par club, c’est-à-dire non ressortissantes de l’Union
européenne, qui à cette époque comptait 15 pays. La basketteuse polonaise Lilia Malaja est
recrutée par le RC Strasbourg basket pro féminin mais en application des règlements, elle est
l’étrangère de trop, le club ayant déjà deux joueuses non-communautaires. L’agent de la
basketteuse François Torres et le président du club Patrick Kramer nous demandent d’attaquer
l’interdiction de jeu de Lilia Malaja.
Avocat à Marseille, nous défendions des sportifs notamment des footballeurs sous contrat avec
l’agent de joueurs Pape Diouf. Nous avions découvert l’existence des accords d’association et de
coopération signés par l’Union européenne et des Etats tiers en préparant une thèse de doctorat
en droit sur le thème du Sport et de l’Europe, soutenue en décembre 2000 à l’Université de Nice.
L’Union européenne était engagée avec une centaine d’Etats tiers, accords avec les Etats
d’Europe de l’Est, Maghreb, accord de Cotonou avec la zone Afrique-Caraïbes-Pacifique.
Des accords méconnus donc non appliqués
Lors du procès, ces accords étaient assez méconnus, notamment des dirigeants sportifs. Devant
la conférence des conciliateurs du Comité national olympique sportif français, préalable obligatoire
avant la saisine du tribunal administratif, nous avons soutenu le droit de Lilia Malaja de jouer en
qualité de joueuse communautaire, c’est-à-dire sans restriction, en application des dispositions de
l’accord d’association avec la Pologne édictant qu’il ne pouvait pas y avoir de discrimination en
raison de la nationalité en ce qui concerne les conditions de travail. Lilia Malaja disposait d’un titre
de séjour régulier et d’un contrat de travail et donc, elle devait jouer. Nous soutenions, à bon droit,
la supériorité des dispositions d’un traité international sur la loi interne, et donc sur les règlements
sportifs. Le conciliateur du CNOSF rendait un avis favorable à nos prétentions le 7 octobre
1998. La Fédération faisait opposition, nous obligeant à saisir le tribunal administratif de
Strasbourg qui, à la surprise générale, rejettera notre recours le 27 Janvier 1999. La révolution du
sport à Strasbourg n’a pas lieu. Strasbourg, ville européenne s’il en est… Lors des audiences de
Strasbourg, Lilia Malaja était présente, accompagnée de toutes ses coéquipières, venues la
soutenir.
Le 3 février 2000, la Cour administrative d’appel de Nancy juge « illégale » l’interdiction de jouer
faite à Lilia Malaja par la FFBB et enfin, le 30 décembre 2002, le Conseil d’État tranche
définitivement le litige en confirmant l’arrêt du 3 février 2000 de la cour administrative d’appel de
Nancy. Lilia Malaja a définitivement gagné et l’arrêt a été confirmé postérieurement par la Cour de
Justice dans les arrêts Kolpak, Simutenkov, Khaveci. Vingt années après, les portes de la
mondialisation sont grandes ouvertes…
Michel Pautot,
Avocat au barreau de Marseille, docteur en droit
Auteur de l’ouvrage « Le sport et l’Europe »
Avocat de Lilia Malaja