Tribune. Le débat sur le franc CFA a refait surface ces dernières semaines. Des personnalités italiennes ont accusé ouvertement la France de refuser de décoloniser et de freiner le développement de quatorze pays africains, ex-colonies françaises, par l’instrument qu’est le franc CFA. Face à cette attaque, la France crie à l’indignation et à la fausse accusation. Mais ce qui reste frappant dans sa posture défensive, c’est cette curieuse volonté constante des officiels français, le président Emmanuel Macron en tête, d’accompagner les Africains dans les réformes qu’ils voudront engager vis-à-vis de cette monnaie.
On peut alors s’interroger sur cette idéologie morale de la France qui ne renonce pas à apporter son aide à des Etats dont les peuples les accusent pourtant d’exploitation. Quel est ce désir de vouloir aider quelqu’un qui constamment vous accuse de l’exploiter et, qui plus est, semble parfois ne pas reconnaître les bienfaits apportés ? Pourquoi la France ne saisit-elle pas l’occasion que lui offre l’Italie pour laver son honneur, celui de son peuple et de la nation française ? Pourquoi ne met-elle pas enfin les Africains face à leur responsabilité ? Il ne s’agit nullement de revenir sur le débat des avantages ou des perversités du franc CFA. Il s’agit ici de s’interroger sur la posture alambiquée de la France pour continuer un système devenu anachronique dans l’histoire des sociétés contemporaines.
Création et héritage de l’œuvre coloniale
Il faut se référer à l’histoire de la « mission civilisatrice » de la France pour comprendre l’idéologie de la position française autour du franc CFA. En 2006, au plus fort des débats sur les « bienfaits de la colonisation » lancé par le gouvernement Villepin, les défenseurs, anciens comme nouveaux, de cette mission ont toujours mis en avant les avancées réalisées par l’administration coloniale en matière d’éducation, de santé et de développement des infrastructures.
Le franc CFA, à la fois création et héritage de l’œuvre coloniale, se veut aussi l’instrument de l’amitié, de la bienveillance voire de la continuation de cette mission civilisatrice de la France. Cette obligation morale d’accompagner ses ex-colonies, plus de 50 ans après leurs indépendances, vers le développement économique.
Pour les Français partisans de cette philosophie, le franc CFA offre plus d’avantages que d’inconvénients. Il offre une stabilité économique dans deux sous-régions africaines. Tout comme sa convertibilité fixe avec l’euro représente un atout significatif pour les échanges financiers de ces pays avec le monde. Cette monnaie ne servirait donc que les intérêts des Africains. Et elle est maintenue par la seule volonté des Africains eux-mêmes. Vu sous cet angle, la France officielle s’offusque lorsque des Africains dénoncent cette monnaie et osent l’accuser de « colonisateur » et d’« exploiteur »invétéré. Mais la France se sent humiliée, lorsque la critique gronde et est cette fois portée par ses partenaires européens, notamment l’Allemagne et l’Italie.
Affirmation fallacieuse
Afin de répondre à ces critiques qui sont devenues récurrentes ces dernières années, avec des piques en 2016 et 2017 en raison de l’appropriation du débat par les mouvements sociaux en Afrique de l’Ouest, la France contre-attaque avec deux arguments implacables. D’abord, la fausseté des accusations italiennes d’exploitation dont le franc CFA serait l’instrument. Sur ce point, la France officielle souligne depuis toujours l’insignifiance du poids (à peine 0,25 %) des réserves du compte des opérations des banques centrales africaines (BCEAO et BEAC) dans l’économie française.
Mieux, elle souligne que l’affirmation selon laquelle le franc CFA servirait à appauvrir l’Afrique et à payer la dette de la France est tout simplement fallacieuse. Soit. Mais pourquoi alors engager l’honneur de la nation française dans une politique dont les intérêts sont aussi infimes pour le pays ? Devant l’accusation sans équivoque du vice-président du conseil italien, Luigi Di Maio, la France proteste par les voies diplomatiques en convoquant l’ambassadrice italienne. Car, ici, ce qui est en jeu, c’est l’honneur de la France.
Ensuite, la France brandit la responsabilité des chefs d’Etat africains qui, non seulement maintiennent volontairement cette monnaie, mais pourraient mettre un terme à ce système monétaire décrié s’ils le désiraient. En novembre 2017, répondant aux étudiants burkinabés, le président français Emmanuel Macron reprenait cet argument selon lequel les chefs d’Etat africains étaient libres de quitter le système du franc CFA ou encore de le réformer. Mais toujours avec l’aide et l’accompagnement omniprésent de la France.
Sauver son honneur
Pour qui connaît l’histoire politique de l’Afrique et celle de la politique africaine de la France, cette thèse de la « liberté » d’agir des présidents africains est à prendre avec circonspection. En effet, l’histoire lie pour certains la chute ou la disparition de présidents, notamment Gilchrist Olympio du Togo et Hamani Diori du Niger, et dans une moindre mesure Thomas Sankara du Burkina Faso, à leur velléité de rompre avec les vestiges politiques, militaires et économiques de la colonisation.
Ainsi, les chefs d’Etat actuels de la zone franc CFA choisissent, soit de rester silencieux à l’instar du Burkinabé Roch Marc Christian Kaboré, soit comme Alassane Ouattara de la Côte d’Ivoire et Macky Sall du Sénégal de prendre fait et cause pour le franc CFA, et tous de renoncer ainsi à un pouvoir régalien de souveraineté.
En tout état de cause, il est évident que le débat récurrent sur le franc CFA finit par écorner l’image et l’honneur de la France. Et il est temps de sauver cet honneur bafoué. La France peut sauver son honneur en prenant ses propres responsabilités. Elle peut le faire en renonçant ici et maintenant aux deux sièges que ses représentants occupent dans les conseils d’administration des banques centrales africaines. La France peut laver son honneur en décidant ici et maintenant d’arrêter de frapper le franc CFA en France, à Chamalières, dans le Puy-de-Dôme. La France peut laver l’honneur du vaillant peuple français en décidant de fermer ici et maintenant les comptes d’opération des quatorze états d’Afrique domiciliés à la Banque de France. De cette façon, la France mettrait enfin les chefs d’Etats africains face à leurs responsabilités historiques. Il est temps de mettre un terme à une « mission civilisatrice » de plus en plus décriée.