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Né le 24 août 1924 à Nassarao, près de Garoua, au Cameroun, Ahmadou Ahidjo fut le plus jeune parlementaire camerounais élu à 24 ans, premier président de l’Assemblée nationale, puis premier Président de la République du Cameroun. Il démissionna de ses fonctions le 2 novembre 1982. Membre associé de l’Académie du Royaume du Maroc en 1983, il s’est éteint le 30 novembre 1989 à Dakar. Il aurait eu cent ans ce jour.

Entré dans la vie active comme radiotélégraphiste, il commença sa carrière de fonctionnaire des PTT. à Ngaoundéré en 1942, note son biographe, Philippe Gaillard. La fulgurante carrière politique du seul enfant de Asta Gabdo, sa mère, que l’on appelait aussi Ada Kano, est connue. L’était aussi le magnétisme de sa personnalité, voire la frayeur qu’inspirait son autoritarisme. Homme d’État et bâtisseur, il eut incontestablement une passion, le Cameroun, et un crédo l’unité du pays. Le Secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume du Maroc, le Professeur Abdeljalil Lahjomri, rendant hommage à ce président-académicien, a souvent souligné la force de l’une des formules du dirigeant africain : « Il y en a qui écrivent l’histoire avec des gommages et d’autres avec des visages. » Cette critique de l’ethnocentrisme européen était aussi, pour Ahmadou Ahidjo, amoureux de la lecture et des livres, une invitation faite aux Africains à célébrer leurs héros. Chaque peuple en possède et il est bon de ne point les dissimuler ou de les disqualifier pour le seul bénéfice de figures d’emprunt, supposément universelles, mais sans ancrage avec les lieux, l’histoire et surtout la culture particuliers des hommes et des femmes qui y vivent. 

C’est le 4 mars 1984, lors de la 1re session annuelle de l’Académie du Royaume du Maroc que le président Ahmadou Ahidjo a été solennellement reçu et installé comme membre associé de l’institution royale. Le discours de réception échut à un ancien chef d’État, le Grec Constantin Tsatsos. Il salua ainsi son homologue : « Si l’on pense que vous avez commencé votre carrière à vingt-trois ans et que vous vous êtes retiré à cinquante-huit ans, que vous avez servi sans interruption votre pays pendant trente-cinq ans, on ne peut que s’incliner devant un pareil effort, qui fut une suite de conquêtes au bénéfice de votre patrie. Je suis en mesure, Monsieur le Président, de savoir que la vie politique est une tâche accablante dans des pays qui ressemblent souvent à une mer tourmentée. Toutes les satisfactions que le pouvoir peut offrir ne suffisent pas à compenser toutes amertumes que l’on doit éprouver, toutes les déceptions que l’on doit fatalement subir. » Il y avait aussi des satisfactions immédiates, celle par exemple de retrouver un vieil ami, le poète-président Senghor, avec qui Ahidjo partageait depuis longtemps les mêmes idées dont celle du retrait volontaire de la vie publique en recourant à la démission par conviction personnelle et la transmission pacifique du pouvoir. Senghor, le Sérère et d’obédience catholique quitta ses fonctions à la magistrature suprême du Sénégal, passant le relais au premier de ses ministres, Abdou Diouf. Ahidjo, le Peul musulman, opta pour la même forme de dévolution constitutionnelle et successorale du pouvoir en faveur de son chef du gouvernement, Paul Biya, le 2 novembre 1982. Les deux hautes personnalités francophones formèrent aussi, le quatuor « subsaharien » dans leur compagnie savante avec le cardinal Bernardin Gantin (né le 8 mai 1922 à Toffo, au Bénin, et mort le 13 mai 2008 à Paris) et l’ancien Directeur général de l’UNESCO Amadou-Mahtar M’bow (né le 20 mars 1921 à Dakar, âgé aujourd’hui de 103 ans). 

Ils représentent à bien des égards des artisans d’une coopération nouvelle non seulement Sud-Sud, mais au-delà. C’est la réflexion bâtie sur l’expérience et l’intime conviction que voulut entendre le président Tsatsos en concluant son discours de réception de Ahmadou Ahidjo : « Monsieur le Président, dans cette Compagnie dans laquelle vous entrez aujourd’hui, vous allez connaître un climat plus doux, un monde où la religion, la pensée, la science vous font voir, d’un port aux eaux sures et calmes, les nautoniers au loin ballotés par la tourmente. Vous ajouterez votre longue expérience, votre sagesse à nos travaux et nous serons, soyez-en sûr, très heureux d’en profiter. Mais je voudrais m’arrêter ici, Monsieur le Président, c’est vous que tous mes collègues désirent entendre aujourd’hui. Je partage leur impatience, et je termine mon allocution avec trois mots : Soyez le bien-venu. » 

Le récipiendaire, se tournant vers le secrétaire perpétuel et ses « chers confrères, rendit un vibrant hommage à Sa Majesté le Roi Hassan II et loua le modèle de gouvernance mis en œuvre au Maroc : « Je vois, dans le modèle que nous offre ce pays et son Roi, le résumé des principes et de l’éthique qui m’ont guidé tout au long de ma vie d’homme et d’homme d’État. Pour constituer votre Académie, je dois dire notre Académie, Sa Majesté a d’abord réuni les représentants de toutes les élites du Royaume : professeurs, théologiens, écrivains, savants, techniciens, économistes, hommes politiques. Sa Majesté le Roi illustrant ainsi sa volonté de faire de cette Académie un carrefour de civilisations, y a ajouté d’éminentes personnalités venues de tous les continents : l’Afrique, l’Asie, mais aussi l’Europe et l’Amérique y sont représentées. » 

Le nouvel académicien acheva sa courte allocution sur le double thème de la convergence au plan bilatéral et de l’unité comme impératif catégorique : « Qu’il s’agisse des domaines politiques, économiques et culturels, j’ai toujours eu la conviction que, depuis nos indépendances respectives, nous suivons au Maroc comme et au Cameroun des voies convergentes. Encore que la Nation Camerounaise soit plus jeune que la Nation Marocaine, j’ai toujours été guidé, depuis bientôt quarante ans, par l’obsession de l’Unité : Unité de la nation et Unité de la culture dans la diversité librement acceptée. » 

Deux ans plus tard, ce fut le cardinal Gantin qui rejoignit la Compagnie, rappelant l’Afrique conquérante, par les Almohades, qui « unirent sous l’autorité d’une dynastie berbère, un empire s’étendant jusqu’à Séville. L’empreinte maghrébine en Espagne et notamment en Andalousie est un fait indélébile de l’histoire, de même que la grande influence qu’eurent, sur le Maghreb, les trésors culturels d’Espagne, notamment en architecture. Ils ont fait surgir une véritable civilisation ibéro-maghrébine. » Malgré la maladie et les persistants et violents maux de tête, Ahmadou Ahidjo tenait à lire et préparait méticuleusement les sessions de l’Académie. Il apprécia particulièrement la lecture de la réception de l’écrivain américain Alex Haley, l’auteur du célèbre Roots, en sa qualité de membre associé. Léopold Sédar Senghor prononça l’éloge de l’impétrant et, élevant ces retrouvailles diasporiques au rang de réjouissance suprême, il s’écriant, encenseur, à la tribune de l’Académie en avril 1982 à Rabat : « Quant au sujet de “ Racines ”, j’y ai admiré la partie gambienne du roman, je veux dire la peinture de la société mandingue, qui ne s’arrête pas au folklore, mais va à l’essentiel. En effet, avec l’Éthiopie éternelle et le Soudan -celui du royaume de Méroé-les empires du Ghana et du mali furent les plus brillantes illustrations de la civilisation soudano-sahélienne qui se caractérise par la trilogie du cheval, de la harpe et de la pioche : du combat, de l’art et de l’agriculture. » Dans une institution telle que l’Académie du Royaume du Maroc, effectivement instituée et affûtée pour la réflexion commune et le réagencement des modes de la causerie publique, ses membres sont, du plus proche voisin au plus lointain des humains sur l’échelle géographique, des acteurs de l’approfondissement des affinités indestructibles que l’Afrique construit par elle-même. 

Cette démarche intellectuelle, et qui a lieu en dehors des radars de la diplomatie classique, est un maillon fort de la subdiplomatie. Elle combine les aspects globaux avec l’infradiplomatie sans être assimilable à la paradiplomatie. Le Président Ahidjo apprécia tout ceci, même si la politique active n’était plus son horizon. L’Académie posait à la discussion générale les questions de notre temps. Il participa ainsi, à Tanger, du 11 au 13 avril 1988, à sa dernière session, sur le thème des déséquilibres géopolitiques se résumant en un redoutable constat : « Pénurie au Sud, incertitudes au Nord ». Ahidjo fit le rappel suivant : « La dureté des temps de crise vient de ce qu’ils demandent des sacrifices et que le plus simple moyen pour répartir ceux-ci est encore de les faire subir à ceux qui en ont l’habitude. » Cela dit, l’ancien chef de l’État conseilla au Sud « de ne pas se laisser aller ou à se complaire dans la facilité. Pas davantage à subir on ne sait quelle fatalité. Il a ses atouts (le Sud) ; il soit pouvoir s’en servir : il peut se nourrir, il peut exporter, il peut s’organiser pour mieux défendre ses exportations, cesser d’être victime, quand il vend autant que quand il achète… » 

Cette ligne est maintenant admise et l’attrait pour la diplomatie multipolaire en est l’illustration. Elle souligne à la fois l’arc souverainiste et la nécessité de redessiner des partenariats équitables. La première exigence est le respect de l’autre dans la perception globale des relations internationales. La seconde la réciprocité des gains. Ces deux conditions invitent à se démarquer du cortège habituel des fanfaronnades, des jérémiades et des rites ou des clairons qui ont parfois trop tendance à occuper la scène médiatique et à se détourner de la réalité vécue ou attendue par les peuples. C’est aussi, sur le plan intellectuel, la capacité à faire dialoguer tous les participants dans un espace non assujetti à la volonté de puissance ou de domination. Cette option intellectuelle que défend l’Académie du Royaume du Maroc plut, selon ses proches, au Président Ahidjo. Il eut cette conclusion à Tanger : « Il faut rebattre toutes les cartes et les redistribuer. » 

Rebattre les cartes intellectuelles consisterait aussi à pousser les jeunes chercheurs en études doctorales culturelles, géopolitiques, sportives et dans ce qu’il convient d’appeler le Soft ou le smart power, à se pencher sur le travail accompli par les sociétés savantes pour précisément rebattre les cartes de la faculté à repenser le monde, notamment par la co-constructions des dialogues interétatiques ainsi que cela se fait dans les Académies innovantes. 

PAR EUGÈNE EBODÉ

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