Je surprendrais plus d’une personne en disant que je ne suis guère surpris par la
sortie ténébreuse du ministre délégué Jean de Dieu Momo qui n’est qu’une parmi tant
d’autres de ses nombreuses dérives langagières. L’exposition prolongée à la famine peut en
effet affecter les capacités discursives de chacun d’entre nous, la différence étant de degré,
très poussé chez les uns, un peu moins chez les autres.
A contrario, on peut s’étonner, et je le suis, de l’absence de réaction des Bamiléké
membres du Gouvernement devant de telles immondices qui ne semblent pas les épargner.
Et pour cause, on nous a toujours fait croire que selon la règle de l’équilibre régional, les
ministres et assimilés, pris individuellement ou collectivement, représentent autant leur
communauté d’origine que l’Etat du Cameroun. Ils seraient même le signe ou la
manifestation de l’adhésion desdites communautés au Gouvernement de la République.
Pour convaincre les sceptiques, on peut évoquer les différentes motions de soutien qui
inondent le Président de la République après chaque remaniement ou réaménagement
ministériel au point où la liste des membres du Gouvernement n’a eu de cesse de s’allonger
depuis 36 ans. Pour quelle efficacité ? Là n’est pas la question.
Dès lors, si l’on considère tant soit peu le tollé suscité par son sous-entendu appelant
à traiter les Bamilékés de la même manière qu’Hitler l’avait fait avec les juifs, logiquement JD
Momo devrait être démis de ses fonctions. Autrement dit, faut-il considérer que le
Gouvernement a voulu faire passer par la voix de son bouillant ministre un message
d’avertissement à cette tribu « arrogante ». Certes a-t-on tenté de nous convaincre que le
Ministre délégué s’est exprimé « à titre personnel ». Auquel cas, pourquoi les autres
ministres bamiléké ne condamnent-ils pas aussi à titre personnel les propos de Momo qui ne
les épargnent pas ? Dans le cas contraire, c’est le Gouvernement qui se doit de présenter des
excuses aux Bamiléké comme il s’est empressé de le faire à l’endroit des juifs car il s’agissait
de propos comparatifs, et on ne peut traiter de l’accessoire sans s’attaquer au principal.
En persistant dans le mutisme, on administre aux yeux de tous qu’on peut
« bouffer du bamiléké à toutes les sauces » sans avoir rien à craindre ; on donne à penser
que les Bamilékés sont les seuls à cesser de l’être quand ils deviennent membres du
Gouvernement. Pire encore, on confirme ce qui relevait jusqu’alors aux yeux de certains de
l’exagération, à savoir qu’il existe deux catégories de Bamiléké : le « bon bamiléké » et le
« mauvais bamiléké », un peu à l’image du bon et du mauvais nègre, le bon, celui des
maisons du Maitre, délateur, et le mauvais, celui des plantations, récalcitrant exposé au
fouet. Ainsi le « mauvais Bamiléké » serait celui qui, soit « ose » l’ouvrir pour réclamer plus
de justice, soit « ose » soutenir le Pr Kamto au risque de se faire taper sur les doigts par les
sbires du Maitre. Quant au « bon Bamiléké », il serait celui-là qui, soit se tait et répète pour
exorciser sa frustration un mantra à la mode « on va faire comment ? », soit tape sur les
autres membres de sa communauté d’origine pour se faire « accepter » en distillant au
passage des phrases assassines de nature à justifier le rejet, le mépris ou susciter une
posture belliqueuse du « Maitre ». Senghor fût un grand homme d’Etat, mais quiconque
l’évoque, a d’abord à l’esprit sa phrase assassine : « l’émotion est nègre et la raison
hellène ». Que de fois a-t-on entendu dire que celui qui porte les œufs sur la tête doit éviter
de répondre à la moindre provocation de peur de les voir casser. C’est une belle sagesse
bamiléké, mais un temps utilisée par un politique à mauvais escient, et à force de la répéter
pour dissuader, on a fini par oublier que la poule n’a jamais cessé de pondre parce qu’on a
cassé les œufs. Qu’on n’y voit nullement une invite à la confrontation ou au conflit, loin s’en
faut, on se méprendrait sur mes intentions qui rejoignent le rêve de la majorité des
Camerounais, l’avènement et l’enracinement d’un véritable Etat de droit, dont la raison
d’être est la protection des plus faibles, notamment les pauvres, les enfants, et toutes les
autres catégories vulnérables.
Pr WANDJI K, le 05 février 2019