La guerre en Ukraine révèle, une fois de plus, la dépendance de l’Afrique des céréales européennes. Cette dépendance criarde n’a jamais réveillé les dirigeants africains qui continuent à privilégier les cultures d’exportation au détriment des cultures locales qui garantissent l’autosuffisance alimentaire.
Ce paradoxe revient en lumière avec la guerre en Ukraine. La culture du cacao, du coton, du café, des bananes ou de l’hévéa n’ont jamais changé le mode de vie de nos cultivateurs condamnés à la pauvreté. Pourquoi faut-il continuer dans cette voie ? Les raisons sont simples : l’Afrique ne doit produire que ce qu’elle ne consomme pas. En retour, elle doit consommer les céréales dans un marché volatile qui la rend dépendante.
L’Afrique dispose pourtant d’un potentiel énorme. Elle est capable de nourrir toute la planète. Avec 60% des terres arables non exploitées sur notre planète, elle devrait être un réservoir de nourriture. Il n’en est rien. Elle a fait le choix de brader ses terres à des prédateurs et aux multinationales prévaricatrices. Elle a fait le choix d’acheter ce qu’elle consomme.
L’achat des céréales européennes a un coût exorbitant pour les pays africains. Ils ne maitrisent ni les prix, ni la qualité du produit. L’ardoise se chiffre à des milliards de dollars. Il faut aussi y ajouter les importations de riz qui avaient provoqué les émeutes de la faim sur tout le continent en 2008.
Aujourd’hui, le prix de la tonne de blé est passé de 200 euros à 400 euros. Le cacao, le café, la banane ou le coton voient leurs prix dangereusement baisser. L’Afrique est-elle donc ostensiblement condamnée à supporter le coût d’une guerre hors de ses frontières ?
Tout laisse indiquer, à l’heure actuelle, que l’Afrique se dirige vers une pénurie alimentaire. Les voyants sont déjà au rouge. Cette crise est pourtant prévisible. Mais, confrontée à la corruption de ses dirigeants, le continent africain a du mal à relever la tête et à faire des choix courageux pour une autosuffisance alimentaire. La situation politique actuelle donne raison à Thomas Sankara qui disait : « L’Afrique doit prioritairement cultiver ce qu’elle consomme ». Trente cinq après son assassinat, comme la réalité nous rattrape !
Un débat devrait avoir lieu au sein de l’Union Africaine pour répertorier nos faiblesses et nos besoins à l’échelle continentale. Cette démarche est très importante. Elle permettrait de remettre en cause tous les vieux systèmes qui continuent à appauvrir tout un continent. Les enjeux sont vitaux.
L’agriculture est devenue une arme de vassalisation
L’Afrique n’a pas fait le choix de cultiver les produits agricoles d’exportation. Ce choix a été imposé par la colonisation. Elle peut vivre avec ses denrées de base au lieu de soumettre aux céréales dont elle ne contrôle ni la qualité, ni les conséquences au niveau des farines cultivées à l’excès avec des pesticides qui affectent gravement la santé.
Les grandes puissances ne manquent pas d’imagination pour poursuivre leur règne de domination. Depuis l’année 2000, elles ont acheté pour plus de 100 milliards de dollars de terres arables en Afrique pour cultiver toutes les denrées qui vont alimenter leurs marchés. Ces contrats s’étalent sur 50 ans à cent ans avec des engagements qui vont pénaliser les générations à venir. Les avantages sont énormes. L’Afrique dispose suffisamment de ressources en eau.
Ainsi, à long terme, l’Afrique deviendra le grenier du monde. Mais elle ne pourra nourrir ses propres enfants. La politique sauvage et désastreuse en cours qui consiste à vendre pour des centaines d’années les terres arables de l’Afrique est tout simplement nocive, scandaleuse et insupportable. Elle va pénaliser encore plus un continent riche et dépouillé de ses richesses.
La pénurie alimentaire prévisible à cause de la guerre en Ukraine peut-elle réveiller les dirigeants africains soumis volontairement à leurs maitres pour conserver leurs sièges éjectables ? Si ce n’est pas le cas, il n’est pas exclu que la jeunesse résiliente actuelle remette en cause un ordre mondial basé sur la domination et l’écrasement de l’Afrique. Car, avouons-le, nous sommes confrontés à un paradoxe décapant qui échappe à toutes les logiques. L’Afrique cultive des produits d’exportation qu’elle ne transforme pas et qu’elle ne consomme pas. Elle brade ses terres arables aux multinationales qui y cultivent des produits qui iront nourrir des populations en Chine et en Occident.
Vous y comprenez quelque chose, vous ?
Par Michel Lobé Étamé
Journaliste Indépendant