L’Afrique de l’Ouest, citée en exemple depuis des décennies comme un modèle de transition démocratique, est à son tour frappée par le syndrome du troisième mandat présidentiel. Ce revirement constitue, en réalité, une posture intellectuelle. Comme le dit Alioune Tine, Expert indépendant sur la situation des droits de l’homme au Mali, les troisièmes mandats dissimulent de nouvelles formes de coups d’Etats constitutionnels qui n’ont aucune réalité juridique et constitutionnelle.
En Afrique Centrale, les jeux sont faits. Tous les présidents piétinent leurs constitutions où la limitation des mandats a été renvoyée aux calendes grecques. Le renouvellent des mandats présidentiels, par le truchement d’élections tronquées, est devenu un exercice administratif.
Pour les politologues, habitués à tous ces tripatouillages, la marge de liberté citoyenne qui séparait les deux camps se rétrécie dangereusement. Les présidents à vie d’Afrique Centrale et les présidents « démocratiquement élus » de l’Afrique de l’Ouest cohabitent désormais dans le même panier à crabes.
L’addiction au pouvoir
On peut redouter une addiction au pouvoir pour tous ces présidents. Mais la situation est plus complexe. Ils sont là par la volonté de leurs maîtres par le truchement des multinationales. Ils savent aussi qu’on peut se débarrasser très facilement d’eux. Le choix de s’éterniser au pouvoir est donc un baroud d’honneur pour ces potentats. Le pouvoir ou la mort, tel est leur leitmotiv.
Mais si nous procédons à une analyse plus fine, nous aboutissons à une autre réalité. Ces hommes de pouvoir deviennent les otages de leurs maitres. Ils sont là pour pérenniser un pouvoir illégitime. Cet aveu sanglant est celui d’Idriss Déby, président-maréchal du Tchad qui a avoué qu’il se maintient au pouvoir malgré lui. Avouons que cette confession est très simpliste. Il est victime de son addiction car aux dernières présidentielles de 2021, il n’a pas supporté que ses opposants politiques soient candidats.
L’addiction au pouvoir est un obstacle à la démocratie dans une organisation. La transition démocratique, dans les deux cas, bat de l’aile. Elle met en péril l’alternance démocratique qui est un pilier de justice sociale et de paix. Elle est aussi responsable des échecs économiques car elle ouvre une large brèche au tribalisme, au népotisme, à l’injustice et au clientélisme qui sont un rempart de la corruption.
Les présidents d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique Centrale ont recours à la violence physique, psychologique et au harcèlement pour éliminer les opposants politiques encombrants. Cette trajectoire les conduit, parfois inconsciemment, à une dimension pathologique du besoin de puissance.
Les techniques mises à nues des présidents
En Afrique de l’Ouest, un vent de démocratie a soufflé. Le Bénin, le Sénégal, le Burkina-Faso, la Côte d’Ivoire, le Mali, la Guinée et le Niger ont redonné au peuple un regain de vitalité démocratique.
Mais on n’a beau chasser le naturel, il revient au galop. Alassane Ouattara est revenu sur sa décision et il a brigué un troisième mandat. Pour y parvenir, il a exilé ses deux principaux concurrents : Laurent Gbagbo et Guillaume Soro.
En Guinée, le « démocrate et intellectuel » Alpha Condé, a été reconduit pour un troisième mandat. « Homme de gauche », il dénonçait jadis les dictatures en Afrique. Il a lui aussi succombé « aux charmes » du népotisme.
Au Sénégal, Macky Sall représentait la meilleure alternative d’un pays qui était le berceau de la démocratie en Afrique francophone postcoloniale. Beaucoup voyait en lui un homme éclairé qui ne succomberait pas aux tentations de l’argent facile. Reconnaissons aujourd’hui que nous nous sommes trompés. Il est pire que ses prédécesseurs.
Après avoir arbitrairement emprisonné l’ancien Maire de Dakar, Khalifa Sall pour détournement de fonds publics et faux, il s’attaque aujourd’hui à un autre opposant, Ousmane Sonko, accusé de viol. Cette arrestation de trop d’un opposant a provoqué des violences meurtrières dans tout le pays. Le peuple s’est révolté. Le calme est revenu. Mais plus personne ne se laissera berner par les manigances de Macky Sall atteint lui-aussi du syndrome du troisième mandat.
Au Bénin, la configuration politique s’apparente à celle du Sénégal. Le président Talon ne brigue pas un troisième mandat. Mais pour son deuxième mandat, il fait le ménage autour de lui. Ses alliés d’hier sont sur le grill.
Le président Talon qui est arrivé au pouvoir démocratiquement est décidé à museler son opposition pour un deuxième mandat sans anicroche. Que redoute-t-il ? Est-il aussi atteint du syndrome du troisième mandat ? Il a déjà fait le vide autour de lui. Pour combien de temps ?
L’Afrique de l’Ouest était un modèle de démocratie en Afrique. Mais elle vient de basculer et rejoint la liste si peu glorieuse des dictateurs de l’Afrique francophone dont l’Afrique Centrale est le porte-drapeau. Nous devons nous en inquiéter car l’histoire donnera raison à Jacques Chirac qui, dans sa rhétorique compassionnelle disait : La démocratie est un luxe pour l’Afrique.
Par Michel Lobé Étamé
Journaliste Indépendant