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Le 17 décembre 1952, la France empêcha Ruben Um Nyobe de s’adresser à l’Assemblée Générale des Nations Unies, pour exiger la fin de la tutelle française et anglaise sur le Cameroun.

Il doit se contenter de lire son discours dont voici ci-dessous un extrait, devant une petite commission, avant d’être assassiné par cette même France, 6 ans plus tard le 13 septembre 1958.

Ruben Um Nyobe : Discours devant l’ONU en 1952
Réunification du Cameroun

Le Cameroun et l’Union Française

Dites ce que vous voulez, mais pour moi, ce génie : Um Nyobe est le plus intelligent des Camerounais de tous les temps. Quand je lis ou écoute son discours prononcé aux Nations Unies en 1952, il y a 67 ans j’ai des frissons, tellement il avait vu clair sur tous nos faux problèmes d’aujourd’hui.

Quand je le compare à certains fanfarons qui demandent à la France de venir régler nos problèmes, j’ai envie de pleurer. Qu’est-ce qui nous est arrivé pour qu’on passe d’un Um Nyobe, une sommité de sagesse sans diplômes, aux Zombies d’aujourd’hui bardés des diplômes ?

Certains de ces Zombies veulent le fédéralisme sans le préalable d’un Etat Central fort. D’autres veulent qu’on se divise entre les soumis aux Français et les Soumis aux Britanniques.

Qu’ils lisent donc la magistrale leçon de celui pour qui je crois depuis des années, que nous devons changer le nom du pays, pour passer des crevettes (Cameroun) au “Pays de Um”;

Jean-Paul POUGALA 03/07/2019

Ruben Um Nyobe : Discours devant l’ONU en 1952

“Mon parti a demandé à être entendu sur les trois points que j’ai mentionnés en réponse à la question posée par le représentant de la Belgique, car nous estimons que ces points sont de la plus haute importance pour que notre pays puisse progresser vers l’indépendance. Je voudrais remercier la Quatrième Commission de m’avoir autorisé à prendre la parole devant elle. Je sais que je dois être bref, mais comme certains membres ont fait des objections à ce que je sois entendu par la Quatrième Commission, j’estime que je dois donner quelques explications.

L’Assemblée territoriale a essayé d’user d’un subterfuge en protestant contre moi personnellement, à un moment où je n’avais pas encore été désigné pour représenter l’Union des populations du Cameroun. L’Assemblée territoriale a prétendu que l’U.P.C. n’était pas représentative, parce qu’aux dernières élections elle n’a obtenu aucun siège à l’Assemblée, que du fait que la Quatrième Commission entendrait un représentant de l’U.P.C., le prestige de ce parti au Cameroun se trouverait renforcé; et enfin que mon parti a violé les règles normales de procédure en présentant sa demande directement à la Quatrième Commission au lieu de passer par l’intermédiaire de l’Autorité chargée de l’administration et de la Mission de visite.

Comme l’ont reconnu les différentes Missions de visite et le représentant de la France, l’U.P.C. est le seul parti politique qui représente vraiment l’ensemble des populations du Cameroun. En outre, je parle au nom de l’Union des Syndicats Confédérés du Cameroun, qui est le syndicat le plus représentatif (15 000 membres) et qui est reconnu par le Gouvernement; au nom de la Solidarité Babimbi qui compte 60 000 adhérents ; au nom de l’Association camerounaise des Anciens combattants, de l’Association des Étudiants camerounais de France, qui a déclaré que toute personne qui contredirait mes déclarations ne parle pas au nom du Cameroun ; au nom de l’Union démocratique des Femmes du Cameroun, qui ne compte pas un grand nombre d’adhérents, mais qui est la seule organisation féminine du Territoire ; au nom d’un certain nombre d’autres secteurs de l’opinion publique qui ne sont pas encore organisés, et enfin au nom d’un mouvement d’indépendance du Cameroun sous administration britannique, le Kamerun United National Congress qui est sans aucun doute représentatif dans ce Territoire,

La Quatrième Commission a reçu un certain nombre de communications réaffirmant le fait que je représente une fraction importante de la population. L’Union des populations du Cameroun, pour prouver sa force, a organisé une réunion publique à Douala, le 1er novembre 1952, et elle a invité la Mission de visite à y assister. Cette réunion, pour laquelle une autorisation préalable avait été obtenue, a pourtant été interdite par les Autorités françaises. Je peux le prouver par des photographies que je tiens à la disposition des membres de la Commission. Mon voyage à New York a été rendu possible grâce à une souscription publique. L’U.P.C. a en mains tous les reçus, qu’elle pourra communiquer aux Nations Unies. Permettez-moi de citer un passage du magazine Paris-Match, qui montre que je suis le seul représentant dont le voyage ait été financé par souscription publique.
« Um Nyobè, leader de l’Union populiste du Cameroun, est attendu à New York où la Commission de tutelle présidée par son frère de race, Ralph Bunche, l’admettra au débat sur le mandat, en accusateur des puissances mandataires. Cinquante protestations sont d’ailleurs arrivées à Manhattan pour dire que les soussignés ont autant besoin d’être entendus qu’Um Nyobè, mais qu’ils n’ont pas, comme lui, l’argent nécessaire. L’OJV.tf. réfléchit aux moyens de faire disparaître cette inégalité. Elle paierait les voyages qu’il n’y aurait pas lieu d’en être surpris. »

Questions sur lesquelles porte l’audition :

  1. Réunification du Cameroun

(…)
La division du Cameroun

a) Elle est artificielle

L’établissement de deux administrations étrangères dans un pays ne justifie pas la création d’une frontière au sens réel du mot. Que remarque-t-on entre les deux parties du Cameroun si ce n’est la présence de quelques vieux bâtiments abritant les agents de la police douanière, police dont le but est de faire entrave aux libres
communications des Camerounais à l’intérieur de leur propre pays. En dehors de ces agents de la répression, rien d’autre ne laisse l’impression qu’il y a une division justifiant la séparation des deux parties du pays comme cela existe.

b) Elle est arbitraire

II s’agit de la subsistance d’une situation découlant de l’état de guerre de 1914-1918. Il s’agit donc d’une situation de force. Mais cette situation de force cause préjudice à qui ? Est-ce à la nation qui a mené la guerre contre les Franco-Britanniques ? Non, elle cause préjudice au paisible Cameroun qui n’avait déclaré la guerre à personne et c’est là qu’apparaît dans sa cruauté, l’injustice flagrante dont souffre notre pays dans son état de pays colonisé et divisé.

c) Elle ne profite qu’aux colonisateurs

La division du Cameroun n’est justifiée par rien d’autre que le souci des Gouvernements français et anglais d’établir une domination perpétuelle sur notre pays, sous le couvert du régime de tutelle. Car ces Gouvernements savent très bien qu’il ne sera jamais possible au peuple camerounais d’accéder à son indépendance aussi longtemps que notre pays restera arbitrairement divisé en deux parties, confiées à l’administration de deux puissances différentes.

d) Elle est préjudiciable au peuple camerounais

Les indications ci-dessus montrent suffisamment dans quelle mesure le peuple camerounais se trouve gravement lésé par le fait de la division que lui ont imposé les Franco-britanniques en 1916. Les communications sont rendues difficiles sinon impossibles par la présence de la police douanière. Nous avons démontré dans le mémorandum remis à la Mission de visite que le service des douanes avait donné quelques « instructions » à la veille de la venue d’une Mission des Nations Unies au Cameroun, « instructions » tendant à ordonner l’assouplissement de quelques mesures de contrôle dans les postes de douane se trouvant entre le Cameroun sous administration française et le Cameroun sous administration britannique. Ces postes sont improprement appelés «postes-frontières». Il s’agit des instructions données par simple circulaire d’un chef de service ce qui n’enlève rien à la réglementation existante, établie de part et d’autre par les deux administrations en présence.

Les pétitions remises à la Mission de visite par différentes organisations et personnes dans les deux parties du pays relatent de nombreux cas d’abus exercés par les agents des douanes dans ce qu’on s’est convenu d’appeler «frontière ». Il convient de citer un cas ici. Les Elongs, dépendant de l’administration anglaise, sont situés à 25 kilomètres de Nkongsamba (Cameroun sous administration française). Le centre commercial le plus proche d’Elong au Cameroun sous administration britannique dont ils relèvent est Kumba (distance 90 kilomètres). Or les Elongs ne peuvent venir vendre leurs produits et acheter les marchandises de première nécessité pour leurs besoins personnels à Nkongsamba sans se voir appliquer des sanctions de toutes sortes, allant de simples amendes aux condamnations à des peines correctionnelles (ci-annexé, copie d’une lettre adressée par le Comité Directeur de l’U.P.C. à Monsieur le Chef du Service des douanes en date du 21 mai 1952). Des exemples de l’espèce abondent.

Comment se défendent les partisans de la division du Cameroun en deux parties ?

Le représentant du Gouvernement français a déclaré devant le Conseil de Tutelle au sujet de cette question que Ton ne pouvait pas parler de sentiment national au Cameroun à l’heure actuelle ou de conscience nationale. D’après le représentant du Gouvernement français, un tel sentiment suppose :

la communauté d’origine,

la communauté de tradition,

la communauté de culture et d’intérêt

le souvenir d’épreuves partagées.

« Un minimum de vocation géographique, historique et économique, »

II (le porte-parole du Gouvernement français) clôturait cette déclaration en affirmant que le Cameroun « est un accident historique de création trop récente pour que ces éléments aient pu s’y développer ».

En reprenant les cinq considérants ainsi développés par le représentant de l’Autorité administrante, nous pouvons formuler les observations suivantes :

a) Communauté d’origine

Faut-il entendre par là qu’au lieu d’avoir une communauté d’origine en tant que Camerounais, issus d’un seul peuple, il y aurait des gens dans notre pays ayant cette « communauté » avec les Français d’une part et les Anglais de l’autre ? En vertu de quelle considération peut-on contester aux Camerounais le droit d’être enfants d’un même peuple ?

b) Communauté de tradition

Quelle différence de tradition y-a-t-il entre les Bamiléké de Bamenda et ceux de Dschang, ceux de Kumba et ceux de Bafang, ceux de Manfe et ceux de Bafoussam ?

c) Communauté de culture et d’intérêt

La communauté d’intérêt existe, elle est indéniable. La communauté de culture existe à l’origine. On a seulement essayé de la falsifier en instaurant la pseudo culture française d’une part et anglaise d’autre part. Mais cette entreprise se trouve ellemême mise en échec par le fait colonial qui s’oppose au développement culturel des peuples colonisés. La vraie culture étant basée sur les mœurs, il n’y aurait aucun défenseur des intérêts colonialistes pour renier aux Camerounais le droit d’avoir une communauté des mœurs.

d) Souvenir d’épreuves partagées

Pour ne citer qu’un exemple, le travail forcé et l’indigénat ont été les épreuves les plus dures et les Camerounais n’en sont pas encore complètement guéris. Une bonne fraction de la population du Cameroun sous administration britannique se compose de réfugiés du travail forcé provenant du Cameroun sous administration française. S’il ne faut considérer comme épreuve que les faits de guerre, les Camerounais rempliraient également les conditions puisque les troupes européennes de la guerre de 1914-1918 ne leur ont épargné aucun ennui, des dégâts en vies humaines et en biens matériels furent infligés au peuple camerounais innocent. Pour la dernière guerre, les Camerounais n’en gardent pas seule¬ment le souvenir comme une épreuve « partagée » mais comme un tournant de l’histoire de notre pays, marquant l’époque où notre peuple fut appelé à apporter sa contribution au triomphe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Les Camerounais des deux zones qui ont fait de nombreux champs de bataille au cours de la guer
re antihitlérienne ne considèrent pas la victoire de 1945 comme ayant été « gagnée pour eux par les autres », mais comme ayant été leur propre victoire, devant contribuer à la libération de leur pays du joug colonial. Mais le régime colonial lui-même constitue une épreuve et pas l’une des moindres, dont les Camerounais ont et garderont toujours le triste souvenir.

e) Minimum de vocation géographique, historique et économique

La vocation géographique est même à l’origine du développement du sentiment d’opinion qui se forme autour de la question de la réunification du Cameroun. En effet, même le dernier cultivateur camerounais, où qu’il habite, connaît que les frontières de son pays ne se trouvent pas sur la rivière Mungo où la douane des Puissances administrantes commet les abus de toutes sortes. Il en va de soi que ce désir de rétablissement des relations normales dans le pays se base en premier lieu sur des considérations économiques, donc il y a une vocation économique. Quant à la vocation historique, on ne peut pas dire qu’elle n’existe pas, mais elle est seulement étouffée par la nature même du régime colonial qui est basé sur l’oppression culturelle. Mais ce que toute personne de bonne foi doit reconnaître, c’est que la question de réunification du Cameroun se trouve aujourd’hui au premier plan des préoccupations des populations camerounaises.

Raisons financières et économiques

Le deuxième point d’argumentation de ceux qu’on prépare à réfuter nos revendications porte sur des considérations d’ordre économique et financier. On prétend ainsi que la réunification du Cameroun équivaudrait à une perturbation de l’économie du pays, par le fait qu’elle donnerait lieu à des fraudes douanières – qu’au surplus cette « désagrégation » de la «police douanière » occasionnerait une diminution des recettes budgétaires et c’est le Territoire qui s’en trouverait « victime ». Il est aisé de faire comprendre à ceux qui soutiennent un tel point de vue, les raisons fondamentales de notre lutte pour la réunification ‘ du Cameroun. Nous ne revendiquons pas la réunification pour souhaiter le maintien de deux administrations distinctes dans le pays. Si nos contradicteurs ont pu suivre nos démarches, et ils l’ont bien fait, ils constateront que nous lions la création d’une seule administration camerounaise à la question de la réunification. Avec la réunification et une administration, une seule administration camerounaise, la police douanière ne s’établirait plus sur les rives du Mungo à l’intérieur du Cameroun, mais sur les ports et les véritables frontières camerounaises. Ainsi donc, les recettes douanières, qu’elles soient perçues à Victoria ou à Douala, à la frontière nigériane ou à la frontière
gabonaise ou tchadienne, alimenteraient le budget général du Cameroun, géré par une administration camerounaise qui se soumettrait au contrôle de l’Assemblée camerounaise.

Raisons sociales

Le troisième argument de nos contradicteurs consiste à prétendre qu’une harmonie avec les ressortissants du Cameroun sous administration britannique serait difficile à réaliser en cas de réunification du Cameroun. C’est un argument puisé directement, comme les autres d’ailleurs, dans la politique de division menée par les colonialistes. Sait-on que nombre de nos frères du territoire administré par les Anglais ont des biens et leurs familles au Cameroun sous administration française ? Il y a même lieu de souligner, et cela a une importance dans le débat qui nous occupe, que la majorité de la population du Cameroun sous administration britannique provient du Cameroun sous administration française. La mission de visite a pu constater comment la question de la réunification du Cameroun tient nos frères de là-bas à cœur. Les observations portées sur les arguments développés par le représentant du Gouvernement français devant le Conseil de Tutelle sont aussi valables pour ce point où l’on essaye de laisser croire qu’il n’existerait pas d’harmonie sociale entre les hommes d’une même famille; alors cette harmonie existerait seulement entre les Camerounais et les Nigérians d’une part et les Camerounais et les Français d’autre part ?

Raisons linguistiques

L’administration fait dire par ses valets que l’unification du Cameroun suppose l’établissement d’une langue commune. Une langue nationale camerounaise s’instaurera un jour, nous n’en doutons pas, mais la question linguistique ne constitue nullement un obstacle à notre désir de réunification, Nous avons revendiqué l’enseignement des deux langues dans les écoles (l’anglais et le français) et cela se fait dans les établissements d’enseignement secondaire au Cameroun sous administration française. A noter que ces raisons linguistiques ne se posent que pour l’établissement d’une langue officielle, d’une langue nationale. Pour leurs relations privées, les Camerounais se comprennent toujours soit au moyen de leur dialecte propre, soit au moyen des dialectes intermédiaires les plus parlés (foulbé dans le nord, pidgin, ewondo, douala, bassa dans le sud et l’ouest). L’emploi du français et de l’anglais concilie même nos relations internationales. Le français et l’anglais peuvent donc être maintenus comme langues officielles jusqu’au jour où le Cameroun instituera une langue nationale.

La réunification est la condition indispensable pour l’accession du Cameroun à son indépendance

La réunification est la seule voie par laquelle le Cameroun doit passer pour accéder à son indépendance. Si on ne l’accepte pas ainsi, c’est qu’on est partisan de l’indépendance d’une partie du Cameroun au sein de la Nigeria ou du Commonwealth britannique et de « l’indépendance » d’une partie du Cameroun « au sein de l’Union française». De ce fait, le peuple camerounais ne pourra plus jamais réaliser son unité qu’en ayant recours à l’expérience de ce qui se passe en Corée depuis juin 1950. Or, l’un des buts essentiels du régime international de tutelle et la raison d’être même de l’O.N.U. est de «maintenir et affermir la paix et la sécurité internationales ».

Aujourd’hui, la réunification du Cameroun est absolument réalisable et pacifiquement. Si les Nations Unies se laissent tromper par le chantage et les promesses irréalisables des autorités administrantes, la réunification du Cameroun ne sera possible dans l’avenir qu’au prix du sang. Nous connaissons trop ce qui se passe aujourd’hui en Tunisie, en Indochine et au Togo pour ne pas poser la question de cette façon-là, et les Nations Unies, dont plusieurs membres sont des représentants des pays ex-colonies et qui vivent ces événements aujourd’hui dans d’autres pays ne peuvent pas rester insensibles à notre appel.

Le peuple camerounais dans sa grande majorité réclame la réunification de son pays

Comme le voleur qui peut crier « au voleur », les membres de l’Assemblée Territoriale du Cameroun ont qualifié les revendications de l’U.P.C. d’« artificielles et systématiques » ? Si tel est le cas, pourquoi le Gouvernement français s’oppose-t-il avec acharnement au départ à New York de celui qui est appelé à défendre ces revendications « artificielles et systématiques » ? Ce qu’il y a d’artificiel, ce sont les « protestations » dictées par l’administration pour s’opposer à l’audition du représentant de l’U.P.C. par la Quatrième Commission. Plusieurs manifestations se déroulent au Cameroun depuis l’année dernière pour marquer la volonté des Camerounais d’obtenir la réunification de leur pays. On sait que les Camerounais, originaires du territoire sous administration britannique, ne peuvent voter dans le territoire sous administration française où ils sont considérés comme des « citoyens étrangers » et, inversement, dans le territoire sous administration britannique, le droit de vote n’est pas reconnu aux Camerounais originaires du territoire sous administration française. En août 1951, une grande conférence est organisée à Kumba (Cameroun sous administration britannique) pour protester contre les atteintes au droit de vote et réclamer avec force la réunification du Cameroun et la constitution d’un self-government. L’U.P.C. et l’Assemblée traditionnelle du peuple Douala participent à ce grand rassemblement des Camerounais. Le droit de vote est alors accordé aux Camerounais originaires du Cameroun sous administration française, résidant dans le territoire administré par les Anglais. Aux premières consultations populaires, les candidats se présentant avec le programme du candidat officiel de l’U.P.C. aux élections françaises du 17 juin 1951 obtiennent la majorité et sont élus. C’est ainsi que la majorité des élus du Cameroun sous administration britannique, au sein des assemblées nigérianes, sont ceux qui se sont réclamés du programme défendu par l’U.P.C., c’est-à-dire celui posant le problème de la réunification du Cameroun. Du 14 au 17 décembre 1951, un congrès se tient à Kumba avec une large participation de l’U.P.C. et de l’Assemblée traditionnelle du peuple Douala. Les propositions de l’U.P.C. sur la question de la réunification rencontrent l’approbation unanime de tout le Congrès. Les délégués du mouvement administratif (l’Évolution sociale camerounaise), au nombre de 4, alors que la délégation de l’U.P.C. se compose de 26 membres, prennent la fuite devant le débat sur la réunification. La délégation de l’Assemblée traditionnelle du peuple Douala approuve le programme de la réunification. Le principe de constituer un comité de l’unité camerounaise est admis par le Congrès et à l’unanimité.

Le 22 août 1952, les représentants des deux mouvements nationaux : l’U.P.C. et le Kamerun United National Congress se rencontrent à Tiko (Cameroun sous administration britannique) et arrêtent un plan d’action pour la présentation des revendications à la Mission de visite de Î’O.N.U. attendue au Territoire.

Du 28 au 30 septembre 1952 à Eséka (Cameroun sous administration française) se tient un congrès sous l’égide de l’Union des Populations du Cameroun et qui a comme base de discussion la question de la réunification du Cameroun. Les ressortissants du Cameroun sous administration britannique, les représentants de certains mouvements locaux et notamment une déléguée de l’Union démocratique des Femmes camerounaises assistent à ce congrès. Le congrès clôture le débat sur la réunification par l’élaboration d’une pétition populaire résumant les revendications nationales de notre pays, dont en premier lieu la réunification du Cameroun. La pétition est signée séance tenante par l’ensemble des congressistes et soumise à la sanction populaire. Elle recueille encore des signatures dans le pays. Le 1er novembre à Douala (Cameroun sous administration française) un meeting est organisé pour permettre au délégué de l’U.P.C. devant se rendre à I’O.N.U. de faire un exposé sur la question de la réunification. Dès 15 heures, le lieu de la réunion est envahi par une foule nombreuse qui acclame les mots d’ordre de l’U.P.C. inscrits sur une grande banderole. Mais l’administration interdit arbitrairement la réunion au moment même où l’on va constituer le présidium de la séance.

Mais l’interdiction de la réunion n’a pas été sans être suivie de l’occupation de la salle et ses environs par la force armée. Il n’y a pas que les formations politiques existant dans les deux zones qui revendiquent la réunification du Cameroun. Le 13 octobre 1952, à l’appel de l’Union des Syndicats confédérés du Cameroun, organisation syndicale la plus représentative du territoire, les travailleurs se sont réunis en un grand meeting et ce meeting groupait des travailleurs d’appartenances syndicales diverses et des travailleurs inorganisés. Entre autres revendications soulevées au cours du meeting, la question de la réunification du Cameroun était l’une des plus essentielles, car, les travailleurs camerounais considéraient à juste titre que la division arbitraire de notre pays constitue une sérieuse entrave au progrès économique et social des masses laborieuses de notre pays. Dans de nombreuses sinon dans la plupart des pétitions reçues par la Mission de visite, la question de la réunification du Cameroun est soulevée avec insistance.

Ces quelques exemples montrent que la majorité de la population de notre pays réclame la réunification du Cameroun. Ce ne sont pas les manœuvres du Gouvernement français qui viendront enlever cette réalité. Le peuple camerounais et l’opinion mondiale suivent cette affaire avec une particulière attention. Les populations du Cameroun, où qu’elles se trouvent, ont une grande confiance en l’Organisation des Nations Unies de laquelle elles espèrent des solutions susceptibles de leur apporter la paix sociale et la possibilité d’accéder à leur indépendance. C’est pourquoi la Septième session de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies doit se prononcer sur cette brûlante question et dans l’intérêt du PEUPLE CAMEROUNAIS, conformément à l’article 73 de la Charte des Nations Unies.

II – Le Cameroun et l’Union Française

Ici je serai bref, cette question reposant sur des considérations d’ordre juridique. Une brève démonstration sur le plan juridique suffit à prouver la duplicité qui entoure nos populations sur l’affaire des relations du Cameroun avec l’Union française.

Analyse de la question

L’Union française a été fondée avant la conclusion des Accords de Tutelle sur le Togo et le Cameroun. La Constitution française définit les parties composantes de l’Union française de la manière suivante dans son article 60 : « L’Union française est formée, d’une part de la République française qui comprend la France métropolitaine, les départements et territoires d’outre-mer, d’autre part des territoires et Etats associés. »

La constitution se garde de définir le statut du « territoire associé » et dans tout l’acte constitutionnel il n’est question de « territoire associé » que dans l’article 60 ici reproduit. Ce qui fait que réellement il n’y a que deux parties composantes de l’Union française : la République avec les territoires assimilés qui sont les Départements et les territoires d’outre-mer et le Cameroun étant subtilement rangé dans cette dernière catégorie – notre pays se trouve ainsi incorporé dans la République – la deuxième partie composante constitue les « Etats associés » dont les relations avec l’Union Française sont posées comme suit, l’article 61 de la Constitution française :

« La situation des Etats associés dans l’Union française résulte pour chacun d’eux de l’acte qui définit ses rapports avec la France. »

Or, il n’y a, jusqu’ici, aucun acte déterminant les rapports du Cameroun avec la France. Un tel acte ne peut d’ailleurs être négocié que par un gouvernement camerounais, soumettant la négociation à la ratification d’une assemblée camerounaise investie des pouvoirs politiques et pour permettre la constitution d’un gouvernement et d’une assemblée camerounaise il faut d’abord la réunification du pays. Si donc la France désire traiter avec le Cameroun sur le problème de l’Union française, le Gouvernement français doit accepter avant tout la réunification du Cameroun.

L’Accord de Tutelle ne peut pas être considéré comme un acte définissant les rapports du Cameroun avec la France, l’Accord de Tutelle est, si l’on veut, un contrat conclu entre le Gouvernement français et l’Organisation des Nations Unies sur l’administration du Cameroun. Il est intéressant de signaler qu’aucune clause de l’Accord de Tutelle ne prévoit que le Cameroun sera incorporé dans l’Union française comme « territoire associé ».

Le vocable « territoire associé » n’est qu’un camouflage de l’assimilation. Mais ce camouflage est même mal dissimulé puisque l’article 4 des Accords de Tutelle prévoit que la France administrera le Cameroun « comme partie intégrante du territoire français », autrement dit, le Cameroun est purement et simplement incorporé dans l’Empire français sous le couvert du régime international de tutelle.

C’est pourquoi nous demandons avec insistance, la suppression, de ce membre de phrase qui permet au Gouvernement français de mener au Cameroun une politique identique à celle menée dans ses propres colonies et l’on connaît de quelle façon. Il convient de citer Madagascar et l’Indochine pour se convaincre de la façon dont le Gouvernement français accomplit la mission de guider les peuples vers la capacité à s’administrer eux-mêmes et de gérer démocratiquement leurs propres affaires comme cela est prévu dans la Constitution française.

La question de la situation du Cameroun et du Togo dans l’Union française a déjà été soulevée une fois au Conseil de Tutelle et le représentant du Gouvernement fut amené à s’expliquer sur la question de savoir si « l’appartenance » du Cameroun et du Togo dans l’Union française ne portait pas atteinte à la situation particulière de ces territoires en tant que territoires sous tutelle. La réponse du représentant du Gouvernement français a été que ces deux territoires seront libres de décider, le moment venu, « s’ils veulent rester dans l’Union française ou s’ils veulent assumer un statut d’indépendance hors de cette Union » (Conseil de Tutelle, Quatrième session, A/1903/Add. 1, page 47).

Pour reprendre les termes du délégué du Gouvernement français, nous pouvons dire qu’il faut hâter « la venue » du moment où les Camerounais et les Togolais seront libres de se prononcer pour ou contre l’adhésion à l’«Union française ». Pour hâter la « venue de ce moment », il y a lieu de procéder à la réunification du Cameroun afin de permettre l’institution des organes qualifiés pour donner cet avis sur l’adhésion ou la non-adhésion à l’«Union française ». Or, aujourd’hui, le Gouvernement français veut profiter de l’ignorance de certaines couches de Camerounais pour arracher des déclarations selon lesquelles des ressortissants de notre pays désiraient une « autonomie au sein de l’Union française ».

Pour la question de l’Union française, nous plaidons la non-existence du problème. Le problème de l’Union française en effet n’est pas posé en ce qui concerne le Cameroun. Il sera posé dès le jour où le Cameroun réunifié aura formé son Gouvernement et son Assemblée, seules institutions qualifiées pour négocier un acte déterminant les rapports du Cameroun avec la France, conformément à l’article 61 de la Constitution française. Il convient d’ailleurs de préciser que toute prise de position tendant à accepter le principe d’adhésion à l’Union française constituerait une escroquerie politique au détriment de plus d’un million de Camerounais vivant sur le territoire administré par la Grande-Bretagne et qui réclament la réunification de notre pays avec une particulière insistance.

« Les bienfaits de l’Union française »

Le Gouvernement français a entrepris, dès le début de cette année, une vaste campagne pour préparer l’opinion camerounaise et mondiale en faveur de l’intégration de notre pays dans l’Union française, ou en langage clair dans l’empire colonial français. Le numéro spécial de l’hebdomadaire « Marchés coloniaux » qui est cité à plusieurs reprises dans cet exposé a été consacré à la démonstration des « bienfaits » de l’œuvre de la France au Cameroun.

Les différents articles qui composent ce numéro ont été par l’élite du monde colonial français (ministres, anciens fonctionnaires éminents de l’administration coloniale, représentants diplomatiques de la France à l’O.N.U., etc.). Le Haut-commissaire de la République française entreprenait dans les mois qui ont précédé l’arrivée de la Mission de visite, une série de tournées à travers le territoire pour prodiguer à la population et en paroles, « les bienfaits » des crédits du F.I.D.E.S. (Fonds d’investissement pour le développement économique et social). Ensuite ce sera la tournée au cours du mois de septembre et dans les premiers jours de ce mois, la tournée spectaculaire de M. Albert Sarraut, président de l’Assemblée de l’Union française, qui a occupé plusieurs fonctions ministérielles au sein du Gouvernement français et qui a également occupé de multiples postes de commandement dans les colonies.

M. Sarraut est également un ancien professeur de l’Ecole coloniale aujourd’hui appelée « Ecole nationale de la France d’outre-mer ».

« Comment justifie-t-on l’intégration du Cameroun dans l’Empire français ? »

Sur le plan politique, l’on dit que le Cameroun bénéficie d’une large représentation au sein des assemblées parlementaires françaises et que les principes démocratiques de la France sont appliqués au Cameroun sans restriction.

Pour la représentation au sein des assemblées parlementaires métropolitaines, il nous est loisible de montrer que sur les 624 députés que compte l’Assemblée nationale de Paris, 4 députés sont élus par le Cameroun, dont 1 par les Français du Cameroun et 3 par les autochtones.

Quelle majorité 3 députés peuvent-ils remporter sur 624 votants. En admettant même que la moitié des députés soit absente, que signifieraient 3 voix devant 312 votants ? Le Sénat français compte 320 membres, 3 sont élus par le Cameroun dont 1 par les Français du Cameroun et 2 par les autochtones. L’Assemblée de l’Union française est une assemblée de consultation qui n’a aucun pouvoir législatif. Là aussi les autochtones du Cameroun sont représentés par 3 conseillers. Le Togo bénéficie d’une représentation moindre en raison de sa faible population. Comment les Territoires sous tutelle peuvent-ils donc tirer des avantages propres des assemblées parlementaires françaises ? Il est même à signaler que l’ensemble de ce que l’on appelle les « territoires » d’outre-mer ne constitue guère une majorité au sein des assemblées parlementaires françaises.

C’est ainsi qu’en plus de 6 années de législature, l’on compte seulement 2 lois qui aient été votées en faveur des territoires d’outre-mer. La première concerne la suppression du travail forcé. Elle a été votée avant la création de l’Union française.

C’est le 11 avril 1946 qu’elle fut adoptée alors que la création de l’Union française remonte au vote de la Constitution, soit le 27 octobre 1946. La deuxième et dernière loi sur les territoires d’outre-mer portant l’institution d’un Code du travail a été adoptée dans la nuit du 22 au 23 novembre 1952. Il y a eu une loi qui n’a apporté aucun changement à la situation. Il s’agit de la loi du 6 février 1952 sur le renouvellement des assemblées locales.

Elle est intervenue pour permettre le renouvellement des assemblées. Une loi devant organiser ces assemblées devait intervenir avant le 1er juillet 1952. Nous sommes en décembre et aucun projet n’est déposé au bureau du Parlement à cet effet. Deux autres lois, l’une concernant les élections législatives du 17 juin 1951 et l’autre concernant la revalorisation de la fonction publique, dite « loi Lamine Gueye », du nom du député du Sénégal qui en était l’initiateur, ne concernaient pas seulement les territoires d’outre-mer, mais aussi la métropole. En définitive, l’Union française n’a donné aux colonies françaises qu’une seule loi, celle concernant le Code du travail.

Mais là aussi l’on remarquera que le code en question est promis aux travailleurs depuis 1944 et son vote n’est intervenu qu’après une action de grève, menée unanimement par les travailleurs du secteur public et du secteur privé de l’ensemble des territoires de l’Afrique Occidentale Française le 3 novembre dernier. Les travailleurs se préparaient à organiser d’autres actions revendicatives dès le mois de janvier si satisfaction ne leur était pas donnée en matière de vote du code du travail.

D’autre part, une déclaration à la radio de M. Aujoulat, secrétaire d’Etat au ministère du Gouvernement français précise bien que les conjonctures de la situation internationale obligeaient bien la France à « réaliser ses promesses » à l’égard des populations des pays d’outre-mer.

Mais le vote du Code du travail n’apporte pas la solution du problème. Certaines
pièces que nous allons produire indiqueront la portée de l’hypocrisie des gouvernements français en matière de politique coloniale. L’on verra ainsi que si les travailleurs des pays coloniaux ont arraché le vote du Code du travail, le ministre des Colonies ne se gêne pas de son côté de mettre tout en œuvre pour saboter l’application du Code. En effet, du Cameroun, m’est arrivée la copie d’un télégramme confidentiel du ministre des Colonies, je la joins au présent mémoire et son texte édifiera les membres de la Quatrième Commission.

(…)

III – – Fixation d’un délai pour l’indépendance

Ici je serai particulièrement bref, puisque l’Assemblée générale des Nations Unies avait adopté une importante résolution à ce sujet au cours de la sixième session, en invitant les autorités administrantes (la France et le Royaume Uni) à proposer les délais après lesquels les territoires sous tutelle pourront accéder à leur autonomie ou à leur indépendance, Ce que nous pouvons demander à votre commission c’est une recommandation invitant les Gouvernements français et anglais à faire ces propositions lors même de l’élaboration des rapports sur l’administration du Cameroun pour l’année 1952 et recommander expressément comme il est fait dans la résolution du 18 janvier 1952 à laquelle j’ai fait allusion, que ce délai doit représenter un laps de temps le plus court possible.

Je dois indiquer pour terminer sur ce point et pour terminer mon exposé que l’article 77 de la Charte place le Cameroun dans la catégorie a) en tant que territoire précédemment sous mandat, dans l’énumération des territoires ou de catégories des territoires pouvant bénéficier du régime international de tutelle. Le même article classe dans la catégorie b) les territoires qui devaient être détachés d’États ennemis, comme par exemple le cas des anciennes colonies italiennes.

Etant donné que l’Assemblée Générale avait, au cours de sa Quatrième session, fixé des délais pour l’octroi de l’indépendance aux ex-colonies italiennes, on ne saurait refuser ce droit au Cameroun qui doit bénéficier d’un droit de priorité en cette matière en tant que territoire sous tutelle classé dans la catégorie a) par la Charte des Nations Unies.

Pour ne pas abuser de votre patience, Monsieur le Président et Messieurs, je vous résume comme suit, les principales aspirations nationales du peuple camerounais :

a) Unification immédiate du pays

Nous avons déjà développé les conditions dans lesquelles le territoire pourra être administré à ce moment, c’est-à-dire par un Conseil du gouvernement avec une majorité des Camerounais et l’institution d’une Assemblée avec pouvoirs législatifs, élue au collège unique et au suffrage universel.

b) Modification des Accords de Tutelle

Dans le sens de soustraire le Cameroun de l’emprise coloniale franco-britannique et ainsi laisser les Camerounais réellement libres de se prononcer dès qu’ils seront en mesure de le faire, c’est-à-dire dès qu’ils auront un gouvernement et un parlement
dans un Cameroun unifié, de se prononcer sur telle ou telle alliance à conclure avec tel ou tel pays.

c) Fixation d’un délai pour l’octroi de l’Indépendance

Voilà, Monsieur le Président et Messieurs, ce que veut le peuple camerounais qui a surmonté toutes entraves pour me faire parvenir jusque devant votre Commission, ceci au prix de mille sacrifices.

Le peuple camerounais qui lutte pour sa réunification et qui pose déjà des jalons sur la voie de son indépendance future estime que les Nations Unies ont les moyens et sont en mesure de donner une suite satisfaisante à ses justes et légitimes aspirations.

Je vous remercie, Monsieur le Président.

Ruben Um Nyobe

New York, le 17 décembre 1952

Extrait de “Comprendre l’Histoire de l’Afrique” (à venir)
de Jean-Paul Pougala

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