Interview de Ndidi OKONKWO NWUNELI directrice associée de Sahel Consulting Agriculture & Nutrition, Co-fondatrice d’AACE Foods.  

Elle est New Voices Fellow – édition 2018 de l’institut Aspen. Elle s’attelle actuellement à la rédaction de son ouvrage ayant pour titre : « African Entrepreneurs Nourishing the World », en tant que chercheur associé au sein du centre de recherche Mossavar- Rahmani Center for Business and Government  – MR-CBG à la Harvard Kennedy School. www.sahelconsult.com. Elle nous livre à travers cette interview les perspectives pour les jeunes acteurs de l’agribusiness, ainsi que les voies à suivre pour toutes les parties prenantes, afin de juguler les difficultés alimentaires  à venir  face à la pandémie du covid-19.

Monde Economique: -Dans votre livre Social Innovation in Africa publié en 2016, vous mettez  l’accent sur la valeur qu’est l’éthique, nécessaire pour façonner la nouvelle génération d’Africains, notamment les futurs entrepreneurs et innovateurs sociaux. Pensez-vous qu’à ce jour,  cela reste un  défi ou alors des efforts ont-ils été accomplis ?

Ndidi OKONKWO NWUNELI: Mes travaux relatifs à l’Ethique remontent à l’année 2002 lorsque j’ai créé LEAP Africa.  Ma motivation s’appuyait sur deux convictions. La première sur le fait que l’Afrique a plus que besoin d’une nouvelle génération de jeunes leaders visionnaires, disciplinés, ayant des valeurs d’éthique et qui sont créatifs, et ma seconde conviction reposait sur le fait qu’un groupe restreint d’individus, partageant la même conviction devrait s’agréger et travailler ensemble pour changer positivement leurs communautés respectives, voire le monde.

Au cours de ces dix-huit dernières années, de nos moult interventions dans la formation de la jeunesse, des entrepreneurs sociaux, des enseignants,  des entrepreneurs sociaux, des enseignants, il y a malgré tout un manque crucial de leadership éthique en Afrique. Toutefois, il est important de relever que cela reste un des défis majeurs rencontrés  par l’humanité toute entière et n’est pas qu’inhérent au continent africain.

Monde Economique: Vous expliquez dans votre modèle économique (product failure) quelques écueils que vous avez rencontrés et que vous avez surmontés en appliquant des solutions adaptées.  Pensez-vous que ces solutions pourraient être appliquées par d’autres entreprises en Afrique (hors Afrique de l’Ouest) confrontées aux mêmes difficultés ?

Ndidi OKONKWO NWUNELI: Les confitures ont été la toute première gamme de produit présenté par la société AACE Foods sur le marché nigérian du détail. Nous croyions que les Nigérians apprécieraient l’ananas, la mangue, la goyave et même la confiture de papaye. Malheureusement, le sucre qui constitue la principale matière première et qui est un ingrédient clé de la confiture, a vu son prix doublé en quelques mois dans notre entreprise, rendant ainsi notre produit non compétitif par rapport à ceux importés. De plus, nous avions très vite réalisé que le citoyen nigérian moyen ne considérait pas la confiture comme l’élément essentiel de son petit-déjeuner quotidien.

Nous étions contraints de changer au plus vite nos plans triennaux qui ont consisté à produire les épices en provenance d’agriculteurs locaux pour les chaînes de restauration rapide, le commerce de détail. A ce jour, AACE Foods produit quatorze épices et condiments pour les institutionnels et les marchés de détail et également destinés à l’exportation.

La leçon essentielle que nous avons retenue au début de notre aventure est que les entrepreneurs engagés dans la voie du succès dans le paysage africain de l’agribusiness doivent développer des modèles de soutenabilité de la demande afin que cela soit rentable, résilients aux chocs et ils doivent être suffisamment agiles pour façonner et répondre aux changements dans leur écosystème.

Monde Economique: Vos produits s’exportent vers l’Europe (Pays-bas) et l’Amérique (Etats-Unis), c’est à dire du sud vers le nord. Quels conseils pourriez-vous prodiguer à tout jeune entrepreneur Africain qui nourrit de telles ambitions de conquête de marchés internationaux ?

Ndidi OKONKWO NWUNELI: Tout entrepreneur qui se fixe comme objectif de conquérir le marché international doit au préalable s’assurer de trois conditions : 

– D’abord, la performance et l’efficacité d’une chaîne logistique, dotée d’une traçabilité, en vue d’instaurer la confiance et une uniformité au niveau de la qualité du produit et des matières premières. Cela implique un investissement considérable dans l’édification d’un réseau.

– Ensuite, un meilleur contrôle de la qualité afin de s’assurer que les produits sont aux normes internationales. Dans le cas de produits alimentaires, l’exigence est plus élevée. Cela nécessite d’investir dans des procédures opérationnelles de base et un d’avoir un laboratoire de contrôle qualité, de  favoriser et d’optimiser la formation de son équipe afin d’être en adéquation avec ces standards.

-Enfin, le juste prix doit être appliqué aux produits, afin de s’inscrire dans une compétitivité de coûts, pour s’assurer de leur attractivité vis à vis des consommateurs, et consolider les techniques de négociation pour s’assurer de couvrir les coûts, incluant le transport, les délais d’acheminement et de paiement.

Monde Economique: En 2002, vous avez créé l’organisation Ndu Ike Akunuba et, qui a pour but de renforcer le potentiel de jeunes filles d’université dans la partie sud-est du Nigéria. Quel bilan pouvez-vous faire ? Pensez-vous qu’à ce jour l’écart a été considérablement réduit entre les jeunes femmes et leurs homologues sur le plan du leadership et sur le plan économique ?

Ndidi OKONKWO NWUNELI: Je suis très satisfaite des résultats et des efforts accomplis par Ndu Ike Akunuba – NIA depuis sa création 2002. Plusieurs de nos diplômés exercent des activités de premier plan dans le secteur privé, des organisations à but non lucratif et au sein du secteur public. Cependant, des écarts entre hommes et femmes subsistent aussi bien au Nigéria, que dans le monde, bien qu’en ce qui concerne les postes de niveau débutant, junior, cet écart s’estompe, même si cela reste très significatif pour  les postes de direction et les conseils d’administration, aussi bien dans le secteur public.

Je crois fermement que nous avons davantage besoin de campagne de solidarité pour l’égalité des sexes, d’impulser des champions et mettre des quotas, notamment dans le secteur privé et public qui promeut l’égalité des genres dans le leadership. Le Rwanda et l’Afrique du Sud montrent la voie à suivre et ont enregistré de bons résultats.

Monde Economique: Face à la pandémie du COVID-19 que nous connaissons, pensez-vous que les acteurs de l’agribusiness en Afrique devraient plus s’impliquer dans la production de plantes indispensables à notre santé ?

Ndidi OKONKWO NWUNELI: Avec l’étendue de la pandémie du COVID-19 et le confinement progressif et observé au sein des villes et pays à travers l’Afrique, je crains que la famine constitue une menace pour le continent.Mes peurs s’expliquent par le fait qu’en ce moment, nous sommes en saison propice dans la plupart des régions du continent, les agriculteurs sont tenus de rester chez eux et les travailleurs saisonniers ne peuvent plus de déplacer. Nos frontières nationales et régionales sont fermées, avec une restriction de l’activité de négoce. Si ces faits persistent et ne sont pas résolus de tout urgence, à court terme, cela engendrera des pénuries alimentaires, des flambées de prix, et à moyen et long terme, des problèmes de mal nutrition, de grande famine et même des décès parmi les populations les vulnérables.Nous devons agir de toute urgence pour endiguer la propagation du virus.

Il n’y malheureusement pas une bonne convergence et coordination entre les groupes industriels, le secteur privé et la société civile, le secteur public, afin de prendre conscience de l’imminente crise alimentaire sur le continent africain, crise due au virus COVID-19. Heureusement, il n’est pas trop tard pour agir ! Nous devons enclencher une étape décisive et anticiper afin de s’assurer que la population a accès à des prix abordables à l’alimentation aussi bien dans les zones rurales et urbaines. Cela implique : 

1- Qu’au niveau fédéral et local, nos gouvernements reconnaissent les parties prenantes fondamentales de la sphère alimentaire et agricole comme étant  des opérateurs indispensables et qu’ils leur fournissent protection et soutien dont ils ont besoin pour continuer à travailler, tout en suivant les protocoles de santé et de sécurité pré-établis. Nous devons maintenir l’ouverture des marchés alimentaires et des usines, en établissant des directives générales claires visant à limiter l’affluence de la foule, de publier largement les horaires quant au filtrage des entrées sur une période donnée. Nous pouvons nous inspirer de l’exemple chinois au regard de ce qui s’est passé ces derniers mois, où les autorités gouvernementales, notamment le Ministère de l’Agriculture et des Affaires rurales (MARA) et le Ministère des Ressources et de la Sécurité Sociale et la Commission nationale de santé ont, à plusieurs reprises publier des informations détaillées aux agriculteurs sur la maîtrise et la prévention du virus dans les zones rurales, ainsi que des recommandations et des protocoles pour préparer leur saison de plantation et soutenir les secteurs de l’élevage et de la volaille.

Nos gouvernements doivent impérativement, au-delà des orientations et des protocoles, s’associer avec le secteur des services financiers afin de développer des programmes de prêts complets destinés aux agriculteurs et aux entrepreneurs qui se sont engagés à travailler pendant les crises et qui peuvent démontrer leur capacité à combler les lacunes critiques de l’écosystème alimentaire.Ces interventions doivent impliquer activement les femmes, qui jouent un rôle essentiel dans le secteur. De plus, nos gouvernements doivent évaluer les réserves nationales stratégiques et d’urgence de céréales pour évaluer ce qui est disponible et comment gérer et déployer efficacement ces réserves de manière transparente et responsable afin de minimiser les hausses de prix et les pénuries généralisées.

2- Les associations professionnelles, les sociétés du secteur des biens de consommation courante, les sociétés de commerce international, les regroupements d’entreprises, les grossistes, et les détaillants doivent collaborer afin de garantir un ravitaillement efficient et efficace des denrées alimentaires accessible à une multitude de personnes. En tirant parti de la technologie, les fournisseurs et les transformateurs de matières premières peuvent collaborer activement avec les prestataires de logistiques et les détaillants pour s’assurer que les produits alimentaires sont acheminés là où cela est le plus nécessaire, et qu’aucune frange de la population ne soit laissée pour compte.

Le temps n’est pas à la thésaurisation et à la fixation de prix, marqué par une obsession d’engranger des bénéfices et d’une croissance à tout prix. Les entreprises doivent converger vers un idéal supérieur, axé sur des valeurs communes, plaçant les besoins de leurs clients et des Africains avant leurs propres exigences de bénéfices et de création de valeur pour les actionnaires. Pour que cela se produise, les agences de protection des consommateurs et les organisations anticoncurrentielles doivent surveiller de près les activités des plus grands acteurs de l’industrie alimentaire, de la filière agroalimentaire, afin de garantir des conditions équitables. 

De plus, le secteur privé faciliter l’introduction de drones, de capteurs et d’autres solutions d’agriculture de précision et de technologies innovantes, qui permettront une surveillance active à distance de l’activité agricole commerciale. Des entreprises à l’instar d’Atlas AI ont démontré la puissance de la technologie pour gérer les fermes et évaluer l’impact, sans contact humain direct.

Nos organisations à but non lucratif et organisations médiatiques doivent  fournir un leadership éclairé, de  surveillance et d’orientation à l’ensemble de l’écosystème. Des organisations telles que GAIN sont déjà prêtes à fournir des conseils essentiels au cours de cette période.

3- En définitive, le citoyen moyen doit investir dans son propre potager et des jardins communautaires, tout en veillant à l’éloignement social, à gérer judicieusement son budget alimentaire et à partager avec ses voisins. Les organisations confessionnelles doivent ouvrir des soupes populaires, offrir des repas gratuits et s’associer à des prestataires logistiques pour coordonner les livraisons. Nous devons rétablir la confiance dans nos communautés en prenant soin des plus vulnérables en cette période extrêmement difficile de l’histoire de notre humanité ! 

Marquée par un optimisme permanent, j’espère qu’en tant que peuple, nous survivrons à la pandémie du COVID-19, où émergeront des enseignements fondamentaux et un écosystème alimentaire plus résilient, uni et efficace. Le moment est venu pour les gouvernements, les acteurs de l’écosystème alimentaire et les citoyens d’agir! Chaque minute est importante !

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