La nomination tardive d’un premier ministre et de son gouvernement au Cameroun après une élection présidentielle sans surprise n’a pas éclipsé le doute installé dans la population. Paul Biya a reconduit une équipe rompue à la corruption avec quelques aménagements pour une gouvernance clanique. On ne change pas une équipe qui échoue depuis des décennies.
Le rôle et la légitimité des nouveaux ministres et des indéboulonnables sont toujours remis en question. Paul Biya n’a pas su saisir l’opportunité qui s’offre à lui pour son dernier mandat. Les camerounais attendaient un changement radical des femmes et des hommes qui piloteraient « la trajectoire de l’émergence ». Il n’en est rien !
Dans son discours de fin d’année, le peuple attendait des explications officielles sur le retrait de la Coupe Africaine des Nations (CAN) au Cameroun. Le président s’est encore illustré par une rhétorique dont il use sans modération : « le glissement de date » pour achever les travaux en cours. La montagne a encore accouché d’une souris. Les mêmes causes ayant les mêmes effets, nous pouvons douter du changement de comportement des fossoyeurs de la république toujours en poste.
Il est vrai qu’ au Cameroun, la notion du temps est très élastique. Mais peut-on continuellement s’adresser à son peuple en masquant une gouvernance approximative marquée par des insuffisances et des échecs, des promesses jamais tenues et le mépris ?
Les fondements de la démocratie telle que nous la connaissons sont piétinés avec la montée des inégalités sociales, la corruption, le tribalisme et plus encore le mépris du citoyen. Le nouveau gouvernement n’est qu’une horde poussive d’exécutants qui servent les intérêts d’une oligarchie au service d’un seul homme:Paul Biya. Les dirigeants du RDPC, le parti politique au pouvoir, n’ont rien compris de leurs échecs répétés qui ruinent le pays par une dette colossale, une gestion calamiteuse de ses ressources et des indices économiques et financiers au rouge. L’homme politique jouit de la garantie et de la soumission totale des forces de l’ordre et il peut continuellement défier la colère de la population dépourvue de ses droits.
La fracture profonde entre la population et ses dirigeants est un signe perceptible dans toutes les strates de la société. L’exil des jeunes vers la Méditerranée bat son plein. La prostitution sur Internet à la recherche d’un « blanc » s’active. Bref, tout le monde rêve de partir vers une Europe de plus en plus enclavée. Seul le pouvoir en place n’a pas conscience du désespoir, des incivilités débordantes et du désarroi affiché des gens d’en bas, ceux qu’on appelle « les déshérités de la gamelle ».
Cette situation est intenable à terme. On peut y voir un signe de l’incapacité notoire et affichée de l’équipe dirigeante à se remettre en cause et à proposer une nouvelle politique plus adaptée aux objectifs du millénaire pour le développement (OMD) qui engagent le Cameroun et qui devraient diminuer la pauvreté et la faim. Ces engagements sont incontournables pour sortir du club des pays pauvres très endettés (PPTE) et doivent prendre compte les actions suivantes : Assurer l’éducation primaire pour tous ; promouvoir l’égalité et l’autonomisation des femmes ; réduire la mortalité infantile ; améliorer la santé maternelle ; combattre les maladies et assurer un environnement humain durable.
Pour y parvenir, une condition s’impose : la création d’une richesse inclusive qui oblige le Cameroun à se développer en valorisant et en transformant ses richesses endogènes agricoles et minières. Tout cela n’est possible que si le pouvoir en place arrête de marginaliser son opposition et sa classe moyenne. Le fossé qui sépare le politique au peuple est abyssal. Pour le combler, il faut une véritable révolution du palais.
L’équipe dirigeante, sourde, aveugle et autiste n’est pas en mesure d’altérer son mode de fonctionnement. C’est pourquoi il faut réinventer une nouvelle classe politique au Cameroun pour contenir une grogne trop souvent étouffée par la barbarie des forces de l’ordre.
En effet, la classe politique au pouvoir a perdu pied avec le citoyen et ne voit pas venir le ras le bol de ce dernier. A chaque revendication, le citoyen se voit opposé aux forces de l’ordre dont la brutalité est sans équivoque. La lassitude gagne. Le doute aussi. Mais pour quelle issue ? Bien malin qui peut y répondre. Et comme l’avenir n’est écrit nul part, nous pouvons redouter des lendemains d’une extrême brutalité.
Aujourd’hui, le pouvoir politique au Cameroun ne peut ni ignorer ni masquer ses échecs. Ils sont flagrants aux yeux du monde. Il faut des réponses fortes pour l’adhésion de tous aux défis économiques de notre millénaire.
Par Michel Lobé Etamé
Journaliste