La nouvelle monnaie de l’UMOA, l’Eco entrera en vigueur en 2020 selon Emmanuel Macron et Alassane Ouattara. Dans cette interview exclusive, l’ex Gouverneur de la BCEAO DACOURY-TABLEY Philippe-Henri parle des aspects fondamentaux de cette décision.
Ouattara et Macron ont annoncé samedi 21 décembre 2019, « la mort » du franc cfa, au profit d’une nouvelle monnaie ouest africaine, l’Eco. quels commentaires ?
Pour des raisons évidentes, que vous comprendrez aisément, je suis tenté de dire « no comment ». Cependant, le sujet est d’importance et même existentiel pour nos pays. Il serait donc inconvenant, pour quiconque et pour quelque motif que ce soit, de s’abstenir, de parler ou d’agir, au moment où l’existence de nos pays est menacée. Et la monnaie a ceci de particulier qu’elle touche, influence et agit sur tous les grands domaines de la vie des États, notamment l’économie, la politique et la société toute entière. C’est pourquoi, paraphrasant Winston Churchill, je dirai que la question monétaire est si importante et si vitale pour un pays, qu’il ne faut pas la laisser entre les mains, uniquement, des économistes et des politiciens. Elle doit être l’affaire de toute la population. Merci à ceux qui l’ont compris ainsi et qui ont fait bouger les choses, la jeunesse africaine en particulier.
Mais la lutte ne fait que commencer. Car la déclaration de Macron et Ouattara ne résout pas la question posée, par contre, elle constitue un aveu, sinon une preuve de la nuisance du F FCFA. Sinon, pourquoi changer soudain une monnaie dont le Chef d’Etat ivoirien disait, il n’y a pas si longtemps, qu’elle est solide et marche bien et, à la limite, constitue une bénédiction pour nos pays?
Monsieur le gouverneur, cette annonce devait-elle être faite par ces deux chefs d’état?
En toute chose il y a la forme et le fond. Les deux éléments peuvent interagir l’un sur l’autre, aller dans le même sens ou en sens contraire. Pour le cas qui nous concerne, l’objectif poursuivi a conduit à une forme non conforme au fond.
En réalité, l’annonce des deux Chefs d’Etat, qui s’apparentait plutôt à un show, n’avait pas pour objectif de faire droit aux légitimes revendications des populations de la Zone Franc. Ce spectacle, où le MC (Maitre de cérémonie), Alassane Ouattara, était chargé d’annoncer le PCO (président du comité d’organisation), Emmanuel Macron, avait seulement pour objectif de montrer la France et Macron sous un beau jour, en train de briser les chaînes de la servitude monétaire des Africains, avec l’espoir d’étouffer le prétendu sentiment anti français qui fait si peur au Chef d’Etat français…
La décision et l’annonce d’une telle réforme, présentée comme fondamentale, ne sont pas du ressort des deux Chefs d’Eta. La question relève de la Conférence des huit Chefs d’Etat de l’UMOA.
Cette opération du duo Macron-Ouattara, loin d’avoir résolu la question du F CFA a plutôt mis en exergue un certain nombre de questions et d’interrogations:
- Pourquoi les autres Chefs d’Etat de l’UMOA ont-ils brillé par leur absence sur ce dossier?
- Pourquoi cette posture de Macron faisant un cadeau aux africains?
- Pourquoi cette précipitation à l’allure de sabotage du projet de la monnaie unique (l’ECO) de la CEDAO?
- Pourquoi, dans leurs discours, Macron et Ouattara laissent faussement entrevoir que les autres pays de la CEDAO pourraient intégrer l’ECO parrainé par la France?
En vérité, la procédure de mise en œuvre de cette réforme Macron-Ouattara, faite de demi-mesures, de précipitations et de non-dits, ne visait qu’à produire un effet d’annonce en vue de montrer la France sous un jour favorable.
Mais qu’en est-il du fond ? Les réformes annoncées répondent-elles aux revendications exprimées contre le f cfa?
Pour apprécier la réforme proclamée par Macron et Ouattara, il est utile de rappeler que la coopération monétaire entre la France et les pays africains de la Zone Franc est régie par quatre grands principes fondamentaux:
- la garantie de convertibilité illimitée du F CFA,
- la fixité de la parité par rapport à l’Euro,
- la libre transférabilité des capitaux et
- la centralisation des réserves de change.
Ce sont ces quatre piliers qui fondent la Zone Franc. Sur ces quatre piliers, la réforme annoncée par Macron et Ouattara ne touche qu’un seul élément, à savoir la centralisation des réserves de change, le moins essentiel des quatre principes pour la France. Dans tous les cas, c’est un principe dont la suppression était déjà programmée et amorcée. En effet, le pourcentage de centralisation des réserves est passé dans le temps, successivement, de 100%, au départ, à 65%, puis à 50% depuis 2005. Cette baisse devait se poursuivre pour aboutir à la suppression totale de la centralisation. Ce point de la réforme n’est donc pas un changement fondamental et inédit.
La réforme rendue publique n’a touché, ni à la garantie de convertibilité du F FCFA, gros leurre, qui infantilise les pays africains; ni à la fixité de la parité, qui focalise les pays de la Zone Franc sur l’obsession de la stabilité monétaire au détriment d’une vraie politique monétaire au service du développement; ni à la libre transférabilité, véritable boulevard qu’empruntent les capitaux de la Zone Franc en direction de la France.
Si ces piliers de la Zone Franc demeurent en l’état, autant dire que rien n’a changé. Ce qui est demandé par les populations africaines aujourd’hui, c’est un abandon pure et simple du F Fcfa, entendue comme monnaie entretenant des liens suspects avec la France, au profit d’une monnaie dont la garantie et la convertibilité seront assurées par l’économie des pays africains. Et cela n’a rien d’impossible.
Une garantie de notre monnaie par la France est-elle possible sans contrepartie ?
Non, dans le monde d’aujourd’hui il n’y a rien sans rien. Et c’est ce qui nous fait dire que cette réforme Macron-Ouattara contient des clauses cachées et qui pourraient ne jamais être révélées. Les pays africains vont sûrement payer très gros. Quant à Ouattara, il a déjà sa rémunération: le soutien indéfectible de Macron pour 2020.
Il n’y a donc pas lieu de se réjouir de la réforme annoncée par les deux chefs d’Etat? Est-ce une réformette?
Non, au regard de ce que j’ai dit plus haut, il n’y a aucune raison de se réjouir. Ce qui a été annoncé n’est ni une réforme, ni une réformette. C’est rien du tout, ou plutôt c’est de la prestidigitation, de la poudre aux yeux. Voyons! On débaptise le F FCFA et on le rebaptise ECO et on croit que c’est tout, le tour est joué. Un nom ne change pas la nature de la chose nommée.
Quant au retrait des représentants français des instances de l’UMOA, il ne signifie pas la fin de l’influence multiformes et des moyens de pressions de la France sur ses anciennes colonies. Cette mesure prise par Macron ne réduira en rien le diktat de la France sur les pays de la Zone Franc.
Finalement l’Eco de la CEDAO, l’Eco de l’UMOA, que va-t-il se passer?
C’est ce flou artistiquement créé qui fait croire qu’on a volontairement mis de l’eau dans le gaz pour coincer la réalisation du projet de la CEDAO qui, pour la France et ses affidés, constitue une menace réelle pour le F CFA.
L’ECO, version Macron-Ouattara, risque ainsi de rester circonscrit aux actuels pays de l’UMOA. En effet, il est inimaginable de croire, un seul instant, que le Nigéria, le Ghana et la Guinée etc.., accepteraient aujourd’hui de se mettre volontairement sous le joug colonial de la France.
En définitive, la France a décidé de tuer dans l’œuf le projet de la monnaie unique de la CEDAO, ce sera peut-être le cas, mais il n’est pas du tout évident que son propre projet de l’ECO-F CFA, frappé d’un péché originel infamant, prenne corps et s’épanouisse.
En tout état de cause, comme il en est de leur liberté, il revient aux populations d’arracher, sans compromission, leur sortie de la Zone Franc.
Une interview réalisée par Marie-Mélanie Bossoué
lhorizoninfo