La reine Élisabeth II, tout sourire, dans les bras du très panafricain président du Ghana, Kwame Nkrumah, en novembre 1961 est l’événement médiatique original associé à sa disparition. Certains commentateurs britanniques sans grande culture historique ont brandi inopportunément le mot “dictateur ” pour parler du père de l’indépendance du Ghana, confondant ainsi l’intellectuel Nkrumah avec le maquisard des Grands lacs africains. Pourtant, un simple coup d’œil dans les archives du Foreign Office suffit pour comprendre qui est Kwame Nkrumah. De temps en temps, il n’est pas idiot de rappeler qu’il y a eu de grands hommes et de grands dirigeants en Afrique. C’est évident n’est-ce pas !
Le seul problème de Nkrumah est qu’il lutte dans les années 50, en tant qu’enseignant, pour l’émancipation des élèves et étudiants de son pays par la connaissance. Ceci ne plaît pas du tout au système colonial britannique qui le trouve dangereux. Il décide alors de partir aux États-Unis où il obtient sa maîtrise en Philosophie avant de se rendre ensuite en Angleterre où il travaille avec d’autres intellectuels sur les dérives du colonialisme britannique et l’obscurantisme racial aux États-Unis. Nkrumah aime les livres, écrit et réfléchit sur les problèmes politiques de son temps.
Titulaire d’un doctorat en philosophie, il lutte pour l’indépendance du Ghana et multiplie les conférences pour sensibiliser les jeunes et les étudiants de son pays. En 1949, il appelle à la désobéissance civile pour obtenir l’indépendance du Ghana. L’administration coloniale britannique voit rouge et le fait arrêter et condamner à 3 ans de prison. Malgré son incarcération, il se présente aux élections et remporte le scrutin avec 95% des suffrages. Les Britanniques sont obligés de concéder l’indépendance du Ghana et Nkrumah devient président de la République. Dans les fiches des services secrets français, le nom de Kwame Nkrumah sème la panique. Pour la CIA, il est considéré comme “la plus grande menace contre les intérêts américains en Afrique “. Élisabeth II sait donc à qui elle a affaire lorsqu’elle effectue son voyage à Accra en 1961. Elle est incontestablement au-dessus de la mêlée car les plus hautes autorités britanniques n’y sont pas favorables. Winston Churchill écrit, pour l’occasion, au Premier ministre de l’époque, Harold Macmillan, pour lui dire que la sécurité de la reine est menacée dans ce pays de buffles et d’éléphants et qu’il ne faut pas donner l’impression de soutenir un régime autoritaire en référence à Nkrumah. Peine perdue, Elizabeth part à Accra et s’offre quelques pas de danse avec l’illustre président du Ghana. Qui osera critiquer la reine d’Angleterre ? Tous les piteux et plumitifs des tabloïds de Londres font profil bas. Elisabeth avait compris que Nkrumah n’était pas le monstre que l’on affichait partout. Il voulait juste être libre et souverain chez lui. Et cela était logique pour la reine. En réalité, Élisabeth II avait pris de la hauteur là où beaucoup s’étouffaient encore avec la sucette coloniale.
Charles Onana
Politologue et écrivain