J’aime cette victime désignée, résignée, comme on en fait aujourd’hui, membre consentant d’un système qui cannibalise implacablement ses créatures pour en faire des êtres broyés, stratifiés, sacrifiés. Priés de garder silence et de laisser pénétrer la douleur…
En ce mois de novembre de cette année finissante, il cumule 5 ans à l’ombre de la république. Gervais est son nom de baptême. Privé de l’absence aigu d’un père qu’il n’aura jamais ; marqué à vie par les stigmates d’une cour de récréation cruelle, où tout le monde sauf lui disait ‘mon papa’ ; coincé entre une mère soumise qui portait son péché de jeunesse dans le silence d’une repentance dévote, et le mari de sa mère, catéchiste ombrageux de la paroisse de Nkong-Mekak ; lesté de son profil d’orang-outang, cet homme n’a jamais été heureux : « A ma naissance, ma mère célibataire n’a que 17 ans » me confiera t-il en juin 2000 dans le roucoulement volcanique d’un Mont-Cameroun en éruption. « Le nom de ‘Ze’ contenu dans ma filiation est celui de mon grand-père ». Sa vie aura été un point d’interrogation à l’allongée de son regard de chien battu.
Il s’est donc lancé à corps perdu dans la recherche du graal. Docteur d’Etat es lettres ; une production littéraire abondante ; une spiritualité bruyante avec au bout du chapelet, l’adoration quasi-mystique de Marie-mère-de-Dieu. Ce chemin de vie aurait-il suffi à faire oublier une enfance truffée de quolibets ?
J’aime cet homme derrière les barreaux qui se méfiait des ‘amis politiques’ comme la peste, préférant la chaleur toute féminine de la ‘voix du cénacle’ !
Promu par un décret dans la cour des grands, le voici maintenant au devant de la scène. Bâtissant sa revanche sur son passé d‘ombre. Projeté en pleine lumière par le tube cathodique, démontrant au forceps ses idées originales ; s’entourant de décorum et de paternalisme enrobés d’une générosité à toutes épreuves avec dit-on, l’argent du contribuable. Il se taille aussi un petit bout de chefferie aux confins d’Otoakam, village de sa mère. Il aurait sans doute fait une carrière universitaire tranquille à l’image de ceux qui ne bénéficieront jamais du décret qui souvent conduit à la déchéance.
Aveuglé par une brillance factice, journaliste avant la lettre qui aimait à se moquer « des bacs+3 »; auteur compositeur de cœur et de raison ; griot par procuration, magnifiant l’humain créateur d’Etoudi tandis qu’il copulait avec l’immortelle vierge, Gervais s’était assuré croyait-il, une immunité sur terre et au ciel.
C’était toutefois un mélange de simplicité et de troublante ivresse dans son petit coin de pouvoir. Mais se préparait alors, sur les éphémérides du destin, une dégringolade carcérale. « Je refuse cette atmosphère de mise à mort, cette odeur de brûlé ; quand le peuple demande à voir le gouvernement à son service, on ne devrait pas lui servir du sang et de la chair humaine, car il y a longtemps que nous avons cessé d’être cannibales », écrit Vincent Sosthène Fouda.
Trop lent, trop tard, trop triste ce cruel sort de Mendo Ze. Aujourd’hui, ‘l‘Etoile de Noudi’ porte pâle. Il y a si longtemps qu’il est rentré dans l’anonymat d’où il n’aurait jamais du sortir.
J’aime cet homme de 70 ans passés, qui a rêvé aussi de gloser sur la « joséphologie ». Ze, du nom hérité de son grand père, est un artiste. Mais doit-on tirer sur l’artiste ? Il dépensait sans compter, pour les nantis comme pour les nécessiteux. Pour les œuvres religieuses comme pour la pieuvre politique. Il était ce fils adoptif de catéchiste qui a reçu du père noël un jouet compliqué, qui l’a psychologiquement perturbé et fait disjoncter ! Il encombrait l’espace public comme une revanche contre cette cour de récréation de l’école de la mission catholique, où il n’avait pas droit à la parole, ni au patronyme. Souffre-douleur, mais aussi amuseur public comme il y en a tant, évanescents et intrinsèquement fugitifs, qui se prennent au sérieux, déblatérant à longueur de télé, ivres de liberté provisoire, pompant le peu d’air pur qui leur reste tant qu’ils ne sont pas encore derrière les barreaux.
La justice des hommes a eu la main lourde. 20 ans de prison ferme pour l’enseignant d’université arrêté en novembre 2014 après un passage furtif au gouvernement. Mais est-il sorti de son nuage ? Gervais Mendo Ze: «Votre honneur, je suis très ému. Je vais vous dire une chose: j’ai produit la première image de la télévision nationale. Jusqu’à maintenant, on continue de diffuser les feuilletons que j’ai conçus dans ma tête. Les pièces que j’ai présentées ne résistent pas à l’analyse des faits. Je suis venu ce matin ayant la conviction que je serai acquitté. Qu’est-ce que le pays va gagner en me mettant à mort ? Restez en paix !» dira t-il devant la barre du TCS… Edouard KINGUE