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Les retentissants scandales des scieries vietnamiennes à Abong-Mbang et Bertou.
Exploitation illégale, non-respect des aires protégées, opérations de blanchiment, évasion fiscale tout y passe. Parmi complices locaux, des noms insoupçonnés, des magistrats. L’argent, le sexe et l’intimidation sont utilisés à chaque fois qu’il y’a dénonciation du pillage et des activités illégales toujours proches des forêts communales dans le département du Haut-Nyong.
Il y a quelques temps, un rapport produit avec l’aide financière de l’Initiative Internationale pour le Climat et la Forêt de la Norvège (NICFI), de la fondation Good Energies et du Fonds Tilia mettait à nu les pratiques mafieuses des scieries et opérateurs forestiers vietnamiens au Cameroun. Ce rapport a fait partir le délégué régional des forêts du Littoral de l’époque et entrainé la fermeture de plusieurs scieries de vietnamiens à Douala. Seulement, comme ce délégué a été muté à Bertoua dans la région de l’Est, plusieurs de ces scieries l’ont suivi et sont désormais installées à Abong-Mbang et Bertoua. Et comme le chien marche avec sa queue, celles-ci ne disposant pas de forêts en exploitation, elles encouragent et financent l’exploitation sans titre par des opérateurs pirates locaux. C’est la cause de l’explosion et de l’expansion des activités illégales d’exploitation forestière toujours proches des forêts communales dans le département du Haut-Nyong. Toujours à la recherche du Talli, du Doussié et d’autres essences précieuses. Les bénéficiaires s’enrichissent outre mesure au détriment de l’Etat, des Communes, des populations et en violation flagrante des engagements internationaux du Cameroun. Les échos et les faits qui ressortent de la couverture que bénéficient ces vietnamiens et leurs bras séculiers sur le terrain font état d’une corruption profonde qui touche presque toutes les administrations. Des noms insoupçonnés et même des magistrats sont cités comme protecteurs de cette mafia forestière à ciel ouvert. Argent, sexe et intimidation sont utilisés. Des procédures judiciaires ont cours contre tous ceux qui dénoncent. Des élus municipaux qui ne ‘’coopèrent’’ pas sont l’objet de toutes les invectives et des menaces. Déjà à chaque fois qu’il y’a dénonciation, ça fait de l’argent gagné pour les contrôleurs. De manière concrète, pour alimenter leurs scieries et obtenir des grumes des essences sollicitées que sont le Tali et le Doussié, les vietnamiens financent les ‘’warapeurs’’ locaux qui coupent le bois aux abords des forets communales ou communautaires et s’activent à utiliser les papiers légaux de ces titres d’exploitation pour ‘’laver ‘’ leurs bois issus de l’exploitation illicite. Ici, aucune norme n’est respectée. L’exploitation est non durable. La façon de faire des affaires de ces vietnamiens encourage seulement les’’warapeurs’’ à poursuivre le prélèvement illégal des essences forestières et ce n’est pas durable. Les forêts sont littéralement détruites. Ces Vietnamiens et leurs complices provoquent le chaos dans un secteur forestier dans le département du Haut-Nyong par exemple où ‘’les Warapeurs’’ sont devenus tout puissant au point de menacer tous ceux qui tentent de faire respecter la légalité et de s’opposer au pillage des forets. A certains endroits ‘’ça marche’’, à d’autres ‘’ça ne marche pas’’. Les traitements qui sont réservés par les ’’ warapeurs’’ aux gestionnaires des titres dans les réseaux sociaux déterminent quel type de relations qu’ils ont avec les uns et les autres. Les responsables des démembrements locaux du Ministère des Forets sont tellement mouillés comme certains magistrats dans cette mafia qu’il devient impossible de retrouver le chemin de la légalité et de la bonne gouvernance. Or, tout le monde sait que 80% des grumes qui entrent dans les scieries vietnamiennes à Abong-Mbang et Bertoua sont illégales. C’est pour cela qu’elles sont rapidement tronçonnées.
La mafia vietnamienne
Les pratiques ici sont les mêmes que celles révélées dans tous les rapports suscités que nous rappelons quelques lignes du mode opératoire. L’exploitation et le commerce du bois par les vietnamiens au Cameroun se fondent sur des stratagèmes choquants et des activités illégales. Il y a la violation généralisée des lois sur l’exportation. Ils dressent la liste des essences dont l’exportation est interdite sous forme de grumes, et celle qui limite la taille des produits dérivés transformés autorisés à l’exportation. Certaines sociétés vietnamiennes font régulièrement de fausses déclarations – grâce à leurs complices locaux du MINFOF – concernant les essences exportées au Vietnam. Il y a aussi des opérations de blanchiment couvertes par la paperasse. Afin de répondre aux exigences des autorités vietnamiennes, plusieurs des sociétés qui font le commerce du bois ont concentré leurs efforts sur l’obtention de documents camerounais, en faisant abstraction de l’origine réelle du bois mis sur le marché vietnamien.
L’évasion fiscale.
Le commerce du bois entre le Cameroun et le Vietnam ne contribue guère à améliorer les recettes de l’État camerounais, les transactions financières étant souvent clandestines. Elles se font en espèces et reposent sur des déclarations erronées. Entre trois, les exportateurs du Cameroun ont déclaré 308 millions de dollars US de moins que les importateurs du Vietnam.
En décrivant le commerce lucratif et le système de blanchiment mis en place entre le Cameroun et le Vietnam, un responsable de Hai Duong a déclaré aux enquêteurs infiltrés d’EIA : « Ces Noirs ne sont pas si intelligents. S’ils pouvaient le faire, nous ne serions pas là. » Les sociétés commerciales vietnamiennes font souvent de fausses déclarations des grumes équarries surdimensionnées de Doussie qu’elles exportent comme une autre essence non soumise à l’interdiction partielle d’exportation de grumes. ‘’C’est très facile. Mais le fait est que, si vous soudoyez, ils ne feront pas la différence… vous soudoyez au port… Mais honnêtement, si l’origine de votre bois n’est pas claire dans le parc d’entreposage, vous devez déjà soudoyer là-bas et ensuite au port, puisque si votre bois arrive à l’usine/parc d’entreposage et que son origine n’est pas claire, vous devez soudoyer pour passer le contrôle. »
L’exportation illégale du bois de sciage.
Les essences qui font l’objet d’une interdiction d’exportation sous forme de grumes doivent être transformées au Cameroun. Le niveau de transformation obligatoire, généralement défini par la taille maximale des produits dérivés autorisés à l’exportation hors du Cameroun ne peuvent pas dépasser 15 centimètres d’épaisseur. D’après les observations directes faites par les enquêteurs d’EIA et les témoignages de multiples sources bien introduites, les grumes et planches équarries, en particulier le Doussie, couramment exportées par les sociétés vietnamiennes ne respectent pas la législation camerounaise. La plupart d’entre elles ont une taille supérieure à celle de la taille maximale légale (15 centimètres) autorisée pour l’exportation. Le représentant d’AFA explique que le système de corruption pour l’exportation illégale de grumes fonctionne également pour les planches surdimensionnées : « Cependant, si vous voulez éviter les problèmes, versez 100 000 CFA de plus par mètre cube et ils vous laissent passer. ». Le non-respect de la taille maximale des grumes équarries est au cœur de leur modèle d’affaires. L’expédition de grumes surdimensionnées permet à leurs sociétés d’accélérer les processus d’équarrissage, de chargement et d’expédition. Ceci permet à la société d’expédier des volumes massifs dans des délais très courts– quelques semaines seulement de l’arbre sur pied dans la forêt au conteneur chargé sur le point d’être expédié au Vietnam –et de recevoir des paiements qui sont immédiatement utilisés pour l’achat de nouvelles grumes. D’exportation sous forme de grumes– permet à la société de connaître une transformation rapide et de gérer la trésorerie dont elle a besoin pour ses transactions commerciales informelles et en espèces. Le respect de la taille réglementaire –en exportant des planches traditionnelles de « quatre par six » (quatre pouces d’épaisseur par six pouces de largeur) – ralentirait considérablement leurs activités et les conduirait inévitablement à la faillite.
La déclaration erronée à l’exportation et la perte de revenus de l’État
Le commerce du bois entre le Cameroun et le Vietnam revêt une autre caractéristique essentielle : les registres officiels révèlent que ce commerce est massivement sous-déclaré du côté camerounais. Il existe un écart important entre la valeur des produits dérivés que le Cameroun déclare comme étant exportés vers le Vietnam, et celle que le Vietnam déclare comme étant importés du Cameroun. Cet écart est particulièrement frappant pour le commerce des grumes. En trois ans l’écart total s’élevait à 420 millions de dollars (soit 356 millions de dollars US pour les grumes et 63 millions de dollars US pour les produits transformés). L’écart, qui s’élevait en moyenne à 90 millions de dollars US par an pendant trois ans indique une énorme perte de recettes fiscales pour le Cameroun. Par exemple, si le [prix] du bois est de 10.000 FCFA et on déclare qu’il coûte 5.000 FCFA ou 3.000 FCFA etc. Le montant imposable sera donc inférieur. Deuxièmement, un conteneur de [20 pieds] fait 23 mètres cube et on va déclarer qu’il fait 12 mètres cubes. Il s’agit-là de la moitié. Cette pratique courante parmi les entrepreneurs vietnamiens qui opèrent au Cameroun. ‘’Les Noirs du gouvernement veulent aussi avoir de l’argent’’.
Par ailleurs, ils ont exploité leurs scieries en violation du Code du Travail camerounais, notamment en ce qui concerne l’obligation de signer un contrat à court ou à long terme avec leurs employés (Article 23 du Code du Travail). Par conséquent, de nombreux salariés camerounais qui travaillent dans des sociétés vietnamiennes n’ont pas de bulletins de paie mensuels, en violation de l’article 61 du Code du Travail. Les abus contre les travailleurs locaux par des sociétés vietnamiennes ont été signalés dans toute la région de l’Est Cameroun. Ils ne respectent pas ses multiples engagements, notamment des conditions de travail justes et sans danger. Les mauvaises conditions de travail imposées par les sociétés vietnamiennes à leurs travailleurs camerounais reflètent le mépris qu’elles ont pour eux, comme un responsable de Xuan Hanh l’a expliqué aux enquêteurs : « EIA : Combien de personnes employez-vous ici ? Xuan Hanh : Dans cette scierie, nous avons quatre employés administratifs, 15 à 16 scieurs vietnamiens, et 50 à 60 ouvriers Noirs qui les aident. EIA : Dépensez-vous beaucoup d’argent pour leur rémunération ? Xuan Hanh : Non, les Noirs sont bon marché : environ 100 000 dongs vietnamiens [4,3 dollars US] par jour, sans compter la nourriture. Ça fait environ 2 500 CFA par jour. EIA : C’est vraiment très bon marché. Xuan Hanh : Mais c’est suffisant, parce qu’en réalité, ils sont vraiment très stupides. Ce sont de vrais idiots. Ce sont des imbéciles, des affamés. »
Une autre mission d’une ONG internationale est en cours depuis quelques mois dans le département du Haut-Nyong. Les rapports qui seront bientôt disponibles sont remplis des révélations terrifiantes sur les noms, les gains et toutes les combinazionnés.
Jean-Paul POUGALA