L’Afrique va subir de plein fouet les conséquences économiques de la pandémie du Covid-19. Comment les atténuer ? Au-delà d’un moratoire sur la dette, la mobilisation financière tous azimuts de la communauté internationale sera cruciale. A local artists makes and sells face masks made from cloth in the Kibera slum, Nairobi, on April 14, 2020. (Photo by TONY KARUMBA / AFP) Avant même d’avoir été atteinte par la vague épidémique de Covid-19, l’Afrique a « importé » un choc économique d’ampleur inégalée. La fuite des capitaux vers les pays développés, la division par deux du cours du baril de pétrole, l’arrêt du tourisme ou encore la baisse probable des transferts des diasporas africaines sont autant de canaux de transmission de ce tsunami. Alors que la seconde vague se profile, avec un nombre de cas qui augmente désormais, il s’agit d’analyser ici l’ampleur du choc humain et social qui s’annonce et de tracer des voies de sortie. L’Afrique est entrée en récession, et ce choc sera d’ampleur. La Banque mondiale a revu, le 9 avril dernier, ses prévisions et table désormais sur une contraction du PIB africain en 2020 comprise entre 2,1 et 5,1 % (le second scénario étant le plus probable). Cela représente 7,5 points de moins qu’attendu. Compte tenu de la croissance démographique observée sur le continent (de l’ordre de 2,5 % par an), l’année 2020 devrait voir le revenu par habitant baisser « au mieux » de près de 5 % et au pire de 10 % dans ces deux scénarios. Un risque de propagation rapide du Covid-19 Le nombre de personnes testées et touchées par l’épidémie de Covid-19 reste à ce stade plus limité en Afrique qu’ailleurs dans le monde, mais le continent ne sera pas épargné. Si le faible nombre de dépistages réguliers ne permet pas à cette heure de donner une vision précise de l’évolution du Covid-19 en Afrique, le nombre de cas est certainement sous-estimé de manière importante. Plusieurs facteurs seraient même susceptibles d’accélérer la transmission du Covid-19 sur le continent : une densité urbaine très forte, une part élevée de la population vivant dans des quartiers précaires et dans des bidonvilles disposant d’un faible accès à l’eau et à l’assainissement, et l’absence des filets sociaux qui rend difficilement supportable un confinement total et durable de la population. Pour une population encore pauvre ou récemment sortie de la pauvreté, le risque de rechute est certainement moins acceptable que dans un pays à hauts revenus. Enfin, le confinement strict sera d’autant plus complexe à mettre en œuvre que le secteur informel concentre une partie importante de l’emploi et que, par conséquent, tout travailleur du secteur informel perd instantanément 100 % de son revenu lorsqu’il ou elle reste à domicile. Pour limiter la propagation du virus, plusieurs États ont rapidement pris des mesures de fermeture des aéroports, des écoles et des marchés, ont interdit les rassemblements publics et religieux et ont mis en place des couvre-feux. Toutefois, ces mesures risquent de ne pas être durables alors même que leur coût économique est élevé. Des systèmes de santé mal préparés face à la pandémie de Covid-19 Par ailleurs, la fragilité des systèmes de santé et de certaines franges de la population accroît les risques de contaminations graves et de décès. Si la structure démographique africaine, caractérisée par une part élevée des jeunes de moins de 25 ans dans la population (60 % en 2020), est un facteur limitant la multiplication des cas graves et représente une protection très significative pour les sociétés, d’autres facteurs de risques existent sur le continent. Ils varient fortement selon les sous-régions, mais la malnutrition (et parfois l’obésité), la prévalence toujours trop élevée du VIH en Afrique australe, la tuberculose, le paludisme peuvent ainsi constituer des facteurs de risques additionnels qui écartent l’espoir d’une Afrique « épargnée » par le fléau. Surtout, la fragilité des systèmes de santé, faiblement dotés pour une prise en charge en nombre des cas sévères (faible nombre d’unités de soins intensifs, de ventilateurs, d’équipement de protection du personnel médical, etc.), accroît le risque de mortalité en cas de contamination. Sur les 25 pays les plus vulnérables à une maladie infectieuse au monde, 22 pays sont africains. Des marges de manœuvre limitées et inégales face au choc économique et social Les pays africains seront tous affectés sur le plan social et économique par les conséquences directes de l’épidémie de Covid-19, mais ils sont très inégalement armés pour y répondre. Ces conséquences directes résultent notamment de l’augmentation du nombre de personnes touchées, la baisse de la productivité et de l’activité économique associée, accentuée dans certains pays par les mesures de confinement adoptées. À LIRE AUSSI COVID-19 DANS LES PAYS DU SUD : LA COOPÉRATION INTERNATIONALE EST VITALE COOPÉRATION INTERNATIONALE, COOPÉRATION DÉCENTRALISÉE LIRE Les marges de manœuvre budgétaires des États africains sont, pour l’essentiel, faibles et limitent les possibilités de soutien à l’économie. D’après le FMI et la Banque mondiale, sur les quelque 40 pays africains faisant l’objet d’une « analyse de viabilité de la dette », la moitié environ se situe en risque élevé de surendettement ou est en situation effective de « détresse de dette ». Une quinzaine de pays sont en risque modéré et moins de cinq pays sont en risque faible. Cette situation limite considérablement les possibilités de soutien des pays, notamment aux grandes entreprises essentielles (électricité, eau) ou stratégiques (aéroportuaires, pétrolières, etc.), ainsi qu’aux commerces et aux PME qui risquent d’être fortement fragilisés. De plus, une partie des dépenses publiques sera sans doute réorientée vers la réponse d’urgence à la crise sanitaire, avant même la réponse à la crise économique. Des pays d’Afrique très exposés au choc du Covid-19 sur l’économie mondiale Certaines conséquences déjà visibles du Covid-19 pourraient devenir majeures pour les pays africains. Elles sont notamment liées à : la baisse de la demande des principales économies mondiales (Europe, Chine, États-Unis, etc.), qui pèse sur les pays plus dépendants de leurs exportations mondiales de biens et services (la part de ces exportations dépasse 30 % du PIB pour la moitié des pays africains environ) ; l’effet est d’autant plus fort dans les pays exportateurs de matières premières du fait de la chute des cours que ce recul de la demande provoque. C’est le cas en particulier pour les pays pétroliers de la CEMAC (Cameroun, Gabon, Tchad, Congo, Guinée équatoriale) et pour quelques-unes des plus grandes économies africaines exportatrices de pétrole (Nigeria, Angola, Algérie), ainsi que pour les pays exportateurs de minerais et métaux d’Afrique australe, notamment. Ces États avaient été, pour la plupart, fortement fragilisés par la chute des cours des matières premières en 2014-2015, dont ils ne s’étaient remis que partiellement. Un nouveau choc aura donc des conséquences sévères ; la désorganisation des chaînes de valeur mondiale a notamment conduit à la mise en arrêt d’usines dans des secteurs où les intrants ne sont pas disponibles (par exemple, dans le secteur automobile en Afrique du Sud ou au Maroc). La désorganisation des chaînes logistiques et les difficultés de transport dans un contexte de confinement perturbent également l’approvisionnement en produits essentiels, alimentaires et sanitaires. Certains spécialistes évoquent un risque sur la sécurité alimentaire des pays les plus dépendants de leurs importations de denrées alimentaires. D’autres pans de l’activité économique pourraient également être rapidement mis en difficulté, comme l’exportation de fleurs coupées en Afrique de l’Est (Kenya et Éthiopie en particulier) qui pâtit elle aussi de la limitation des vols aériens. Un choc qui pourrait déstabiliser sensiblement les économies africaines La sortie de crise dépendra à court terme de la levée des mesures de confinement, en Afrique et dans le monde, lorsque les États seront parvenus à enrayer la propagation de l’épidémie de Covid-19. À l’échelle mondiale, plusieurs scénarios possibles de sortie de crise sont possibles, mais il est encore trop tôt à ce stade pour savoir lequel d’entre eux se réalisera : un scénario en « V » : une sortie et une reprise rapides si l’épidémie de Covid-19 est vite enrayée ; un scénario en « U » : une reprise plus lente si la confiance peine à revenir au sortir de la crise sanitaire ; un scénario en « L » si la crise sanitaire s’enlise ; un scénario en « W » : une sortie temporaire suivie d’une rechute, notamment si les conditions d’une sortie de confinement dans de bonnes conditions sanitaires ne sont pas remplies. En Afrique, l’ampleur de la crise découlera en grande partie de la forme que prendra la sortie de crise mondiale. Outre la reprise de l’activité et de la demande, dont dépendra celle des exportations du continent, le rythme de remontée des cours du pétrole sera crucial pour un certain nombre d’économies africaines dépendantes de leurs exportations de matières premières. Si ces dernières pourraient a priori absorber les conséquences d’un scénario en « V » ou en « U » pour les cours du pétrole, un scénario en « L » ou en « W » aurait des effets nettement plus déstabilisateurs, en particulier pour les équilibres externes de ces économies. En effet, si elle perdurait, la crise pourrait affecter, au-delà de la liquidité des pays, leur solvabilité (c’est-à-dire leur capacité à faire face au remboursement de leur dette) et augmenter leur contrainte, alors même que les besoins de financement resteront élevés. La nécessité d’un effort financier accru de la communauté internationale La réponse des autorités à la crise sanitaire et leur soutien à l’économie en attendant d’enrayer le Covid-19 seront primordiaux, mais les marges de manœuvre budgétaires sont limitées. En Afrique, plusieurs Banques centrales ont réagi en abaissant leurs taux directeurs pour soutenir l’économie. Le soutien budgétaire des autorités est également nécessaire, mais il risque d’être insuffisant dans les pays où les contraintes budgétaires sont déjà resserrées. Dès lors que les marchés obligataires se ferment pour les pays en développement, avec des taux proposés prohibitifs, alors qu’un financement direct des dépenses additionnelles par l’impôt semble impensable à grande échelle, il ne reste que l’option d’un effort accru de la communauté internationale. Le moratoire d’un an sur les dettes des 76 pays les plus pauvres, suspension particulièrement défendue par la France et cordonnée par le secrétariat du Club de Paris, apporte un bol d’air bienvenu. Le service de la dette était en effet estimé à 32 milliards de dollars en 2020. Il est essentiel de maintenir durablement cette coordination et cette bonne volonté des créditeurs, car ils sont plus nombreux et plus divers que dans les années 1990 et 2000, qui avait vu une première vague de restructurations de dettes. Pour les pays les plus pauvres, bénéficiaires de l’AID, les bailleurs multilatéraux représenteraient 33 % du service de la dette en 2020, selon l’analyse du CGDEV, les bilatéraux 43 % et les créanciers privés le solde, soit 24 %. Seule cette action coordonnée et équilibrée peut être juste et efficace. Faute de quoi les efforts de certains bailleurs ne serviraient qu’à rembourser les autres et ne permettraient pas de parer aux nombreuses urgences sanitaires et sociales. Alors que la question d’annulations de dette est désormais posée, et s’imposera avec le temps dans les pays dont la dette apparaît d’ores et déjà insoutenable, il faudra tenir dans la durée pour éviter des phénomènes trop connus de « passagers clandestins ». Aller plus loin que le moratoire sur la dette Compte tenu de l’ampleur du choc, les pays africains auront également besoin de financements additionnels, non seulement au niveau gouvernemental mais par tous les canaux (collectivités territoriales, banques de développement, services publics, microfinance…) susceptibles d’atteindre rapidement les populations vulnérables. Un choc de 5 points de PIB représente une perte de revenus proche de 125 milliards de dollars à l’échelle du continent. Le moratoire sur la dette ne permettra de répondre qu’à environ un quart des besoins. L’émission de droits de tirages spéciaux par le FMI, également très appréciable, pourrait apporter aux pays à faibles revenus une autre quinzaine de milliards de dollars en cas d’émission massive à l’échelle globale (500 milliards). À la lecture de ces chiffres, encore estimatifs et qu’il convient de prendre avec recul, on constate néanmoins que seule une mobilisation de tous les acteurs financiers, et sans doute sur deux ans plutôt qu’un, permettra d’amortir le choc, sans le faire disparaître totalement. Les premières annonces formulées par l’Union européenne (avec un paquet de 15 milliards d’euros) permettent aussi de limiter l’ampleur de la déflagration. Apporter des fonds additionnels par les banques et agences de développement, reporter des échéances de dette, mobiliser les Banques centrales des pays développés pour fournir des devises à des cours modérés, utiliser la capacité d’émission monétaire du FMI : tous ces outils devront être activés simultanément, et peut-être durablement, pour endiguer le double tsunami subi par l’Afrique
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