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Dr. Yves Ekoué AMAÏZO

Directeur général, Afrocentricity Think Tank

10 juin 2024

L’Afrique représente une population de 1,4 milliard d’habitants et un PIB de 3,4 billions de dollars, soit un marché potentiel et futur de consommateurs des biens et services qu’offre la Corée du Sud. De là à parler d’un partenariat gagnant-gagnant, il y a un pas qu’il ne faut pas encore franchir car les relations pourraient se révéler plus complexes que prévues.

1. LE DEVENIR DE L’AFRIQUE EST INCOMPATIBLE AVEC UNE APPROCHE PARCELLAIRE

Le premier sommet entre un dirigeant de la Corée du Sud et 48 dirigeants africains s’est tenu le 4 juin 2024 à Séoul. Le thème portait sur : « L’avenir que nous construisons ensemble : Croissance partagée, durabilité et solidarité[1] ». Vingt-cinq chefs d’États d’Africains et 23 responsables de délégations africaines se sont déplacés pour venir écouter le nouveau « deal » portant en réalité sur l’accès aux matières premières africaines sans transformation et l’appui politique aux Nations-Unies des Africains contre une « aide au développement ».

Cette nouvelle relation politique et commerciale semble s’inscrire dans la même logique d’échanges inégalitaires entre les pays membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et l’Afrique. La Corée du Sud a subi la colonisation du Japon. A ce titre, ce pays peut avoir certaines affinités avec l’Afrique, notamment un objectif commun de rechercher une souveraineté politique, territoriale, énergétique, économique et monétaire, etc.

Encore faut-il que les dirigeants africains prennent conscience que dans un monde multipolaire d’échanges entre des ensembles économiques puissants, leur approche parcellaire, éloignée du panafricanisme et reposant sur des frontières héritées de la colonisation[2], est un handicap stratégique majeur pour entrer en partenariat avec un Etat ayant fondé sa richesse sur le développement d’entreprises multinationales à la recherche de la sécurisation de leurs approvisionnements en matières premières sans transformation en Afrique.

Alors que la Corée du sud a vu ses exportations et ses importations de biens progresser entre 2010 et 2022, l’Afrique subsaharienne a subi une contraction au cours de la même période (Voir Tableau ci-dessus).

Aussi, les dirigeants africains doivent cesser de rêver lorsqu’ils proclament, à qui veut bien les croire, qu’ils veulent entrer dans un partenariat d’égal à égal. On ne décrète pas l’égalité qui est une construction fondée sur une bonne gouvernance et l’éthique. Mais on peut prendre conscience de son positionnement dans un monde multipolaire et apprendre à négocier au mieux ses avantages compétitifs. Sur ce plan, la part des exportations de l’Afrique dans le monde en 2022 était de 2,7 % contre 2,9 % d’importations de biens alors que celle de la Corée du sud est respectivement de 2,7 % pour les exportations et 2,9 % pour les importations[3].

Autrement dit, la part des échanges de la Corée dans le commerce mondial est similaire à celle de tous les 55 pays africains. En fait, pas tout à fait ! Le contenu technologique entre absence ou faible pour l’Afrique et très élevé pour la Corée du Sud est une différence majeure. Un Etat, plus pauvre en 1950-60 que certains pays africains, qui invite 55 pays africains pour leur apporter une aide orientée vers la satisfaction de ses intérêts stratégiques et au-delà, cela peut devenir un piège pour les dirigeants africains si en face, il n’y a aucune stratégie collective et une remise en cause des gouvernances passées.

Et chacun des dirigeants africains veut absolument faire croire qu’ils vont négocier d’égal à égal, en se rendant à Séoul sur l’invitation du Président de la Corée du Sud ? C’est de la contre-vérité ! Il faut que les paroles des dirigeants africains s’accompagnent de stratégies collectives, de projets concrets intégrateurs de l’Afrique et d’institutions indépendantes pour leur en faciliter la réalisation, même si l’interventionnisme de l’Etat doit changer pour ne plus servir d’effets de massue, mais assurer un effet de levier et d’accompagnement dans la création de richesses inclusives.

2. L’AFRIQUE DOIT EXPORTER VERS LA CORÉE DU SUD

En 2022, la république de la Corée du sud a un niveau d’exportation de biens de 684 milliards de dollars américains ($EU), soit 2,7 % de la part mondiale et importait pour 731 milliards de $EU, soit 2,9 % de la part mondiale[4]. Ce pays se classait comme le 6e plus important exportateur et le 7e plus important dans le monde. L’Afrique du sud est le seul pays africain à figurer parmi les 40 premiers pays classés par l’Organisation mondiale du Commerce (OMC), avec 123 milliards de $EU d’exportation, occupant le 39e rang parmi les principaux pays exportateurs de biens et 16 milliards de $EU d’importations de biens, se situant à la 36e place.

Le niveau d’exportation des services commerciaux de la Corée du Sud pour la même année s’est établi à 132 milliards $EU occupant le rang de 16e mondial et celui des importations, à 135 milliards $EU avec le rang de 14e mondial[5]. Aucun pays africain ne figure parmi les 40 premiers pays classés par l’OMC.

Il était donc important pour les dirigeants africains de s’assurer que leurs propositions de projets de partenariat puissent rencontrer un intérêt auprès de la Corée du sud. De ce point de vue, plutôt que d’apparaître comme des « quémandeurs en rang dispersé », il aurait été plus avisé de proposer des projets d’exportation africaine, susceptibles de rapporter des devises et soutenant l’emploi décent en Afrique. Ces projets gagneraient à s’inscrire dans la volonté de développer l’entrepreneuriat dans les chaines de valeurs locales et globales, donc « glocales » et qui fondent les demandes de la Corée du sud déclinées dans les vingt-trois (23) principales importations suivantes[6] :

  1. 52 milliards de $EU de produits agricoles, avec une croissance de 16 % entre 2021 et 2022 ;
  2. 44 milliards de $EU de produits alimentaires avec une croissance de 16 % entre 2021 et 2022 ;
  3. 270 milliards de $EU de produits hydrocarbures et miniers avec une croissance de 42 % entre 2021 et 2022 ;
  4. 408 milliards de $EU de biens manufacturés avec une croissance de 8 % entre 2021 et 2022, bien que la Corée soit un exportateur net de 580 milliards de $EU de biens manufacturés en augmentation de 2 % entre 2021 et 2022 ;
  5. 18 milliards de $EU de fer et d’acier avec une croissance de 4 % entre 2021 et 2022, bien que la Corée soit un exportateur net de 32 milliards de $EU de fer et d’acier, ce en augmentation de 5 % entre 2021 et 2022 ;
  6. 75 milliards de $EU de produits chimiques avec une croissance de 16 % entre 2021 et 2022, bien que la Corée soit un exportateur net de 106 milliards de $EU de produits chimiques, en augmentation annuelle de 5 % entre 2021 et 2022 ;
  7. 75 milliards de $EU d’équipements de bureau et de télécommunication avec une croissance de 5 % entre 2021 et 2022, bien que la Corée soit un exportateur net de 151 milliards de $EU de équipements de bureau et de télécommunication, avec une chute brutale dans sa croissance annuelle de -16 % entre 2021 et 2022 alors que la croissance des exportations entre 2020 et 2021 était de 27 % ;
  8. 21 milliards de $EU des produits de l’industrie automobile avec une croissance de 7 % entre 2021 et 2022, bien que la Corée soit un exportateur net de 77 milliards de $EU de produits de l’industrie automobile, avec une croissance annuelle de 12 % entre 2021 et 2022 suite à une croissance annuelle de 24 % entre 2020 et 2021 ;
  9. Avec moins de 7 milliards de $EU et ne figurant pas parmi les 10 premiers importateurs de produits de l’industrie textile bien que la Corée du sud soit un exportateur net de 8 milliards de $EU de ces produits, avec une croissance annuelle négative de -5 % entre 2021 et 2022 ;
  10. 13 milliards de $EU des produits de l’industrie de l’habillement avec une croissance de 15 % entre 2021 et 2022, bien que la Corée du sud exporte moins de 7 milliards de $EU des produits de cette industrie et ne figure pas parmi les 10 premiers exportateurs mondiaux ;
  11. 11,4 milliards de $EU de services commerciaux liés aux biens avec une croissance de 11 % entre 2021 et 2022, bien que la Corée du sud exporte 4,8 milliards de $EU de ces services avec une croissance de 17 % ;
  12. 4 857 milliards de $EU de services commerciaux liés aux biens manufacturés sur des intrants physiques appartenant à d’autres avec une croissance de 5 % entre 2021 et 2022, bien que la Corée du sud exporte 4 257 milliards de $EU de ces services avec une croissance de 19 % ;
  13. 2 279 milliards de $EU de services de maintenance et de réparation avec une croissance de 47 % entre 2021 et 2022, bien que la Corée du sud exporte pour moins de 1 165 4 milliards de $EU de ces services et ne figure pas parmi les 10 premiers exportateurs de ces services ;
  14. 35,9 milliards de $EU dans l’industrie (biens et services) du transport avec une croissance de 19 % entre 2021 et 2022, bien que la Corée du sud exporte 51,9 milliards de $EU des biens et services dans cette industrie avec une croissance de 14 % pour la même période ;
  15. 18,6 milliards de $EU dans l’industrie (biens et services) du voyage avec une croissance de 12 % entre 2021 et 2022, bien que la Corée du sud exporte 11,6 milliards de $EU des biens et services dans cette industrie avec une croissance de 11 % pour la même période ;
  16. 68,9 milliards de $EU dans les autres services commerciaux avec une croissance de 5 % entre 2021 et 2022, bien que la Corée du sud exporte 64,0 milliards de $EU des autres services commerciaux avec une croissance de 6 % pour la même période ;
  17. Très peu d’importations dans l’industrie de la construction en 2022 bien que la Corée du sud exporte 7,1 milliards de $EU des biens et services dans cette industrie avec une croissance de 23 % pour la même période ;
  18. 11,7 milliards de $EU pour les frais pour l’utilisation de la propriété intellectuelle avec une croissance de 5 % entre 2021 et 2022, bien que la Corée du sud exporte pour 7,9 milliards de $EU pour l’utilisation de la détention de la propriété intellectuelle avec une croissance négative de -2 % pour la même période ;
  19. 6,5 milliards de $EU pour les importations dans l’industrie des services de télécommunications, d’informatique et d’information avec une croissance négative de -16 % entre 2021 et 2022, bien que la Corée du sud exporte pour 9,1 milliards de $EU des biens et services dans cette industrie avec une croissance négative de -19 % pour la même période ;
  20. 6,2 milliards de $EU pour les importations des services informatiques avec une croissance négative de -19 % entre 2021 et 2022, bien que la Corée du sud exporte pour 6,3 milliards de $EU des services dans cette industrie avec une croissance négative de -19 % pour la même période ;
  21. 44,2 milliards $EU d’importations d’autres services aux entreprises avec une croissance de 9 % entre 2021 et 2022, bien que la Corée du sud exporte pour 33,9 milliards de $EU des biens et services dans cette industrie avec une croissance de 20 % pour la même période ;
  22. Très peu d’importations dans les services audiovisuels et connexes en 2022 bien que la Corée du sud exporte 17,2 milliards de $EU dans ces services avec une croissance de 48 % entre 2021 et 2022 ;
  23. 305 milliards $EU d’importations de biens intermédiaires en 2021 avec une croissance de 30 % entre 2020 et 2021, bien que la Corée du sud exporte pour 431 milliards de $EU des biens intermédiaires avec une croissance de 27 % pour la même période.

Les dirigeants africains doivent mettre en place des institutions de « veille stratégique » pour mieux comprendre les intérêts d’un potentiel partenaire stratégique en Afrique, comme la Corée du Sud : Il est important de comprendre les intérêts stratégiques de la Corée du Sud en Afrique. Cela suppose des recherches approfondies sur les motivations réelles et géostratégiques du futur partenaire.

De plus, l’identification des domaines de coopération à partir des performances économiques passées ou des besoins d’importation comme indiqués ci-dessus avec les 23 principaux axes d’importation de la Corée du Sud devra être affinée pour une coopération mutuelle bénéfique, surtout dans les domaines tels que les infrastructures, l’énergie, l’eau, le développement technologique, l’éducation, la santé, l’agriculture, l’industrie et le commerce.

En définitive, chaque pays africain devra identifier le secteur où la Corée du sud a des besoins et a toutes les chances de construire un partenariat gagnant-gagnant. Il apparaît néanmoins que sans les minéraux essentiels importés d’Afrique, les prospectives stratégiques pour les secteurs de la Corée du sud qui connaissent déjà des croissances négatives risquent de conduire à un déclassement de ce pays face à ses concurrents directs comme le Japon, la Chine, Taiwan, Singapour, etc.

Il y a donc bien une possibilité de négociation d’égal à égal si les projets proposés par la partie africaine répondent en priorité aux préoccupations des populations et moins à uniquement celles des dirigeants africains. Sur ce plan, l’absence d’un véritable projet panafricain à proposer à la Corée du Sud témoigne encore du manque de proactivité de la présidence de l’Union africaine, ce sans référence à tel ou tel chef d’Etat.

Il s’agira de déconstruire une Union africaine pour avancer vers une Interdépendance africaine[7] basée sur l’entrepreneuriat et le partenariat pour réunir l’intégration dans les chaines de valeur où des transferts de contenus technologiques sont possibles. Si les pays africains n’exportent pas suffisamment vers la Corée du Sud, elle risque rapidement de tomber dans le piège de l’échange inégal, de l’endettement et donc de sa perte de souveraineté, surtout si la Corée du Sud n’importe pas des minéraux essentiels et stratégiques uniquement pour son propre compte, mais aussi pour ceux des alliés qui pourraient lui donner des « injonctions ».

Il suffit de comparer l’évolution des exportations mondiales de marchandises des deux pays africains entre quelques pays choisis en Afrique parmi les plus importants exportateurs en 2022 (plus de 100 milliards de $EU) comme l’Afrique du sud (122,9 milliards de $EU) et les plus faibles exportateurs comme le Togo  (1,4 milliards de $EU), ou le Congo Démocratique (26,2 milliards de $EU), le Nigeria (62,4 milliards de $EU) avec celle de la Corée du Sud (1 226 milliards de $EU). L’évolution entre 2012-2022[8] de quelques pays choisis permet de se rendre compte de la progression rapide de la Corée du Sud en 10 ans par rapport aux pays africains (voir Tableau ci-dessus).

Il existe de fait une difficulté pour les pays africains à trouver consensus pour un projet panafricain, ou même sous-régional. Mais, rien n’est impossible même si l’illusion d’entrer en partenariat entre la Corée du sud et chacun des pays africains pris individuellement relève plus de l’illusion que de la réalité !

La volonté politique africaine collective et panafricaine est absente. L’égocentrisme des dirigeants africains pour ne défendre que leurs intérêts nationaux, voire des intérêts étrangers, doit redevenir un sujet à débattre sans hypocrisie sur l’agenda de la Commission de l’Union africaine. En cela, la déconstruction de l’ancien système doit faire place à une nouvelle Afrique interdépendante avec des financements africains et une subsidiarité acceptée non pas par tous les pays africains, mais par ceux qui acceptent de travailler à l’intégration africaine dans le cadre de la lutte pour une souveraineté retrouvée.

3. CRÉATION DE RICHESSES : INADAPTATION DE LA REPRODUCTION DE LA STRATÉGIE CORÉENNE EN AFRIQUE

Il suffit de rappeler les statistiques historiques mesurées en dollar Geary-Khamis[9] ($GK) sur l’évolution de quelques pays choisis comme l’Algérie, la Corée du sud, le Niger et le Sénégal pour prendre conscience du fossé dans la création de richesses par habitant (Produit intérieur brut par habitant (PIB/h)) entre 1950 et 2008. En 1950, le Sénégal avec 1 259 $GK, ou l’Algérie avec 1 365 $GK avaient une richesse par habitant supérieure à celle de la Corée du Sud avec 854 $GK. Le Niger, avec 617 $GK affichait une richesse par habitant de 38 % inférieur à la Corée du sud en 1950, se retrouve en 2008 avec un PIB par habitant 35 fois inférieur à celui de la Corée du Sud. En comparaison, l’Algérie et le Sénégal se retrouvent respectivement avec un PIB/h 5,5 fois, et 13,4 fois inférieur à celui de la Corée du Sud. Il en est de même pour plusieurs Etats africains (voir le tableau ci-après).

Comment est-ce qu’on en est arrivé à avoir une trajectoire aussi dissemblable voire antinomique en 58 ans ? Le soutien inconditionnel des Etats-Unis à la Corée du sud, la priorité accordée à l’éducation et l’excellence, la limitation de la corruption, l’interventionnisme de l’Etat dans la création des conglomérats d’entreprises familiales, les « Chaebols »[10], la mise en œuvre des meilleures pratiques et la bonne gouvernance macroéconomique peuvent soutenir un début d’explication.

L’entité « chaebol » ressemble plus à une agglomération d’entreprises que la Corée du Sud a développé depuis les 1960 à partir de dynasties familiales, généralement celle du fondateur du groupe, qui contrôle et s’assure que seuls les membres de la famille dirigent et gèrent. Cela a permis la Constitution de entreprises transnationales et multinationales à partir de situation de monopole, non sans un soutien actif d’Etat « accompagnateur[11] ».

La plus importante des critiques portant sur les chaebols est liée aux liaisons de proximité, d’influence, voire de corruption, avec l’Etat et le fait que ces puissantes entreprises ou groupes d’entreprises, pourtant extrêmement innovateurs, entravent le développement des petites et moyennes entreprises (PME)[12], tout en ayant un lien direct, positif ou négatif sur l’économie du pays. Généralement, un mauvais « rendement » des chaebols rejaillit immédiatement sur les indicateurs macroéconomiques de l’Etat. On peut citer les plus connus internationalement et que l’on retrouve au sommet entre la Corée du sud et l’Afrique : Samsung, Hyundai, SK Group et LG Group, etc. Les cinq plus grands chaebols – Samsung, LG, Hyundai, Lotte et SK – représentent collectivement près de la moitié de la valeur en dollars du marché boursier sud-coréen et sont responsables de l’essentiel de la recherche et du développement en Corée du Sud[13].

La corruption n’est pas absente en Corée du Sud. En 2016, le vice-président de Samsung, Lee Jae-yong, avait soudoyé Mme Park Geun-hye, alors présidente, en échange de son soutien à une fusion controversée qui aurait renforcé son contrôle sur l’entreprise. Plus de 16 millions de Sud-Coréens avaient protesté pour exiger la destitution de Mme Park et mettre fin à un système de l’entre-soi entre « riches et bien connectés ». La Présidente Park ainsi que son prédécesseur Lee Myung-bak, ont tous deux été reconnus coupables de détournement de fonds et d’acceptation de pots-de-vin de la part de dirigeants de chaebol. Néanmoins, de nombreux dirigeants corrompus des chaebols et leurs complices échappent régulièrement à la justice et ne sont pas tenus responsables de leurs crimes économiques par le Gouvernement[14]. Peut-être que ce point fait « consensus » dans un certain nombre de pays africains et semble servir de base consensuelle pour entrer en partenariat en bilatéral.

L’actuel président coréen, Yoon Suk Yeol, a effectivement et souvent symboliquement contribué à faire poursuivre en justice des fonctionnaires corrompus et des responsables des chaebols. Mais, sa stratégie repose sur un soutien indéfectible aux chefs d’entreprise qui créent des emplois, surtout lorsque le nombre de chômeurs bien formés est en train d’augmenter. La réforme des chaebols et de leurs relations avec l’Etat demeure une gageure.

En effet, alors que les chaebols ne font travailler que 10 % des travailleurs du pays, ils détiennent 77 % de la capitalisation boursière, et dominent ainsi de manière monopolistique l’économie sud-coréenne. De fait, l’absence de séparation entre l’Etat et les entreprises chaebols a pu permettre une croissance fulgurante de l’économie coréenne. Mais aujourd’hui, ce sont ces mêmes relations ambivalentes qui ont conduit à des scandales au sommet de l’Etat et certaines multinationales au point de créer des externalités négatives structurelles sur l’économie, la démocratie et même l’ensemble de la société sud-coréenne.

Cela contribue à creuser l’écart de richesse en Corée du sud, une estimation datant de 2016 avec 63,1 % des richesses dans les mains de 30 % des plus riches et 10,1 % des richesses au mains de 30 % des plus pauvres, avec un creusement de cet écart en 2024. Le nombre de personnes millionnaires en Corée du Sud, à savoir ceux qui possédaient des actifs financiers d’une valeur d’un milliard de won sud-coréens ou plus – s’est élevé à environ 393 000 en 2020, soit une augmentation de près de 11 % par rapport à 2019. Ce nombre dépasse le million si l’on inclut les actifs non financiers, ce qui équivaut à environ 2,5 % de la population totale de la Corée du Sud[15].

La création de richesses par habitant en république de Corée du Sud est spécifique à ce pays et son environnement. Cette approche demeure inadaptée comme stratégie pour les pays africains surtout lorsque la logique intrinsèque est de concentrer l’essentiel de l’innovation et de la dynamique économique au sein des chaebols. Or, l’Afrique a besoin de développer et soutenir l’ensemble de ses petites et moyennes industries et entreprises. Pour cela, l’approche de partenariat avec la Corée du Sud doit être ciblée sur l’attractivité des politiques prévisibles de l’Etat africain afin d’attirer du contenu technologique vers les entreprises africaines à créer, ou à développer pour une insertion compétitive dans les chaines de valeurs locales, régionales, continentales et mondiales, si possible en partenariat avec les chaebols qui ne pourront pas sur le long terme fonder leur stratégie sur l’importation sans transformation en Afrique des matières premières africaines.

La création de richesses en Afrique ne pourra reposer sur une photocopie de l’approche coréenne du sud fondée sur les liens entre les chaebols et l’Etat. Par contre, l’importance de l’interventionnisme d’un Etat accompagnateur du secteur privé et non corrompu dans sa gouvernance macroéconomique doit porter plus directement sur l’entrepreneuriat en Afrique et le soutien à l’intégration dans les chaines de valeurs glocales, à savoir locales et globales. Il faut donc clairement indiquer qu’il y a une inadéquation entre la volonté de certains chefs d’Etat africains de reproduire la stratégie coréenne en Afrique et la réalité consistant à servir les intérêts du Peuple africain.

Alors, il faudra apprendre à identifier les secteurs clés où l’Afrique peut s’insérer dans les chaines de valeurs en négociant la transformation de ses matières premières.

4. LES ERREURS STRATÉGIQUES DES DIRIGEANTS AFRICAINS À NE PAS RÉPÉTER

La Corée du Sud n’a pas d’histoire coloniale avec l’Afrique. Son offre de partenariat repose sur une approche basée sur le refus des inégalités dans les échanges et un effort pour équilibrer la balance commerciale entre les partenaires. A priori, cela rend crédible un pays qui veut stabiliser de manière stratégique ses besoins de plus en plus importants de matières premières indispensables à son propre développement accéléré notamment dans les technologies d’avant-garde. Le partenariat avec chacun des dirigeants africains et moins avec une Afrique disposant d’une approche commune, n’est pas sans danger.

En effet, la Corée du sud n’est pas membre des BRICS et n’est pas classé parmi les pays du sud global. Il est par contre un membre actif de l’OTAN. Aussi, ce pays pourrait aussi servir d’intermédiaire pour acheter des matières premières non transformées en Afrique, retrouver rapidement un taux d’enrichissement d’antan grâce à une avance technologique en revendant des produits manufacturés avec des contenus de haute technologie sur les marchés à pouvoir d’achat élevé. Indirectement, ce pays peut servir d’acheteur intermédiaire pour les pays de l’OTAN.

Aussi, le risque de la relation individualisée entre la Corée du sud et chacun des pays africains consiste à reproduire ou amplifier autrement les erreurs stratégiques des dirigeants africains au cours de l’ère postcoloniale de l’après 1960 en Afrique.

Parmi les nombreuses erreurs stratégiques commises par les dirigeants africains au cours la période postcoloniale des années 1960, il convient de citer au moins quatre formes caractéristiques des risques pouvant neutraliser les chances de réussite du partenariat avec la Corée du sud :

4.1 La croyance en une souveraineté automatique : il s’agit principalement d’une erreur d’analyse consistant à refuser de faire la différence parmi les nouvelles élites dirigeantes africaines entre d’une part, celles qui ont choisi de perpétuer la colonisation sous la forme d’un néocolonialisme sans la visibilité apparente des anciens colons, et d’autre part, celles qui naïvement ont oublié que ceux des Africains qui ont servi dans l’armée coloniale et ont servi les colonisateurs ailleurs pour stopper l’émergence de l’indépendance, sont utilisés pour stopper l’autodétermination et l’indépendance des pays nouvellement indépendants ;

4.2 La décolonisation substitution : il s’agit essentiellement des élites qui n’ont jamais cru à une souveraineté réelle de l’Afrique et se sont engagées à transformer la souveraineté juridique et formelle en une dépendance institutionnelle, favorisant ainsi l’ingérence et l’intervention intempestive des ex-colonisateurs dans les affaires intérieures des pays nouvellement indépendants. Ces nouvelles élites, dotées d’un ADN de traites aux peuples africains, ont fait croire qu’elles voulaient bâtir la nation alors qu’il ne s’agissait que d’endetter au maximum les nouveaux Etats indépendants afin de limiter au maximum leur autonomie de décision et leur marge de manœuvre, y compris par des coups d’Etat militaires et institutionnels. Ces élites, véritables sous-traitants des colons en période postcoloniale, sont nombreuses, souvent liées par des réseaux ésotériques ou des liens avec des hauts responsables de l’armée ou de l’administration coloniale. Leur mode de gouvernance est caractérisée par du « court-termisme », au point qu’elles sont souvent choisies par des forces extérieures pour diriger par les Etats-Nations, avec souvent l’incompétence ou la servitude comme principal point fort de leur curriculum vitae. Il suffisait ensuite d’émuler ce système pour que tout un gouvernement, voire une administration ne soit occupé que par l’appât immédiat du gain, entrainant une partie de la population dans cette quête de l’argent facile. La corruption a fait le rêve avec des corrupteurs impunis qui restaient dans l’ombre. Il ne fallait donc pas s’étonner que ce nouveau type de néo-colonialisme en postcolonie ait été et est systématiquement caractérisé par un faible niveau de prévisibilité et de prévoyance, parfois structuré avec préméditation ;

4.3 La perpétuation d’une culture politique autocratique héritée des ex-colonisateurs : il est question une fois au pouvoir de ne pas le quitter dans le cadre d’une alternance démocratique. Aussi, le parti unique ou ses formes apparentées avec des fraudes massives lors des élections sans vérités des urnes ont conduit la plupart des dirigeants africains de l’ère postcoloniale à perpétrer la culture politique autocratique coloniale dans laquelle leurs nouveaux États-nations ont été forgés, non sans en perfectionner les formes tout en y associant le personnel militaire qui cesse officiellement de protéger le colon pour protéger le nouveau représentant du colon dans l’espace post-colonial[16]. Une technique qui permet, avec des médias politiquement corrects, de systématiquement laver de tous soupçons, les décideurs en premier ressort qui demeurent dans beaucoup de cas, les dirigeants des ex-colonies ou leurs entreprises multinationales censées continuer à piller les ressources et les richesses africaines aux dépens des populations africaines, ce avec le « partenariat actif » de certaines élites africaines ayant fait le choix du carriérisme, de l’argent facile et rapide et surtout de l’impunité dans la trahison, ce qui permet de continuer à travailler pour les intérêts étrangers provenant de l’ex-colonisateur ou d’agglomérations des forces du marché.

4.4 L’utilisation d’acteurs non étatiques financés par des puissances extérieures pour déstabiliser culturellement, territorialement, monétairement et politiquement les Etats à la recherche de leur souveraineté ne doit pas être négligée. Que ce soit sous des formes de guerres cinétiques ou de guerres non cinétiques, le résultat est le même. Il importe de mettre en exergue les « opinions » dans une Afrique multiethnique pour faire taire les « expertises et le savoir » par l’utilisation des lois liberticides, la promotion de l’incompétence, les fixations sur l’argent et les postes de visibilité et du faire-voir, le tout dans un système de non-transparence et de refus de rendre compte au Peuple africain.

En réalité, ces quatre formes de risques ne devraient pas émerger avec les responsables du nouveau partenariat Corée du sud et Afrique.

5. AFRIQUE-CORÉE DU SUD : CORRIGER LE DIFFÉRENTIEL DE CROISSANCE DE LA RICHESSE AVEC LE SECTEUR PRIVÉ ET L’ENTREPRENEURIAT

Le fossé technologique, et de fait, le fossé en termes de richesses créé entre la Corée du Sud et les pays africains ne permet pas de faire croire à la réalité d’un partenariat renforcé où la croissance partagée, durable et solidaire serait automatiquement « gagnant-gagnant » pour le Peuple africain. Pourtant, rien n’est impossible si la volonté politique neutralise la corruption dans l’exécution des projets identifiés.

Ne faut-il pas rappeler qu’en 1962, la richesse ou le produit intérieur brut de la Corée du sud était inférieur à celui du Ghana du Président panafricain Kwame N’Krumah. Aujourd’hui en 2024, les échanges de la Corée du sud avec les pays africains représentent actuellement moins de 2 % du total des importations et des exportations de la Corée du Sud[17].

En termes de croissance annuelle du PIB, à part l’Afrique du Sud, les pays africains choisis ont une croissance au moins égale à celle de la Corée du Sud, voire largement plus (Voir le Tableau ci-après). Avec 1,4 % de croissance du PIB en 2023, la Corée du Sud ne fait pas partie des pays qui soutiennent la croissance mondiale qui est de 3,2 % pour la même année[18].

Les prévisions entre 2024-2029 pour la Corée du Sud sont en amélioration sans pour autant dépasser la moyenne mondiale, bien que largement au-dessus de l’Union européenne.

Dans sa négociation gagnant-gagnant, l’Afrique doit exiger le transfert de contenus technologiques vers des petites et moyennes industries africaines et adopter une approche proactive dans la transition écologique en optant pour la fabrication des véhicules électriques en Afrique, même s’il faut commencer par les assemblages dans les premières étapes de la chaine de valeur. La Corée du Sud n’ayant pas de visée impérialiste et de déstabilisation comme d’autres pays membres de la dite Communauté internationale, le partenariat Corée du sud-Afrique pourrait permettre de stabiliser un effet de levier avec la délocalisation des segments des chaebols sous forme de PMI/PME dans la promotion de la chaine de valeurs des minéraux essentiels et le développement des contenus technologiques en Afrique.

Les pays africains les moins endettés et disposant d’une marge économique substantielle liée à une croissance régulière et inclusive de leur richesse par habitant (voir le Tableau ci-après) pourraient devenir les principaux bénéficiaires du partenariat Corée du sud-Afrique. Il est possible de citer des pays comme l’Afrique du sud, le Kenya, le Sénégal, etc. qui devront voir le différentiel de croissance de la richesse entre la Corée du sud et leur pays respectif s’améliorer pour générer une véritable croissance partagée.

En marge des 2 jours du sommet Corée du sud-Afrique et selon le Ministère du commerce, de l’industrie et de l’énergie de la Corée du sud, 12 protocoles d’accord ont été signés entre la Corée du Sud et 11 pays africains et près de 50 accords préliminaires ont été signés pour stimuler la coopération dans les domaines du commerce, de l’énergie, des minéraux essentiels et d’un large éventail d’autres domaines industriels et économiques.
Rappelons que la Tanzanie et la Corée du Sud sont en négociation pour un accord de partenariat économique[19] (EPA) pour des relations commerciales renforcées s’inscrivant dans la construction de la zone de libre-échange africaine (ZLECAf). Huit pays africains, dont le Ghana, le Malawi et le Zimbabwe ont signé des accords bilatéraux de partenariat pour la promotion du commerce et de l’investissement.
En marge du sommet, le partenariat s’est établi aussi entre d’une part, des agences publiques et/ou des entités privées de Corée du Sud, et d’autre part, les agences de promotion de l’investissement et le secteur privé africain qui bénéficie de la garantie de l’Etat africain. 16 protocoles d’accord et 19 contrats ont été signés Parmi les contrats bilatéraux, il faut rappeler le cas de :
la société sud-coréenne Hyosung Corp. s’est engagée dans un partenariat pour fournir des transformateurs en passant par l’agence de l’énergie du Mozambique ;
le Rwanda a pu signer un accord de partenariat dans le domaine de l’infrastructure notamment la mise en place de villes intelligentes et de la mobilité[20]. En fait, les pays qui sont arrivés préparés avec des projets précis et utilisant les expertises disponibles en Corée du sud, sont aussi les pays qui ont pu trouver une réponse adéquate à leurs demandes ; et
plusieurs sociétés coréennes fourniront des petits réacteurs modulaires avancés, des générateurs d’électricité, des équipements en énergie renouvelable et pour extraire et transformer des minéraux rares ou essentiels, le tout intégré dans des projets d’infrastructure, sans oublier les 23 secteurs mentionnés comme prioritaires dans les exportations et importations de la Corée du Sud.
6. PRIORISER LES PROJETS PANAFRICAINS AU SERVICE DES POPULATIONS AFRICAINES
Il va de soi que la Corée du Sud gagnerait à offrir officiellement un soutien financier et technologique plus étendu pour soutenir l’intégration régionale et continentale en Afrique, notamment en soutenant la digitalisation des échanges de la Zone de libre-échange continentale africaine.
Il va de soi qu’un effet de levier substantiel pourrait émerger de partenariat réussi entre les principaux pays africains considérés comme des locomotives dans le domaine de la transformation des chaines de valeurs locales directement intégrées dans des chaines de valeurs globales. Il est possible de citer les pays suivants : l’Afrique du Sud, l’Angola l’Éthiopie, l’Égypte, le Nigeria, le Maroc, le Rwanda.
Il n’est pas impossible que la Corée du Sud puisse s’intéresser à des pays disposant de ports en eau profonde pour le développement de zones franches économiques permettant la réexportation après l’intégration d’un niveau de contenu technologique favorisant l’emploi décent local. Le Togo, le Cameroun ou la Côte d’Ivoire, (liste non exhaustive) peuvent être des candidats si la prévisibilité de l’environnement des affaires n’est pas une fiction. Enfin, la Corée du Sud pourrait soutenir le renforcement des institutions d’intégration des trois pays de l’Alliance des Etats du Sahel[21] (AES), Burkina-Faso, Mali et Niger en fournissant l’essentiel des technologies d’intégration digitales afin de limiter les conditions défavorables que subissent les pays africains de l’hinterland.
Cette même approche devra s’appliquer pour les principaux pays du BRICS+, notamment avec la Chine qui a changé sa stratégie et accepte de soutenir l’industrialisation de l’Afrique en utilisant la main d’œuvre africaine dans le respect des règles du droit du travail décent et de la distribution inclusive du pouvoir d’achat comme cela s’est opéré en Chine.
Il est donc bien question pour la Corée du Sud de trouver un effet de levier à partir de la croissance des pays africains. Les dirigeants africains doivent savoir qu’en se précipitant pour vendre leur matières premières sans la transformation industrielle en Afrique, ils sont en train de « transférer » une partie de cette croissance accélérée vers la Corée du sud. Ils sont aussi en train de transférer les emplois décents vers la Corée du sud, avec en filigrane l’explosion sociale qui finira bien par les rattraper et chasser du pouvoir pour ne pas avoir défendu les intérêts de cette importante jeunesse africaine.
En retour, lorsque cette dernière leur vendra des produits manufacturés avec de la haute technologie sans compter les dépendances en termes de protection des données dans le domaine digital, les pays africains risquent de se retrouver avec une balance commerciale déficitaire, une balance des paiements dans l’impasse et un endettement, sinon un surendettement envers la Corée du Sud qui risque en retour, compte tenu de l’historique de la corruption en Afrique, de faire perdre la marge de manœuvre économique et décisionnelle dont disposent les Etats africains en ce moment, surtout s’ils s’organisent collectivement sur des projets panafricains au service de leurs populations.
7. AIDE LIÉE ET REVENTE DES PRODUITS MANUFACTURÉS À HAUTE TECHNOLOGIE DE LA CORÉE DU SUD EN AFRIQUE
Le Président sud-coréen, Yoon Suk Yeol, a annoncé l’augmentation du montant de l’aide au développement aux dirigeants de 48 pays africains, soit 10 milliards de dollars des Etats-Unis ($EU) jusqu’en 2030, soit pendant les six prochaines années, le tout assorti de plusieurs prêts concessionnels ou pas.
Par ailleurs, il a aussi annoncé un soutien de 14 milliards de $EU de financement pour encourager et soutenir les entreprises coréennes qui souhaitent exporter vers l’Afrique d’ici 2030[22]. Il faut comprendre qu’il s’agit là de stimuler l’investissement d’entreprises sud-coréennes pour qu’elles développent leur marché en Afrique, y compris en s’y installant. Il n’a pas été clairement mentionné si la Corée du sud allait soutenir le processus d’industrialisation en Afrique.
En marge du Sommet s’est tenu un forum d’affaires qui a permis des accords bilatéraux, soit entre des institutions publiques, soit entre des entités privées, soit encore des arrangements publics-privés. Il fut question d’énergie avec la vente de réacteurs modulaires contenant des technologies avancées pour produire de l’électricité à partir de nouvelles ressources énergétiques renouvelables, des équipements dans le domaine de la fourniture de transformateurs, ou des projets d’infrastructure et des promesses dans le cadre du commerce et de l’investissement. La contrepartie pour la Corée du sud se focalise sur des « des minéraux essentiels pour l’industrie à haute valeur technologique coréenne[23] ». La présence des sociétés sud-coréennes comme Hyosung Corporation, Hyundai Motor Co. (automobile et électro-mobilité), LG Corp. (conglomérat industriel spécialisé dans l’électronique et la domotique), Posco Holding Inc. (4e entreprise mondiale dans l’acier et la sidérurgie) et Doosan Enerbility Co (spécialisée dans l’installation des industries dans le secteur de l’énergie et de l’eau, notamment le thermique, le nucléaire et le renouvelable) a été remarquée.
Or, il transparaît de cette architecture d’intéressement des chefs d’Etat africains qu’il s’agit principalement d’une aide liée et destinée prioritairement à l’exploitation des importantes ressources minérales du continent afin de revendre sur le vaste marché d’exportation que constitue l’Afrique, des produits manufacturés à haute technologie.
Les promesses de la Corée du sud d’affecter une aide de 10 milliards de $EU entre 2024 et 2030 à l’Afrique se subdivisent comme suit. Il s’agit de 1 666 million par an pour toute l’Afrique, soit en moyenne 30,3 millions de $EU par an pour chacun des 55 pays africains. Autrement dit, en référence au coût de l’Hôpital Inter Régional Social Adewe (Hirsa) en Côte d’Ivoire en 2017[24], il suffirait, pour la Corée du Sud, de financer un hôpital similaire dans chacun des 55 pays africains d’ici à 2030 pour que les 10 milliards de $EU promis par le Président de la Corée du sud soient consommés.
Le budget global de 30 millions d’euros a permis la réalisation d’un hôpital de 135 lits dont 15 millions pour les équipements, le tout sur une surface d’au moins 12,5 ha dans la localité de Pinhou, une agglomération du Guémon et du Cavally dans l’ouest de la Côte d’ivoire.
La question est de savoir si en comparaison, l’équivalent de la valeur d’un hôpital de 135 lits pour chaque pays africain contre l’accès aux matières premières essentielles est un échange inégal entre la Corée du Sud et les pays africains ?
Cette nouvelle coopération n’a pas été qualifiée de « gagnant-gagnant » mais de « mutuellement bénéfique » et devra contribuer au « développement durable des ressources minérales dans le monde entier ». Autrement dit, il ne s’agit pas d’aider à l’industrialisation de l’Afrique, encore moins à transférer des contenus technologiques ou des délocalisations d’industries en Afrique à des fins de création d’emplois en Afrique. Cette forme de « chaine d’approvisionnement » dit « stable » pourrait se révéler n’être qu’un approfondissement du mal africain consistant pour les dirigeants africains à ne pas venir à ces genres de conférences entre d’une part, un Etat riche et de l’autre, des pays africains non organisés collectivement. Par ailleurs, les 14 milliards de $EU de financement à l’exportation proposés par le Président sud-coréen devrait servir tout autant à couvrir partiellement le risque-pays des Etats africains, que pour « promouvoir le commerce et l’investissement pour les entreprises sud-coréennes en Afrique ».
En effet, la Corée du Sud a compris que stratégiquement, elle ne pourra pas maintenir sa position d’un des plus importants acheteurs d’énergie au monde, si elle ne sécurise pas ses approvisionnements en matières premières permettant de produire par exemple les semi-conducteurs, les batteries électriques, etc…. C’est donc bien en filigrane toute l’économie des téléphones portables ou des véhicules électriques qui risque de subir la volatilité d’une rupture d’approvisionnement en matières premières essentielles.
8. MATIÈRES PREMIÈRES ESSENTIELLES, POLLUTION ET RECYCLAGE
Une véritable souveraineté des pays africains peut être aussi empêchée parce que la part de la création de la richesse annuelle en Afrique ne permet pas d’assurer un pouvoir d’achat décent à la grande majorité de la population. Ce déficit de l’Afrique ne peut être compensé qu’en introduisant massivement et sans corruption du contenu technologique dans son processus de transformation de ses matières premières afin d’améliorer la productivité et baisser les coûts de mise à disposition en priorité de ces biens et services pour ses populations.
C’est en cela que le partenariat entre les pays africains individuellement ou collectivement avec un pays ou une région hors Afrique a du sens. Mais ce n’est pas nécessairement ce qui se produit et le partenariat tel que le propose le Président de la Corée du Sud, M. Yoon Suk-yeol, dans son domaine réservé que constitue les affaires étrangères. Sa politique libérale et conservatrice depuis qu’il a accédé au pouvoir en 2022, peut n’être qu’un nouveau piège si les projets proposés débouchent sur un surendettement accéléré des pays africains et une perte de souveraineté dans des échanges inégaux. Il est donc indispensable de s’assurer de l’efficacité et de la rentabilité effective des projets choisis en commun.
En effet, dans son discours de conclusion du 4 juin 2024 à Goyang en Corée du Sud[25], le président sud-coréen Yoon Suk Yeol a mis en place un « deal » consistant à « acheter des matières premières essentielles pour la Corée » notamment les métaux indispensables pour soutenir ses industries tournées vers l’électrification, l’intelligence artificielle, la physique quantique, et l’armement dans le cadre d’une coopération commerciale et d’affaires. Les discussions ont porté essentiellement sur les minéraux connus comme moins connus comme le nickel, le cobalt, le graphite, le lithium, mais aussi les métaux rares stratégiques utilisés dans un grand nombre de procédés de fabrication de haute technologie ou « d’avenir » comme les batteries, les écrans, les téléphones portables, les ampoules basse consommation, les batteries électriques, les véhicules hybrides et électriques, les rotors d’éoliennes, les missiles, l’imagerie médicale. Ces métaux sont indispensables pour les industries technologiques telles que les semi-conducteurs. Tous ces produits manufacturiers avec un haut niveau de contenu technologique sont des produits d’exportation capitaux pour la Corée du Sud.
S’il est vrai que les métaux rares sont disponibles en grande quantité en Afrique, en Asie, en Australie, au Canada, aux Etats-Unis, dans la Fédération de Russie, en Amérique latine et en Nouvelle Calédonie, la réalité est que l’Union européenne n’en dispose quasiment pas. C’est ainsi qu’en 2021, près de 98 % de la consommation de l’Union européenne fut importée de Chine. Le coût-rentabilité des extractions dans les pays du Nord global ne permet pas souvent d’en assurer une exploitation viable économiquement. De fait, il existe une véritable concentration de la production entre les mains de la Chine qui contrôle près de 70 % de l’extraction mondiale en 2023.
Le fait que des puissances occidentales cherchent à trouver d’autres sources d’approvisionnement pour échapper à la dépendance de la Chine, elles consacrent des budgets importants pour développer des projets de recyclage et de retraitement dans le cadre d’une économie circulaire afin de récupérer les métaux rares contenus dans des appareils comme les accumulateurs, les aimants, les condensateurs, les écrans, etc. principalement dans les pays membres de l’OTAN ou de l’Alliance de l’OTAN. Le problème est que les extractions sont très polluantes. Or, le taux de recyclage actuel pour « au moins la moitié de ces métaux » rares, ce au plan mondial est inférieur à 1 %[26].
9. DEMANDE POLITIQUE DE LA CORÉE DU SUD : OBTENIR L’APPUI DE L’AFRIQUE CONTRE LA CORÉE DU NORD
Malgré une défaite politique de mi-mandat[27] aux élections législatives du 10 avril 2024, le Président sud-coréen Yoon Suk Yeol doit gouverner avec une « cohabitation » et donc sans majorité à l’Assemblée nationale sud-coréenne pour le restant de ses 5 ans de mandat. Une décision aussi importante que de convoquer les dirigeants africains en Corée du Sud n’a pas pu se faire sans le soutien tacite de l’opposition, le Parti démocratique de Corée (DP) qui a maintenu sa majorité à l’Assemblée nationale sud-coréenne.
Cette défaite de Yoon Suk Yeol a stoppé net l’agenda conservateur de « libéralisation économique » de l’économie alors que la 4e économie d’Asie est confrontée au vieillissement de sa population et doit faire face au taux de natalité le plus faible de la planète.
Un rappel historique est nécessaire pour mieux comprendre les bases d’une possible affinité avec l’Afrique, au-delà de la recherche des minéraux essentiels. Entre 1392 et 1905, la Corée fut un pays uni, gouverné par une monarchie autoritaire, les rois Joseon, qui se sont affranchis de la domination mongole. Au cours des cinq siècles d’indépendance, quatre furent sous la colonisation japonaise. Cette colonisation nippone a été stoppée à la fin de la Seconde Guerre mondiale avec la capitulation du Japon.
Afin de favoriser l’indépendance future de la Corée, les Etats-Unis ont créé deux zones d’occupation, l’une, américaine, au Sud, l’autre, soviétique, au nord. A l’époque, il était toujours question d’une seule Corée.
Mais, la division idéologique fut trop forte entre le Nord et le Sud. C’est bien l’incapacité de trouver un consensus sur la réunification des deux Corée en un seul État qui a conduit à la proclamation de la République de Corée (Sud), le 10 août 1948, suivie, le 11 septembre 1948, par celle de la constitution du gouvernement de la République populaire de Corée (Nord), établi à Pyongyang[28]. La République de Corée, alliée des Etats-Unis, et la République populaire démocratique de Corée, alliée de l’Union soviétique ne se sont pas réconciliées à ce jour. Mais une guerre civile, commencée le 25 juin 1950, alors que les deux régimes cherchaient à contrôler la même nation, s’est transformée en guerre « froide » internationale par procuration avec les États-Unis aux côtés de la Corée du Sud[29], et la Chine et de l’Union soviétique aux côtés de la Corée du Nord. Une guerre par sous-traitance entre les superpuissances de l’époque. La fin des combats s’est soldée par un armistice, signé le 27 juillet 1953. Mais à ce jour, aucun traité de paix n’a été signé entre les deux Corées[30]. Techniquement, les deux pays sont donc toujours en état de guerre[31].
C’est donc dans ce conflit non terminé du fait des ingérences multiples dans les affaires intérieures de chacun des deux Corée que l’Afrique est invitée à prendre position. Pourtant, la plupart des pays africains a régulièrement opté pour le non-alignement.
Alors, le président de la Corée du Sud cherche-t-il à influencer les représentants de 48 nations africaines, dont 25 chefs d’État annoncés à ce Sommet Corée du sud-Afrique pour qu’ils se regroupent au niveau des Nations Unies pour que lors des votes au Conseil de Sécurité, l’Afrique qui y détient trois sièges rotatifs vote en faveur de la Corée du Sud ? Rien n’est moins sûr !
M. Yoon Suk Yeol a souhaité que les pays africains prennent des mesures plus fermes en soutenant une « campagne de pression internationale contre la Corée du Nord » alors que les relations entre les deux Corée se détériorent. L’accélération des essais d’armes à capacité nucléaire debla Corée du Nord pourrait être une réponse à la présence quasi-permanente des Etats-Unis dans la zone et plus particulièrement pour faire face aux manœuvres conjointes Corée du sud-Etats-Unis dans le pacifique. En réalité, il s’agit pour chaque Corée de « protéger » sa souveraineté.
La solution ne peut donc être trouvée dans des alliances avec des puissances productrices d’armes et donc une partie importante de leur création de richesses (PIB) repose justement sur les conflits ou les velléités de conflits, ce qui favorise les ventes d’armes et de services liés à la déstabilisation, voire aux guerres. De ce point de vue, les pays africains apparaissent comme des grands pacifiques et gagneraient à utiliser leur rôle grandissant dans les approvisionnements des nouvelles technologies qui servent aussi à des guerres meurtrières à faire valoir la position de continent de la paix, continent du non-alignement, même si certains ont pris la tangente pour s’aligner sur l’une ou l’autre des grandes puissances d’aujourd’hui.
10. EN FINIR AVEC LES PARTENARIATS EN RANG DISPERSÉ DES DIRIGEANTS AFRICAINS
Personne n’offre un partenariat avec des pays africains qui viennent en rang dispersé pour négocier sans arrière-pensée de retour sur investissement. On ne peut pas considérer que le commerce des matières premières stratégiques entre l’Afrique et le monde doit être payé par une augmentation de l’aide au développement, surtout qu’il s’agit très souvent d’aide liée.
Les relations privilégiées entre une Afrique des dirigeants et une Afrique des peuples ont conduit certains dirigeants du monde à changer leur approche. De nombreux pays africains ont pris conscience des enjeux de contrôle de leur souveraineté individuelle et collective, et donc des richesses africaines qui se déclinent de plus en plus :
par ses ressources naturelles surabondantes, mais de plus en plus aussi
par ses ressources humaines abondantes, peu chères, mais aussi peu qualifiées.
Le monde d’aujourd’hui est structuré autour des rapports de force militaires, économiques et monétaires qui fondent une nouvelle division multi-bipolaire du monde. Il faut prendre en compte :
d’une part, la lutte d’influence entre les Etats-Unis et la Corée du sud avec d’un côté le G7 dominé par les Etats-Unis et de l’autre l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) fonctionnant sur une géopolitique de rupture avec le G7 et de neutralisation de l’influence et des ingérences américaines en Asie. L’OCS repose d’abord sur une forme de diplomatie triangulaire avec des cercles concentriques poussant à des alliances nouvelles entre les pays d’Asie cherchant à échapper à une emprise américaine dans leur espace, avec la Corée du sud, la Russie comme les éléments intégrateurs de nombreux pays d’Asie en tant qu’entité ayant des intérêts géostratégiques non compatibles avec l’influence expansionniste des pays du G7 ;
de l’autre, tous les pays formant des alliances directes, indirectes ou informelles avec l’OTAN ou les BRICS plus élargis, le tout sur fond de constitution ou de préservation de leur souveraineté militaire, territoriale, énergétique, technologique et monétaire.
Les pays qui ont colonisé des pays africains et qui continuent à décliner cette colonisation avec l’appui de certains dirigeants africains préférant faire passer leurs intérêts bien compris avant l’intérêt des peuples africains, n’ont pas pu mettre en question leur passé colonial. C’est un handicap psychologique qui empêche la mise en œuvre d’un partenariat d’égal à égal surtout avec la montée de la xénophobie et du racisme au sein de ces pays et la faillite du modèle de « coopération gagnant-perdant » qu’ils proposent à l’Afrique puisqu’il ne met pas en question l’échange inéquitable et cherche toujours à profiter des ressources dont regorge le continent.
La jonction d’un système de déstabilisation alliant les luttes et les guerres d’influence, la course à l’armement, et la prolifération d’organisations terroristes ont rallongé les espaces de tension et fragilisation sur le sol africain. Cela ne peut servir d’alibi pour l’établissement ou le maintien de bases militaires sur le sol africain afin d’y poursuivre des guerres d’influence permettant d’accéder sans contrôle à l’accaparement des richesses africaines.
La proposition de partenariat de la Corée du Sud, avec l’historique d’une colonisation subie, permet de croire que la volonté de trouver une voie alternative pour répondre aux défis qui se posent à tous sur des bases de créations de richesses partagées, ne repose sur aucune hypocrisie apparente. Au-delà des infrastructures, de l’accès aux minerais essentiels, l’implication de la Corée du sud dans l’intégration des entrepreneurs africains dans les chaines de valeurs productives et commerciales prenant en compte au moins la transition énergétique, la digitalisation, le secteur halieutique et agricole, le renforcement des contenus technologiques par le biais de l’éducation et la formation accélérées et adaptées et les innovations et la recherche scientifique doit s’inscrire dans le respect mutuel et la dignité des uns et des autres. De ce point de vue, la culture, le sport et la préservation de la biodiversité et même la socialisation et la solidarité comme principe fondateur du vivre ensemble pourraient contribuer à déconstruire :
les approches obsolètes du « clé en main » excluant la participation du peuple africain ;
la mauvaise gouvernance notamment la corruption qui dévalorise le travail et l’éthique ;
pour reconstruire des nouvelles formes disruptives de développement en commun et en respect mutuel pour que les richesses naturelles et humaines africaines servent d’abord les intérêts du peuple africain, avant de servir les intérêts et les stratégies d’une Corée du Sud, sous influence de l’OTAN.
L’évolution des relations entre la Corée du sud et l’Afrique dépendra en grande partie de la capacité des chefs d’Etats africains à redonner une priorité aux projets intégrateurs et structurant le continent et les sous-régions africaines. C’est d’ailleurs à la lumière de cette approche qu’il convient de mettre en lumière la position singulière du Groupe de la banque de développement africaine qui était aussi présente au sommet Corée du Sud – Afrique.
11. LE GROUPE DE LA BAD COMME UN CATALYSEUR DES DTS DE LA CORÉE DU SUD VERS L’AFRIQUE
De ce point de vue, la participation du Président de la Banque africaine de développement (BAD), Akinwumi Adesina, a tenté de convaincre le Président de la Corée du sud, Yoon Suk Yeol, de rediriger tout ou partie des 20 milliards de $EU détenus au niveau du Fonds monétaire international, les fameux DSP (Droits de tirage spéciaux) vers la Banque africaine de développement. Aucune réponse officielle à ce jour. Néanmoins, le Président de la BAD a rappelé que la voie choisie par la Corée du Sud pour son développement a permis de transformer « un pays pauvre et dépendant de l’aide » en « l’un des plus grands pays donateurs au monde[32] ».
Par contre, il y a de bonnes chances que la Corée du sud réponde favorablement à l’appel du Groupe de la BAD pour plusieurs de ses guichets notamment :
le Fonds fiduciaire de coopération économique Corée-Afrique (Koafec) à l’initiative de la Corée du Sud, à savoir un important fonds bilatéral d’affectation spéciale pour soutien en priorité des projets impliquant la Corée du Sud ; actifs de l’institution, en termes de contributions reçues et de taille de portefeuille ;
la prochaine reconstitution du Fonds africain de développement (FAD) le guichet concessionnel du Groupe de la Banque qui délivre des prêts à des taux les plus bas mais prend des garanties sur les Etats africains ;
l’Alliance africaine pour les infrastructures vertes (AGIA) qui soutient la transition énergétique, ce en partenariat avec l’Union africaine ; et
Africa 17 qui a pour objet de faciliter la mobilisation des financements privés pour les infrastructures vertes en Afrique.
Mais, la reconnaissance de l’Afrique comme une réserve mondiale de réserves de minéraux essentiels pour les industries à haute valeur technologique coréennes, a permis de mettre en exergue dans le communiqué commun à la fin du Sommet, une volonté commune de « lancer un dialogue Corée-Afrique sur les minéraux critiques (…) qui servira de base institutionnelle importante pour renforcer la coopération entre la Corée et l’Afrique[33] ».
En réalité, la composition de l’actionnariat du Groupe de la Banque africaine de Développement ne permet pas de faire de cette institution le point focal des alternatives aux services des peuples africains. La décision est politique. Les peuples africains de plus en plus informés et éveillés ne pourront plus laisser les dirigeants africains décider du devenir des peuples africains sans avoir obtenu leur avis. De ce point de vue, une réflexion nationale, régionale et continentale en Afrique est indispensable pour repenser l’approche africaine de la subsidiarité ascendante.
12. SUBSIDIARITÉ ASCENDANTE SOUPLE : RECONSTRUIRE DES ENTITÉS RÉGIONALES NON ALIGNÉES
Lorsqu’on analyse la déclaration conjointe des chefs d’Etat africains à ce sommet[34], il faut s’étonner de l’absence de la priorité du Peuple africain à savoir : la souveraineté du Peuple africain, collectivement et individuellement et son corollaire, l’endettement ou le surendettement qui conduit justement à faire appel à l’aide au développement. Par contre, une importance a été consacrée à la paix et à la sécurité des dirigeants africains et aux « défis mondiaux, notamment le changement climatique, l’insécurité alimentaire, les crises sanitaires, les crises énergétiques et les ruptures de la chaîne d’approvisionnement ».
Dans le cadre de l’intégration des chaines de valeurs locales et mondiales, si les chefs d’Etat africains avaient collectivement exigé que la Corée du Sud s’engage à réaliser une partie de sa production de téléphones portables ou de véhicules électriques en Afrique, cela aurait permis de croire à une véritable volonté des dirigeants africains de faire dans du « concret », ce au service des Peuples africains.
Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Chacun des chefs d’État a choisi de mettre l’accent sur ses préoccupations nationales et moins régionales ou continentales, au point de transférer à la Corée du sud la capacité de « choisir » parmi ces projets nationaux, lequel soutenir ou pas. Or, c’est bien là le péché mignon des chefs d’Africains, de ne pas comprendre depuis les années 1960 et le refus d’aller vers un fédéralisme décisionnel que c’est cette approche en rang dispersé qui les fragilise, voire les ridiculise, au point de perdre leur dignité collective. Le problème est donc bien africain.
Il s’agit d’un refus de la subsidiarité ascendante, à savoir le transfert volontaire de pouvoirs vers une entité supranationale. Il peut s’agir d’Etats-nation s’organisant au sein d’un espace commun plus large. Dans le cadre d’une subsidiarité ascendante souple, on parle alors de supranationalité et dans le cadre d’une subsidiarité ascendante forte, on parle de confédération ou de fédération, selon que l’initiative vienne des Peuples ou des dirigeants des Etats-membres.
Il faut croire que le procès fait aux Etats formant l’Alliance des Etats du Sahel, à savoir, le Burkina-Faso, le Mali et le Niger, comme quoi ils seraient en train de détruire l’intégration régionale à l’image de la CEDEAO ne repose sur rien de tangible. En effet, en plus de la réalité d’une CEDEAO qui apparait de plus en plus comme agissant en fonction des intérêts des pays occidentaux non membres de la CEDEAO, il faut bien reconnaître que sur de nombreux sujets comme la monnaie ECO, les élections basées sur la vérité des urnes, la Démocratie de l’alternance politique, les coups d’Etat militaires et constitutionnels, les positions de la CEDEAO sont à géométrie variable pour les Africains et à géométrie invariable pour ceux de l’OTAN qui se considèrent comme formant la Communauté internationale.
De fait, la mise en place d’une subsidiarité ascendante souple se traduira par des institutions fortes capables de résister aux déviations des dirigeants forts au pouvoir, qu’ils soient militaires ou pas, mais aussi des dirigeants africains alignés sur l’Occident. Sans préjuger du devenir des initiatives actuelles des trois pays Burkina-Faso, Mali et Niger, personne ne peut nier que l’Alliance des Etats du Sahel (AES) demeurera dans l’histoire comme une volonté commune de reconstruire des entités régionales non alignées en Afrique de l’Ouest.
13. SOMMET ASYMÉTRIQUE ET SOUVERAINETÉ COMMUNE : UN PAYS PEUT-IL CONVOQUER 55 PAYS ?
Stratégiquement, l’Afrique ne peut accepter d’entrer dans des partenariats avec la Corée du sud, ou n’importe quel autre pays, lors de sommets asymétriques entre un pays riche et l’ensemble des chefs d’Etat africains sans insister que le partenariat doive contribuer à augmenter la part de l’Afrique, pays pris individuellement ou collectivement, dans la part de la richesse mondiale (PIB mondial) afin de couvrir la part importante de sa population. La part de l’Afrique subsaharienne dans le PIB mondial devra au moins atteindre la part de la population africaine dans le monde d’ici 2063 si les objectifs affichés dans l’Agenda de l’Union africaine pour 2063[35] sont effectivement mis en œuvre. Cela suppose une perspective panafricaine par le biais de la solidarité, de l’intégration, de la mise en œuvre des programmes commun avec en filigrane une lutte pour une souveraineté commune.
Cela ne pourra pas se faire en entrant dans des partenariats ne prenant pas en compte les réalités de l’histoire de l’agression occidentale contre la souveraineté des Africains tout en prenant en compte les réalités, aspirations et priorités du continent. Mais, aucun partenariat entre la Corée du Sud et les pays africain pris individuellement ne contribue à l’intégration régionale. Il faut donc bien une approche africaine pour soutenir le développement par l’intégration dans les chaines de valeurs locales, régionales et mondiales en transformant en Afrique, les minerais stratégiques africains et en exigeant de la Corée du Sud, la mise en place d’industries de transformation au minimum dans le premier niveau de la chaine de valeurs. Ceci permettra d’accélérer l’industrialisation de l’Afrique et faciliter le transfert des contenus technologiques dans le processus de transformation et de développement de capacités productives, tout en apprenant des expériences et des meilleures pratiques diverses et uniques de la Corée du sud.
C’est en cela que la coopération bilatérale entre la Corée du sud et chacun des pays africain est louable. Mais elle sera profitable à l’Afrique en tant que continent si les projets d’intégration régionale ou continentale sont proposés par les groupements de chefs d’Etat africains. C’est à cette condition que les nouvelles solidarités fondées sur les fruits de la croissance partagée peuvent être pérennes et permettre de construire ensemble le devenir des peuples africains et coréens du sud. Est-ce que les 55 pays africains ne gagneraient pas à inviter la Corée du Sud en Afrique pour le suivi de ce sommet Corée du sud-Afrique ?
14. CONCLUSION : LE PROCHAIN SOMMET CORÉE DU SUD-AFRIQUE DOIT AVOIR LIEU EN AFRIQUE
L’impression laissée par les dirigeants africains collectivement est qu’ils se sont rendus à ce sommet comme des « spectateurs » et non des « acteurs ».
Les priorités africaines pour les jeunes africains ne sont pas lisibles. Or, chacun sait que l’éducation et le développement des ressources humaines ont été à la base du développement de la Corée. Pour que les 60 % de la population africaine de moins de 25 ans puisse constituer un dividende démographique, il est indispensable de mettre en place un système d’éducation et de formation pratique de qualité principalement dans le transfert de contenus technologiques et des aptitudes à l’entrepreneuriat. D’importantes opportunités existent dans le domaine de soutien à la souveraineté des Etats africains, notamment dans la défense des territoires africains, de l’industrie de la sécurité publique notamment la lutte contre le terrorisme, et les services à la mobilité.
Il aurait fallu proposer des projets intégrateurs, créateurs d’emplois décents et permettant des transferts de contenus technologiques. Rien n’empêche les dirigeants africains à exiger des projets communs dans les chaines de valeurs reposant sur les minerais et leur transformation partielle ou totale en Afrique.
Cela aurait le mérite d’être clair et répondrait aux demandes du Peuple africain, et plus particulièrement la jeunesse africaine qui offre un coût d’opportunité compétitif, ce qui conduirait à un partenariat gagnant-gagnant qui générerait un avantage compétitif tant pour la Corée du Sud que pour l’Afrique. Les termes généraux des dirigeants africains semblent systématiquement laisser l’initiative à la Corée du sud. Il suffit de rappeler cette phrase contenu dans le document conjoint des chefs d’Etat africains : « Nous reconnaissons en outre l’importance d’identifier les possibilités pour les entreprises coréennes d’investir en Afrique et d’apporter une valeur ajoutée au développement des ressources minérales essentielles, de sorte que la collaboration puisse contribuer à la création d’emplois et à la revitalisation des économies locales ».
Le partenariat entre la Corée du sud et les dirigeants africains ne doit pas continuer sans y associer la position des peuples africains. Le simple partenariat bilatéral entre des dirigeants sud-coréens et africains n’est pas satisfaisant. De nombreux dirigeants africains ne sont pas issus de la vérité des urnes et le président sud-coréen vit une cohabitation qui lui a été imposée par le Peuple coréen. A quand la coopération entre le Peuple sud-coréen et les peuples africains ? Construisons ensemble le « Devenir » des peuples sud-coréens et africains et moins ceux des chefs d’Etat en mal de légitimité en Afrique.
Le prochain sommet Corée du sud-Afrique devra réserver un espace à la coopération directe entre les organisations de la société civile représentant les peuples. Il devient urgent pour les dirigeants africains de sortir de la diplomatie collective stérile pour offrir des programmes commun, régional et/continental- de négociation des transferts de contenus technologiques vers les petites et moyennes entreprises et industries africaines.
Peut-être que d’ici là, l’approche africaine de la solidarité pourrait permettre une parenthèse avec le Peuple de Corée du Nord. En effet, l’origine des divisions semble provenir de l’absence de la représentativité des sociétés civiles des populations coréennes et africaines. YEA.
10 juin 2024
Dr. Yves Ekoué AMAÏZO
Directeur général, Afrocentricity Think Tank
© Afrocentricity Think Tank






Office of the President of the President of Korea (2024). “Joint Declaration 2024 Korea-Africa Summit”. Office of the President of the President of Korea. 4 June 2024. Accessed 5 June 2024. Retrieved from https://eng.president.go.kr/briefing/vHCPXEWB 
Union africaine (2063). Agenda 2063. L’Afrique que nous voulons. Avril 2015. Commission de l’Union africaine. Accédé le 4 juin 2024. Voir https://au.int/sites/default/files/documents/36204-doc-agenda2063_popular_version_fr.pdf 

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