Triste fin de semaine pour quelques amateurs franco-gabonais de culbutes mafieuses : les 28 et 29 mars derniers, quasiment tous les médias parisiens ont fait leurs grands titres avec le retentissant scandale du « Forum de Libération au Gabon ».
Une sombre histoire de surfacturation portant sur une opération de communication déguisée, en faveur du régime dictatorial d’Ali Bongo, et initiée par Laurent Mouchard « Joffrin » et Pierre Fraidenraich. Respectivement directeur de publication et directeur opérationnel du quotidien français Libération, les deux compères ont utilisé le prestige du journal classé à gauche pour aller ramasser plus de 2 milliards de francs CFA au Gabon, en 2015. A cette époque-là, déjà, des Gabonais avaient bruyamment marqué leur indignation devant le siège de « Libé » à Paris.
Sur les décombres du Plan stratégique Gabon émergent
Quatre ans plus tard, c’est à un sensationnel rebondissement que nous assistons. Et La Lettre du Continent, une publication spécialisée sur l’Afrique, livre quelques détails de taille dans sa dernière édition : « L’affaire a d’ores et déjà entraîné le départ, le 28 mars, de l’organisateur français de l’évènement, Pierre Fraidenraich, ancien directeur opérationnel de Libération devenu directeur général de la chaîne BFM Business détenue, comme le quotidien français, par le groupe Altice de Patrick Drahi. Or, Fraidenraich est un intime de l’ex-directeur de cabinet de la présidence gabonaise, Maixent Accrombessi. Il a même investi dans Edan, la chaîne de télévision de la femme d’Accrombessi, Evelyne Diatta-Accrombessi. Fraidenraich et Accrombessi ont travaillé ensemble sur l’organisation du forum, financé par une structure, le Bureau de coordination du plan stratégique Gabon émergent (BCPSGE), qui dépendait directement d’Accrombessi à la présidence gabonaise ». A propos de ce fameux « Plan stratégique Gabon émergent » (PGSE), il convient de relever que les autorités gabonaises l’ont récemment retiré de leur projet de société, assumant, de facto, leur incapacité à conduire le pays vers « l’émergence à l’horizon 2025 ». Celle-ci était pourtant la promesse phare d’Ali Bongo lors de sa prise de pouvoir en 2009.
Curieusement, c’est sur les décombres de cette chimère balancée aux orties que le sénat français a prêté une de ses salles, le vendredi 29 mars, pour la tenue d’un énième barnum françafricain : « Colloque Gabon, un pays d’Afrique Centrale en quête de diversification ». Mais l’événement, financé à grands frais et dans la plus parfaite opacité par le Trésor public gabonais, a été partiellement escamoté par l’affaire « Libération ». Partiellement, parce qu’un autre élément, et pas des moindres, est lui aussi venu parasiter le Colloque : l’activisme déterminé d’un groupe de Résistants gabonais.
Tout commence le 21 mars, lorsqu’une invitation à la presse a commencé à circuler sur les réseaux sociaux. Celle-ci annonçait : « COLLOQUE GABON. En présence du Chef du Gouvernement de la République Gabonaise Julien NKOGHE BEKALÉ et de ministres gabonais. Message de M. Gérard LARCHER, Président du Sénat. »
Parmi les participants et invités attendus, figuraient : Christophe-André FRASSA, Groupe interparlementaire d’amitié France-Afrique Centrale ; Christophe LECOURTIER, Directeur général de BUSINESS France ; Jean-Marie OGANDAGA, Ministre de l’Économie, de la Prospective et de la Programmation du développement ; Didier LESPINAS, Président du Comité CCEF GABON et Directeur de DBLAFRICA ; Alain BA OUMAR, Président CPG et PDG d’IG TELECOM ; Erik WATREMEZ, Directeur général, E&Y GABON ; Jean-Pierre BOZEC, Associé-gérant, PROJECT LAWYERS ; Gagan GUPTA, Président, OLAM ; Francis ROUGIER, Directeur général, ROUGIER ; Isabelle ESSONGHE, Directrice commercial & marketing, CECA-GADIS ; Benoît DEMARQUEZ, Directeur général, TEREA ; Marc DEBETS, Président, APEXAGRI ; Henri-Max NDONG-NZUE, Directeur général, TOTAL GABON ; Justin NDOUNDANGOYE, Ministre des Transports et de la Logistique de la République du Gabon ; François TARTARIN, Sales manager Africa & Asia, CIM GROUPE ; Frédéric DESCOURS, Directeur Général, AIR FRANCE AFRIQUE CENTRALE ; Jean-François OLLIVER, Directeur général, BOLLORE TRANSPORT & LOGISTICS GABON ; Christophe EYI, Directeur réseau clientèle des entreprises, BICIG ; Mathieu PELLER, COO Africa – Partner, MERIDIAM ; Sébastien FLEURY, Directeur département Réseau et Partenariat, PROPARCO ; Ralph OLAYE, Directeur du développement et du management de projet, ERANOVE…
Aussitôt informés, des Gabonais ont, dès le 22 mars, décidé de réagir. D’abord, en créant un groupe WhatsApp d’une centaine de personnes environ, « Colloque Gabon 29 mars ». Puis en inondant les organisateurs français de la manifestation, les médias ainsi que quelques parlementaires européens de messages de protestation avant, enfin, d’organiser un sit-in, le 29 mars, devant le palais du Luxembourg où est situé le sénat. Première conséquence notable de cette mobilisation citoyenne, Gérard Larcher, Julien Nkoghe Bekale et Jean-Marie Ogandaga ont renoncé à leur participation au Colloque. La défection des principales têtes de gondole va, évidemment, jeter un froid sur les travaux. Lesquels, de l’avis de bien des participants, furent d’une telle médiocrité que quelques investisseurs potentiels ont quitté la salle avant la fin.
Mais il faut savoir que l’objectif du pouvoir gabonais était atteint : tenir un colloque sur le monde des affaires abrité dans le prestigieux sénat français. On notera au passage que la France des réseaux a cautionné, à cette occasion, deux projets fumeux de construction d’un TER (Train express régional) et d’un métro à Libreville, une ville poubelle dépourvue d’infrastructures routières dignes de ce nom.
« Opérations de grande lessive et de blanchiment de l’argent du contribuable »
En réalité, ces projets serviront juste de prétexte, comme le PGSE qui a englouti plus 11.000 milliards de francs CFA en pure perte et sans contrôle, pour détourner et recycler l’argent du contribuable. De l’argent qui sera utilisé au financement occulte de quelques officines louches de la françafric, mais également d’une partie de la classe politique française. Pour faire passer la pilule et tordre le cou à la vérité, des agences de presse spécialisées ont été recrutées à prix d’or. Elles seront, pour certaines, sans nul doute payées avec une partie des sommes que l’AFD déverse sur le Gabon pour la construction d’écoles qui n’ont jamais vu le jour.
Commentaire d’un conseiller municipal parisien : « Le sénat de Gérard Larcher, au lieu de prêter son cadre à des opérations de grande lessive de blanchiment de l’argent du contribuable français et gabonais, devrait plutôt demander sans délais la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire sur les prêts de l’AFD. En tout cas nous allons l’y pousser ! ».
- PAR CÉLINE ALEXANDRE