Je m’appelle Isabelle. J’avais 55 ans lorsqu’on m’a diagnostiqué un cancer du sein en août 2017. Ça n’arrive pas qu’aux autres…..
A la demande d’une amie, je fais ce témoignage pour apporter mon expérience à celles qui auraient besoin de trouver un peu de réconfort. Voici mon histoire :
En juillet 2016, j’ai senti une toute petite boule dans mon sein gauche sous la douche. Aucune douleur, rien. J’ai cru que je rêvais, en me disant « ce n’est pas possible que ce soit ça…. ». Je me pose alors mille questions : je fais régulièrement tous mes contrôles, il n’y a pas de raison…. ! J’ai toujours fait attention à mon hygiène de vie. J’avais juste une grande pression sur le plan professionnel, entraînant un stress difficilement gérable. Bien entendu, après ma « découverte », j’ai couru chez le médecin pour signaler ce qui m’arrivait, et faire les examens nécessaires. Après la mammographie, on me dit que ce n’est rien et que c’était sûrement hormonal. Je poursuis donc le cours de ma vie. Confiante.
En avril 2017, je suis alarmée par quelques douleurs. Recontrôle et même résultat : il n’y aurait rien de suspect. J’y crois. Après quelques mois de répit, les douleurs recommencent en juillet et je sens que la boule grossit. Nouveau contrôle et rien de suspect n’est signalé. C’est trop bizarre. Nous sommes en août, mon médecin traitant m’envoie alors voir un sénologue. Celui-ci me fait faire une ponction, un genre de biopsie, très douloureuse, car effectuée dans de mauvaises conditions, sans anesthésie, à l’hôpital. Je suis dure au mal pourtant…. On me dit que c’est normal d’avoir mal car le sein est enflammé (mais dans notre système médical sénégalais, j’ai l’impression que la douleur est mise au second plan. Le malade n’est pas préparé, ni accompagné sur le plan psychologique, pour affronter certaines épreuves).
A la sortie des résultats, le diagnostic de cancer du sein est confirmé par le sénologue, et bien que la ponction n’ait pas été faite complètement, il pense que les ganglions sont atteints aussi. Il m’explique le protocole qui devrait être mis en place. Ma sœur qui m’accompagnait est très secouée. Moi je me suis tout de suite « déconnectée » de mon corps. J’entends tout ce que le médecin me dit, mais pour moi il parle d’une autre personne. Je suis très calme.
Dès que mon médecin traitant et mon médecin du travail apprennent la nouvelle, ils m’encouragent tous les deux à partir me faire soigner en France, car grâce à mon employeur, j’ai une assurance santé qui le permet. J’hésite, je suis mal à l’aise, car je trouve injuste de tourner le dos à notre système médical, pour « aller voir ailleurs ». J’ai l’impression de prendre la fuite. Mais sachant ce qui m’attend, et vu dans quelles conditions ma ponction a été faite, j’écoute leurs conseils, et accepte de franchir le pas. C’est alors que ma sœur me dit de venir chez elle, à Clermont-Ferrand. Après y avoir contacté une amie infirmière, celle-ci nous oriente vers un grand Centre spécialisé. Mes proches, famille, amis, collègues de travail, font tout de suite bloc autour de moi par diverses manifestations de soutien et m’encouragent à partir.
Dès lors, le processus est enclenché, le temps de mettre de l’ordre dans ma vie dakaroise et professionnelle, en dix jours, je suis partie.
Pour moi c’est l’affaire de quatre mois au maximum. Je suis confiante, et toujours calme. Je reste positive. Bien que bouleversées, je le sais, ma Maman, ma fille, ma sœur, me disent et me répètent que je vais m’en sortir. Ça m’aide, mais malgré le mal qui me ronge, je ne me sens pas malade, pour moi il s’agit d’une autre personne. Vous vous souvenez, je dis plus haut que je me suis « déconnectée » de mon corps…, bien que je dorme moins bien car la douleur s’est installée, mais je m’accroche, et ne veux pas montrer à mon entourage que j’ai mal pour ne pas plus les inquiéter.
A mon arrivée au premier rendez-vous, l’équipe médicale du Centre me fait un bilan sénologique complet qui confirme le diagnostic en précisant que je suis au grade 3 avec atteinte ganglionnaire confirmée. Puis pendant un mois, vu l’agressivité de la maladie, je subis des tas d’examens pour vérifier qu’il n’y a pas de métastases et préparer le protocole du traitement. Je demande aux médecins, « mais pourquoi malgré mes contrôles réguliers on n’ait rien vu, et surtout que ça ait progressé aussi vite ! « (d’autant plus je n’ai aucun antécédent familial…). Pour eux, la progression rapide est justifiée par la forme agressive de la maladie qui s’est déclarée, on ne peut pas m’expliquer plus…
Bon, quand faut y aller, faut y aller ! La chimiothérapie démarre en octobre 2017, c’est parti pour six cures espacées de trois semaines. Je réalise que ça dépasse le temps que j’avais estimé (quatre mois) depuis mon arrivée… Ça m’embête ! Mais je deviens fataliste et me plie aux contraintes du protocole mis en place. Je remercie le Bon Dieu d’être en famille, bien entourée pour affronter ce long parcours.
Avant le démarrage des cures, je passe au bloc pour la pose du porte cathéter (le PAC) qui deviendra mon compagnon pour toute la durée des traitements. Et devinez quoi ? Le chirurgien qui s’occupe de moi a fait une partie de son internat dans l’hôpital de Dakar qui m’a fait la première ponction. Pendant qu’il m’installe le PAC sous anesthésie locale, il me parle de thiéboudiène, de bissap…. Ça me fait rire. Quelle coïncidence !
Les cures de chimiothérapie démarrent. Mon protocole est très lourd, on me perfuse plusieurs poches à chaque fois, nécessitant d’être branchée pendant une bonne demi-journée…. Mes cheveux commencent à tomber, je décide de porter le foulard plutôt qu’une perruque. Comme ça je peux les adapter à mes tenues ! Ma sœur est solidaire et met aussi le foulard à chaque fois qu’on sort ensemble. Malgré les lourds effets secondaires, je ne baisse pas les bras. Je reste toujours en mode « déconnectée ». Pour moi, c’est un autre malade qui est soigné.
Je gère au jour le jour en m’aidant de « médecines parallèles », comme l’acupuncture, la sophrologie, la réflexologie plantaire… et je marche dès que j’en ai la force. Par tous les temps. Je participe à tous les ateliers de bien-être organisés par le Centre, sans oublier mes tisanes de feuilles de corossol. Mon seul « souci » reste le manque d’appétit lié aux médicaments à cause des nausées. Moi qui suis très gourmande, c’est ma plus grande punition. Dès que ça va mieux, je fais la cuisine pour me « consoler ». Ce fût d’ailleurs ma thérapie pendant toute la durée des traitements.
Les cures terminées, les résultats sont bons. J’ai perdu 10 kilos, mais je reste positive et confiante. J’ai eu beaucoup de chance que mon corps ait bien « réagi » au protocole du premier coup. Aux examens, la tumeur a pratiquement disparu et il ne reste que les cicatrices laissées par les lésions. Mon sein est redevenu normal. Je suis optimiste en me disant que je vais échapper à l’ablation. Et là c’est la désillusion, les ganglions ayant été atteints, la décision prise par la commission pluridisciplinaire, recommande l’ablation totale du sein et le curage ganglionnaire. Ma sœur est en pleurs, moi je la console. J’ai confiance en la décision des médecins. S’il faut passer par là, allons-y !
Le temps de récupérer de la chimiothérapie, je suis prête pour la seconde étape de mon parcours, l’opération. Je demande à ma sœur de faire une photo de ma poitrine encore intacte, avant de partir à l’hôpital. L’opération s’est très bien passée, mais ça fait bizarre de sentir le côté « vide ». Mais « on ne sort pas de combats sans cicatrices ». J’ai lu cette phrase il n’y a pas longtemps et je trouve qu’elle s’adapte très bien aux circonstances. Me voilà devenue une amazone. Vous connaissez leur histoire ? Selon la mythologie grecque, c’étaient des guerrières qui se faisaient enlever un sein pour pouvoir mieux viser et tirer à l’arc sans être gênées par leur sein. Je suis une guerrière.
Je me dis que ça y est je vois le bout du tunnel, mais déception, on m’annonce qu’après la radiothérapie je vais devoir reprendre les perfusions. Plus en chimiothérapie, mais pour des anticorps, car la forme agressive de la maladie que j’ai eue, m’expose à une récidive à plus ou moins brève échéance… Je me vois encore bloquée à Clermont-Ferrand, le retour chez moi s’éloigne. J’avoue que je panique un peu, voilà déjà sept mois que je suis en France et je ne pensais pas passer tout ce temps-là loin de chez moi. Je consulte mes proches, puis-je poursuivre mon traitement chez moi ou faut-il que je reste en France pour aller jusqu’au bout ? Mais voilà, l’oncologue me dit que les traitements qu’il me faut sont difficilement accessibles à l’étranger, car excessivement onéreux. Je dois donc prendre mon mal en patience….
Après la cicatrisation de l’opération, arrive le temps de la radiothérapie pour cinq semaines. Malgré la fatigue, je fais mes séances le mieux possible. Mais une semaine après la fin des séances, j’ai une complication, la peau de la moitié de la poitrine enflammée, brûlée, décollée… Je fais appel à un coupeur de feu qui m’aide à arriver au bout de cette étape sans trop souffrir. Mon moral reste bon malgré tout, je suis toujours confiante.
Encore une phase de repos, et me voilà repartie pour sept mois de perfusions d’anticorps. Je regarde derrière moi le chemin parcouru. Déjà onze mois que je suis en France, et malgré quelques moments de doute, je suis fière de mon parcours. Je rassemble toutes mes forces pour démarrer cette dernière étape.
Voilà huit mois que tout est terminé. Je suis restée positive tout le temps, j’ai beaucoup parlé autour de moi, j’ai recueilli des témoignages, j’ai lu toutes les documentations qui pouvaient m’apporter des conseils pour mieux supporter ce lourd parcours…. Comme je le dis plus haut, ayant toujours fait attention à mon hygiène de vie, avant ma maladie, j’ai, depuis lors, appris beaucoup de choses pour encore mieux le faire. Mais aussi et surtout j’ai été portée par beaucoup d’amour. Ma famille, mes amis de France, de Dakar, de partout, mes collègues de travail, m’accompagnaient quotidiennement par leurs prières, leurs messages, leurs appels, leurs petites attentions. J’ai été très bien entourée chez ma sœur, à l’hôpital. J’ai surtout eu la chance de pouvoir choisir ma prise en charge, ce qui n’est malheureusement pas permis à tout le monde, j’en suis consciente. De plus, mon employeur a été très compréhensif, face à ma longe absence, et à l’écoute des soucis administratifs en découlant. Toutes les conditions étaient vraiment réunies pour que mon parcours se passe le mieux possible.
Je ne suis pas encore en rémission, mais je ressors grandie de mon épreuve. De retour chez moi depuis six mois, je commence une nouvelle vie, car il y a un avant et un après. On vit différemment, car on voit les choses différemment, on a d’autres priorités… Je suis fière de mes cicatrices et continue à être positive. Face à ce combat contre la maladie, le moral est le grand vainqueur. Si le mental est faible, le corps ne peut pas se battre. Pendant mes différents séjours à l’hôpital, je voyais les autres malades qui étaient déprimés. J’avais de la peine pour eux, j’aurai tant voulu leur communiquer ma force… Je sais que certaines pathologies sont plus compliquées à soigner que d’autres, que des malades souffrent et se battent dans des conditions difficiles. Mais il faut s’accrocher, il faut y croire. On dit que l’espoir fait vivre. Quelles que soient nos épreuves, il ne faut jamais baisser les bras, la vie est belle !
Source: VONEWSAFRIQUE