RAPPORT
DÉNONÇANT LES DÉRIVES ET ABUS
DANS LE TRAITEMENT DES PERSONNES ARRÊTÉES,
DÉPORTÉES ET DÉTENUES AU
1- GSO
2- GMI
3- PRISON SECONDAIRE DE YAOUNDÉ (Camp
Militaire du SED)
4- PRISON CENTRALE DE Nkondengui-Yaoundé
A L’OCCASION DES « MARCHES BLANCHES » ORGANISÉES LE 26 JANVIER 2019 PAR LE MRC
COLLECTIF DES AVOCATS –CONSEILS CONSTITUES
Nous, avocats signataires du présent rapport,
Destiné aux autorités publiques administratives, judiciaires, aux organisations de défense des
droits de l’homme, et à l’opinion publique nationale et internationale,
Entendons informer :
1. Sur le danger qui pèse sur les libertés publiques et individuelles au regard des
procédures déclenchées dans l’urgence et visant les manifestants qui ont, le 26 janvier
2019, exercé leurs droits à la liberté de penser, d’expression et de manifestation,
garantis par la constitution du Cameroun.
2. Sur les entraves aux droits de la défense reconnus à toute personne humaine.
3. Sur les obstacles à l’exercice de la profession d’avocat
RAPPEL DES FAITS :
Le 26 janvier 2019, après l’avoir annoncé plusieurs jours avant dans les réseaux sociaux et
après avoir essuyé l’interdiction systématique de plus de 100 autorités administratives en dépit
du respect par le parti de l’obligation de déclaration de la manifestation publique auprès
desdites autorités sur l’ensemble du territoire camerounais, le MRC a organisé une marche
pacifique dans différentes villes du Cameroun. L’objectif de cette manifestation dite « marche
blanche », également portée à la connaissance du public, des autorités policières et
administratives, était concentré sur trois messages rappelés tant dans les appels à la marche
que sur les banderoles et pancartes à savoir : non au hold-up électoral, non au hold-up de la
paix dans le NOSO, non au hold-up des fonds publics sous couvert de l’organisation de la CAN
2019.
Dans la ville de Dschang, alors que certains étaient tôt le matin du 26/01/2019 assignés à
demeure dans leurs domiciles et dans un hôtel de la place, plusieurs militants et manifestants
ont été interpellés et par la suite gardés à vue sur la base d’un arrêté du préfet de la Menoua
qui a ordonné une garde à vue administrative de 15 jours. Des témoignages recueillis auprès
de ces personnes, il ressort qu’elles ont fait l’objet de torture, entre autres des bastonnades
sauvages, des déversements de trombes d’eau sur elles dans les cellules avant d’être
incarcérées à la prison centrale de Dschang et non pas dans une unité de police s’agissant de
garde à vue. Dans la nuit du 28 janvier 2019, ces manifestants ou supposés tels ont été
déportés à Yaoundé et gardés à vue dans les locaux du Commandement Central du
Groupement Mobile d’Intervention (CCGMI) de Nkolfoulou non loin de la ville de Soa dans la
banlieue de Yaoundé. Il ressort des recoupements faits auprès de ces personnes, qu’elles ont
été privées de soins, de nutrition et d’hygiène (plusieurs femmes subissant l’humiliation de ne
pouvoir disposer de serviettes hygiéniques). Toutes ces personnes dorment à même le sol et
cohabitent avec les moustiques et autres bestioles.
Dans la ville de Bafang, 07 militants et/ou manifestants ont été arrêtés et gardés à vue au
Commissariat de sécurité publique de ladite ville sans aucun bon de garde à vue. Par la suite,
ils ont été déposés à la prison où ils ont poursuivi leur garde à vue (administrative de 72h) sur
la base de l’arrêté préfectoral n°018/AP/F.33/SAAJP du 26 janvier 2019 manifestement
antidaté. Il est à noter le cas particulier de Me GALIEMBOU Alphonse (Avocat) qui, après avoir
assisté à l’audition de ses clients, s’est vu interpellé au même titre que ces derniers et mis en
garde à vue. Cette situation spécifique fait craindre pour la liberté de l’exercice professionnel
de l’avocat. Dans la nuit du 28 janvier 2019, les gardés à vue ont été déportés à Yaoundé et
déposés dans les locaux du CCGMI (Commandement Central du GMI) à Soa où ils sont
également privés de soins, de nutrition et d’hygiène.
Dans la ville de Bafoussam, environ 37 militants et/ou supposés manifestants ont été
interpellés et par la suite gardés à vue sur la base d’un ordre du Procureur de la République. Il
est à signaler le cas particulier de Me TASSA André Marie, Avocat, qui a été interpellé bien
avant la marche blanche alors qu’il s’apprêtait à monter dans sa voiture à la demande des
policiers qui refusaient tout attroupement. Dans la nuit du 28 janvier 2019, les interpellés ont
également été déportés à Yaoundé et gardés à vue dans les locaux du CCGMI à Soa où ils
subissent le même sort que ceux venant de Dschang et de Bafang.
S’agissant du cas du Professeur Maurice KAMTO et de ceux avec qui il a été interpellé à Douala
le 28 janvier 2019, au domicile de monsieur Albert DZONGANG. Au moment de leur arrestation
vers 19h30, la police leur a présenté pour tout document un mandat de perquisition signé de
monsieur le Procureur de la République près le Tribunal de Première Instance de Douala
NDOKOTI. Ledit mandat de perquisition contiendrait curieusement les noms des personnes
suivantes : KAMTO Maurice, PENDA EKOKA Christian et Albert DZONGANG. Une fois
interpellés avec près de 80 autres personnes trouvées sur les lieux, à l’extérieur et à l’intérieur
de ce domicile privé, ils ont été privés de leurs téléphones portables, puis conduit, dûment
menottés à la Police Judiciaire du Littoral (et non pas au magistrat signataire du fameux
mandat de perquisition), avant d’être embarqués à minuit dans un bus qui prendra la direction
de Yaoundé vers 02h du matin avec interdiction aux passagers de pouvoir assouvir quelque
besoin naturel que ce soit. Précisons que le Pr KAMTO a voyagé menotté, occupant avec
monsieur PENDA EKOKA, une minuscule banquette réservée pour une personne. Une fois à
Yaoundé, le Pr KAMTO et ses compagnons de voyage ont été conduits au GSO (Groupement
Spécial d’Opérations) où ils sont toujours privés de liberté sans notification de quelque acte
que ce soit justifiant une garde à vue ou une détention dans un lieu comme le GSO qui n’est
pas une unité de police judiciaire. Ce n’est que le 30 janvier 2019, après des recherches
infructueuses et des obstructions de la police, que les avocats constitués ont pu avoir accès
aussi bien au Prof. KAMTO qu’à quelques personnes gardées depuis le 26/01/2019.
Monsieur PENDA EKOKA quant à lui est gardé à vue au SED (Secrétariat d’Etat à la Défense,
c’est la gendarmerie nationale du Cameroun) avec certaines personnes, à l’instar de messieurs
DJAMEN Célestin et NGANKAM Pierre Gaétan qui ont été enlevés de leurs lits d’hôpital alors
qu’ils se faisaient soigner des blessures graves consécutives aux tirs par balles des forces de
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maintien de l’ordre, lors de l’amorce de la marche blanche du 26 janvier 2019 à Douala. En
dehors de Monsieur PENDA EKOKA qui a pu être assisté d’un avocat lors de son audition, tous
les autres gardés à vue au SED n’ont pas pu bénéficier du droit à un avocat et bien plus ils sont
en situation d’isolement total dès lors que la gendarmerie interdit tout accès, même aux
avocats, à ce lieu qui relève du reste du statut de prison secondaire. Précisons que toutes ces
personnes sont privées de soins médicaux malgré l’état de santé alarmant de plus d’un, et de
visites familiales.
En date du 30 janvier 2019, le préfet du Mfoundi a pris l’arrêté n°115 portant garde à vue
administrative des quelques 180 personnes détenues au CCGMI, au GSO et au SED.
Naturellement, certains des interpellés ont refusé de signer le procès-verbal de notification de
l’arrêté de garde à vue administrative si une copie de cet acte privatif de liberté ne leur est pas
laissé.
Les interpellés ont été interrogés sur les charges suivantes : insurrection, attroupement,
rébellion en groupe, trouble à l’ordre public, hostilité contre la patrie, association de
malfaiteurs, incitation à l’insurrection, complicité.
Dans la ville de Yaoundé et le 26 janvier 2019, 17 (dix-sept) manifestants ou présumés
manifestants ont été arrêtés et conduits au Commissariat Central n°1 de la ville, au rang
desquels, messieurs Paul Eric KINGUE et ABE ABE Gaston dit Valsero. Ces deux leaders
d’opinion ont été transférés au GSO alors que les autres ont fait l’objet de 12 mandats de
détention provisoire à la prison centrale de Kondengui à Yaoundé en date du 31 janvier 2019.
Ces personnes ont comparu à l’audience des flagrants délits du 1 er février 2019 avant que la
cause ne soit renvoyée au 15/02/2019 malgré la présence des avocats et la déclaration des
prévenus ayant dit être prêts à se défendre. Ils sont poursuivis pour attroupement, rébellion
en groupe et manifestation illégale.
En date du 28 janvier 2019, alors qu’il se démenait à retrouver le leader de son parti déporté à
Yaoundé, le Professeur Alain FOGUE TEDOM a été gentiment invité à se présenter au
commissariat central n°3 où il sera placé en garde à vue sans aucune notification d’acte avant
d’être transféré au GSO où il a entamé une grève de la faim en compagnie de plusieurs autres
détenus.
En ce qui concerne messieurs Paul Eric KINGUE (ancien Directeur de campagne de KAMTO
Maurice) et ABE ABE (dit Valsero, leader d’opinion), il n’est pas inutile d’indiquer que le 1 er a
été arrêté devant le supermarché DOVV le 26 janvier 2019 avant le début de la marche
blanche et à plus de 02 km du lieu de la manifestation alors que le 2 nd n’a pas pris part à la
marche.
Deux autres manifestants de Yaoundé ont fait l’objet d’un mandat de détention provisoire en
date du 04 février 2019 et séjournent depuis lors à la prison centrale de Kondengui où ils ont
rejoint les 12 premiers. Appelées à l’audience des flagrants délits du 05 février 2019, leurs
affaires ont été également renvoyées au 15 février 2019.
Madame NGALEU METOUMOU Natacha, arrêtée également le 26 janvier 2019, est gardée à
vue depuis cette date au Commissariat Central n°1 de Yaoundé et attend son déferrement au
Parquet du Tribunal de Première Instance de Yaoundé Centre Administratif après avoir subi
plusieurs navettes entre ledit parquet et le Commissariat Central n°1.
Un enseignant arrêté en pleine surveillance des examens le 30 janvier 2019 à l’université de
Yaoundé Soa a été conduit au SED où il est gardé à vue depuis lors.
CONSTATATIONS :
– Aucune casse d’un édifice public ou privé n’a été déplorée avant, pendant ou après la
marche ;
– Aucune menace ou atteinte à l’intégrité physique des éléments des forces de maintien
de l’ordre n’a été relevée à ce jour ;
– Des assauts policiers déraisonnables sur des personnes ne représentant aucun danger
pour qui que ce soit ;
– Détournement de l’objet d’un mandat de perquisition ayant conduit à l’arrestation de
Monsieur Maurice KAMTO et cie, transformant des êtres humains en élément de
preuve ;
– Des arrestations suivies de déportations des personnes hors de leurs lieux de résidence,
sans réquisitions écrites ni ordres valables ;
– Des gardes à vue sans notification régulière de bon de garde à vue ;
– Des transformations de gardes à vue judiciaires en gardes à vue administratives
ordonnées par le Préfet ;
– Des gardes à vue administratives ordonnées par le Préfet du Mfoundi pour des
personnes arrêtées hors de Yaoundé et détenues hors de Yaoundé ;
– Des gardes à vue longues et éprouvantes ;
– Dissimulation aux avocats et aux familles des lieux de détention ;
– Des détentions au secret, sans renseignements sur l’identité des gardés à vue et sur les
lieux d’internement (ex. SED, GSO) ;
– Des auditions sous menaces, même de nuit, avec tromperie et usage de la ruse
notamment la promesse d’être libérées si les personnes arrêtées acceptent d’être
entendues sans l’assistance d’un avocat :
– Internement dans des unités non appropriées, infestées de souris, le code de procédure
pénale prévoyant que la garde à vue s’effectue dans un local décent de police judiciaire ;
– Embastillement dans un camp militaire (SED), du reste sans ordre d’incarcération
valable avec un mélange avec les condamnés à des peines d’emprisonnement de
l’Opération épervier ;
– Privation de tout contact avec le monde extérieur (SED) en violation des prescriptions
des règles 7, 58 et 61 du Mandela Rules Résolution 70/175de l’Assemblée Générale de
l’ONU du 17 Décembre 2015 ;
– Solutionnements tardifs des cas des déferrés dans les Parquets (ex. le 04/02/2019 à
23h) ;
– Traduction par voie de flagrance devant les juridictions correctionnelles après des
gardes à vue éprouvantes et anormalement longues, achevées par un mandat de
détention provisoire de Monsieur le Procureur de la République ;
– Renvoi du jugement contre l’avis de la défense et celui des prévenus désirant être jugés
sur le champ conformément à la loi ;
– Le renversement de la charge de la preuve en ce que la police judiciaire ne démontre
pas en quoi les faits allégués sont imputables à la personne entendue ;
– L’obsession des enquêteurs à vouloir absolument établir un lien imaginaire entre les
personnes arrêtées et les casses dans les représentations diplomatiques du Cameroun à
Paris et Berlin ;
– Des campagnes médiatiques de dénigrement entretenues faisant peser sur les
personnes arrêtées une forte présomption de culpabilité pour des charges non avérées ;
– Certains (les blessés par balles réelles des policiers, au nombre de cinq : Célestin
NJAMEN, Pierre Gaétan NGANKAM, Team Guy Laurent KOUAM, Adèle GUIMETSOP) ont
été enlevés de leurs lits d’hôpital à Douala avant d’être déportés à Yaoundé,
abandonnés sans soins appropriés et se sont vus refusé (malgré notre demande) leur
transfèrement dans les hôpitaux civils en violation des prescriptions de la règle 27 du
Mandela Rules Résolution 70/175 de l’Assemblée Générale de l’ONU du 17 Décembre
2015 ;
– Me GALIEMBOU Alphonse, Avocat basé à Douala, en plein exercice professionnel au
sein du commissariat de sécurité publique de Bafang, a été interpellé et mis aux arrêts
passant ainsi de conseil à suspect :
– Me André Marie TASSA, un autre Avocat, avec résidence professionnelle à Bafoussam,
alors qu’il était en compagnie de trois de ses amis a été interpellé avant même le début
de la « marche blanche », a laquelle il n’a pas participé ;
CONCLUSIONS
NOUS,
AVOCATS SIGNATAIRES
Décrions les dérives et abus ci-dessus énumérés, lesquels :
– Portent gravement atteinte aux libertés et droits fondamentaux, des personnes arrêtées,
garantis tant par la constitution que par les instruments juridiques internationaux dûment
ratifiés par le Cameroun ;
– Entravent le libre exercice de la profession d’avocat ;
– Participent d’une reculade regrettable de l’état de droit ;
– Augurent d’un procès inéquitable .
LISTE DES AVOCATS SIGNATAIRES
Me SIMH Emmanuel, Me SOUOP Sylvain, Me MELI TIAKOUANG Hyppolite, Me MBOPDA
NOUMEDEM Léopold, Me KAMKUI Théodore, Me TCHUDJO Christophe, Me TENE NZOHOUA Martin,
Me KONTCHOU Gabriel, Me TEMATE Yves Jener, Me FANTE Reeta, Me TCHALE Michel, Me
WOUPALA Jean Marie, Me ZOMISSI Gautier, Me CHENDJOU Serges, Me KOUOKAM Henri, Me
MOUKAM Laurent, Me MENKEM Sother, Me NOUGANG Guy Ano, Me DJODO