Selon les organisateurs, des centaines de personnes ont été arrêtées lors de manifestations appelant au départ du président Paul Biya.
D’un côté, des gendarmes et des policiers anti-émeutes, lourdement armés. De l’autre, des dizaines d’hommes et de femmes, brandissant pour certains des drapeaux vert-rouge-jaune, les couleurs nationales, et qui marchent en chantant : « Libérez ! Libérez le Cameroun ! » Ce mardi 22 septembre, au lieu-dit Ancien-Chococam, à Douala, la scène ne dure qu’une poignée de minutes avant que les forces de l’ordre ne dispersent la foule à coups de gaz lacrymogène et de canons à eau. Les manifestants sont molestés et embarqués de force à bord des pick-up de la police et de la gendarmerie. Sur un véhicule, certains sont rappelés à l’ordre à coups de matraques.
Au carrefour Ndokoti ou au quartier Grand-Moulin, toujours à Douala, des journalistes et des témoins ont rapporté les mêmes scènes. Des dizaines de manifestants, parfois des centaines, ont scandé des refrains appelant au départ du président Paul Biya, au pouvoir depuis 1982. Ces hommes et femmes sont venus participer à des « marches pacifiques », répondant à l’appel lancé par sept partis d’opposition, dont le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), de Maurice Kamto, principal opposant au régime. D’après Joseph Ateba, secrétaire national à la communication du MRC, des centaines de personnes, dont le porte-parole de Maurice Kamto, ont été interpellées à travers le pays. Certaines ont été blessées et « au moins une personne est morte », affirme-t-il : « Pour l’instant, nous faisons encore des recoupements. »Lire aussi Cameroun : trois opposants arrêtés pendant des distributions de masques et de gel
A Bafang (ouest), entre 200 et 300 marcheurs munis d’arbres de la paix ont investi les rues, d’après le décompte de Bernard Ngako, un responsable local du MRC. Gazés comme à Douala, des dizaines d’habitants ont été interpellés. Par solidarité, les autres se sont rués au commissariat pour exiger – avec succès – leur libération. « Nous manifestons pacifiquement, insiste Bernard Ngako. Nous ne luttons pas pour nous mais pour tout le Cameroun, pour le peuple. Nous n’avons pas peur et nous sommes prêts à recommencer. »
Des menaces gouvernementales à peine voilées
Cependant, dans certaines villes et dans certains quartiers de Douala et Yaoundé, le fort dispositif sécuritaire et les menaces gouvernementales à peine voilées semblent avoir découragé la mobilisation. Depuis l’annonce de ces marches, les autorités ont multiplié les communiqués. Le porte-parole du gouvernement, René Emmanuel Sadi, a ainsi exhorté les Camerounais à « rester sourds aux appels à l’insurrection, irréfléchis et insensés, à faire échec, comme de coutume, aux manœuvres déstabilisatrices d’où qu’elles viennent ». Et Paul Atanga Nji, le ministre de l’administration territoriale, a averti : « Aucun écart de comportement ne sera toléré de quelque parti que ce soit et de qui que ce soit. »
Déjà, vendredi, quatre membres de Stand up for Cameroon, une plateforme de partis d’opposition et de la société civile qui organise depuis 2016 les « vendredis en noir » pour protester contre la mauvaise gouvernance et exiger le départ de Paul Biya, ont été arrêtés « dans la rue », à la grande surprise des responsables. Cinq jours plus tôt, Edith Kah Walla, initiatrice de la plateforme et présidente du Cameroon People’s Party (CPP), avait rencontré Maurice Kamto. Les photos de la rencontre avaient été abondamment partagées sur les réseaux sociaux.Lire aussi Au Cameroun, le gouvernement veut l’arrêt d’une collecte de fonds contre le virus lancée par l’opposant Kamto
Ces militants ont été « brutalement interpellés, entendus à la gendarmerie et inculpés au tribunal militaire sans assistance de leur conseil », pour des infractions « fantaisistes de révolution, insurrection, tentative de conspiration », s’étrangle Thierry Njifen, l’un de leurs avocats, pour qui l’objectif est d’« intimider tous les citoyens ». Les quatre membres de Stand up for Cameroon ont été placés sous mandat de détention provisoire à la prison centrale de New Bell, à Douala, selon l’avocat.
Les journalistes particulièrement ciblés
Dans ce climat de tensions, la bouillante capitale économique avait mardides allures de ville morte : Douala est restée figée tout le jour. De nombreuses rues étaient vides et des boutiques sont restées fermées. « J’aimerais bien descendre dans la rue car je souffre. Je ne parviens pas à manger à ma faim ni à prendre soin de ma famille. Mais il y a des risques d’être arrêté, torturé et même tué. Ça dissuade et j’ai peur », avoue Bertrand, un conducteur de moto-taxi.
Des journalistes qui ont couvert les manifestations ont été particulièrement ciblés. Au moins cinq d’entre eux ont été interpellés. Polycarpe Essomba, le correspondant de Radio France internationale (RFI) à Yaoundé, « a reçu plusieurs coups de matraque, plusieurs coups de pied et a été emmené dans un commissariat, où il a été retenu pendant plus de deux heures avant d’être relâché », s’est insurgé le média dans un communiqué. Rodrigue Ngassi, le cameraman de la télévision privée Equinoxe, a été lourdement maltraité et a dû se rendre à l’hôpital pour des soins, selon son employeur. Le journaliste Jarvis Tah Mai et son cameraman Christian Tebong, employés de Media Prime TV, ont été arrêtés alors qu’ils couvraient la manifestation à Douala et sont toujours détenus. Tout comme Lindovi Ndjio, journaliste à La Nouvelle Expression, l’un des principaux quotidiens privés du pays : conduit au commissariat central de Yaoundé, il n’a toujours pas été libéré, selon son avocat.
Les organisateurs annoncent de nombreuses marches et actions jusqu’au 6 décembre, date fixée pour la tenue des premières élections régionales du Cameroun, et au-delà. Mardi, Maurice Kamto n’a pas été aperçu dans la rue. D’après Joseph Ateba, son domicile est « en état de siège », entouré de « chars » et des forces de sécurité.
Josiane Kouagheu (Douala, correspondante Le Monde)