Republié avec l’autorisation de l’auteur.

Fahrenheit 451 au Cameroun

Après le meurtre d’Etat du journaliste Martinez Zogo, on aurait pu croire que le zèle de la dictature Biya se ferait plus discret. Bien au contraire, c’est maintenant des livres qui sont saisis par la police ! 2 ouvrages des éditions Teham viennent d’être interdits : La révolte anglophone, de Patrice Nganang et Amadou Vamoulké – Lettres à la France depuis Kondengui, écrit par mes soins !

 Imprimer

Au Cameroun, les prisonniers politiques, les opposants anglophones et les journalistes camerounais sont chaque jour davantage menacés. La terreur règne depuis l’assassinat du journaliste Martinez Zogo. Directeur opérationnel du renseignement, ministre de la justice, ministre des finances, riche homme d’affaires sulfureux ayant son rond de serviette au Palais d’Etoudi : tout ce petit monde est impliqué dans ce crime crapuleux. Autant dire que ceux qui font tenir la dictature autour de leur chef Paul Biya assassinent publiquement, à dessein. Du terrorisme. S’il prenait envie à quelques opposants de s’opposer, le message est clair. Vivre ou mourir.

Mais ça ne suffit pas !

Depuis plusieurs années maintenant, le responsable de Teham Éditions travaille avec une entreprise de distribution qui se charge de la vente de ses livres au Cameroun. Il envoie des colis de livres régulièrement en fonction des besoins et des demandes.

Le 26 février, deux colis à destination de la distribution sont arrivés au Cameroun. Une activité normale, régulière. La semaine du 27 février, en attente de la réception du colis, la distributrice a reçu une convocation du commissariat de police de Bonanjo (Douala 1er). Elle s’y est rendu le vendredi 3 mars matin et a subi un interrogatoire toute la matinée par deux commissaire et deux inspecteurs de police. L’interrogatoire portait principalement sur le contenu des livres, ses relations avec l’éditeur, est-ce qu’elle partageait les idées qui traversent les livres… Ils l’ont également interrogé sur Patrice Nganang avec les mêmes questions. Est-ce qu’elle le connaissait, est-ce qu’elle partageait ses idées… Ils lui ont ensuite demandé le contenu du colis qu’elle avait reçu pendant qu’elle se trouvait au commissariat. Elle a indiqué la liste des livres qui était dans les colis après quoi ils l’ont escortée jusqu’à ses bureaux et ont saisi tous les exemplaires des deux livres suivants :

– La révolte anglophone (30 exemplaires)

– Amadou Vamoulke, lettre à la France depuis Kondengui (15 exemplaires)

(si on pouvait sourire de la situation, je soulignerais volontiers que Patrice Nganang est 2 fois plus populaire que moi au Cameroun)

Le directeur de Teham Editions a rendu public ce message : 

“Le livre ‘La révolte anglophone’ de Patrice Nganang dont je suis l’éditeur ainsi que le livre soutien à Amadou Vamoulké, aujourd’hui détenu à la prison centrale de Yaoundé Kondengui, et écrit par le député français Sébastien Nadot ont  été saisis à Douala le vendredi 3 mars 2023. Notre partenaire a été convoqué et interrogé par deux commissaires et deux inspecteurs de polices pendant toute la matinée du vendredi.  La police s’est ensuite déplacée en convoi dans ses bureaux pour saisir les livres avec une tentative d’intimidation d’apologie de terrorisme.  La police a quitté ses locaux autour de 15h en emportant les stocks de ces deux titres. Il s’agit de la deuxième fois que ça se produit pour le livre ‘La révolte anglophone’. La première a eu lieu à Yaoundé en 2018 avec un autre partenaire. A ce jour les livres saisis n’ont jamais été restitués. Le livre ‘La révolte anglophone’ a été publié quelques semaines après la sortie de prison de Patrice Nganang. Il s’agissait pour moi de mettre à la disposition du public francophone un outil de compréhension de la guerre civile en cours. L’objectif n’a pas changé. Il est évident qu’ils ne peuvent pas nous imposer l’ignorance. Les livres continueront d’être disponible au Cameroun.”

Pourquoi saisir en particulier ces deux livres ?

Probablement parce qu’ils révèlent la faillite totale d’un système et surtout qu’ils rappellent l’incapacité des dirigeants camerounais à régler les problèmes, à faire justice, bref à être humains.

Ni le séparatisme anglophone, ni l’emprisonnement injustifié d’Amadou Vamoulké n’ont connu la moindre volonté politique d’aller de l’avant. 

La lâcheté de la clique camerounaise est entendue. On sait désormais qu’ils n’ont même pas le courage de regarder ce qu’ils sont. (on les comprends). En quelques sortes, c’est : hors de ma vue livres miroirs de ma monstruosité!

Ces gens ne comprennent vraiment pas le monde où ils sont, démasqués totalement sur les réseaux sociaux. La force et la violence comme seule outil de rapport aux autres. D’ailleurs, tous les gens brillants sont leur cible, eux qui n’ont qu’un cerveau reptilien pour fonctionner. Les vieilles méthodes ont la vie dure. On censurait les livre en RDA ? Qu’on censure des livres au Cameroun !

En attendant Godot…

Pour mémoire, Amadou Vamoulké est en prison pour des motifs obscurs. Le groupe de la détention arbitraire des Nations-Unies, après examen approfondi de sa situation, a réclamé sa libération immédiate au Président de la République du Cameroun. Il croupît toujours en prison. Une forme de sadisme d’Etat… On ne manquera pas de relever que le ministre des finances et le ministre de la justice ainsi qu’un certain monsieur Belinga sont les artisans de l’emprisonnement de Vamoulké. Curieux mélange quand on apprend qui est impliqué dans la torture puis l’assassinat de Martinez Zogo…

J’ai écrit ce livre relatif à mes échanges avec Amadou Vamoulké en 2019. Je ne touche aucun droit sur les ventes (j’étais député au moment de la parution et mon activité politique ne devait pas, selon moi, se superposer avec une rente littéraire tirée de mon mandat parlementaire, aussi modeste soit-elle).

Amadou Vamoulké – Lettres à la France depuis Kondengui, ça commence comme ça :

« La première fois que j’ai réellement rencontré Amadou Vamoulké, c’était ainsi, au bout de mes deux pouces. Après réception de son mail, je lui transmis un long sms pour faire contact. Lui demander de ses nouvelles. Comprendre un peu… »

Illustration 1
© Sébastien Nadot

Amadou Vamoulké, ancien directeur général de la Cameroon Radio Télévision (CRTV) est détenu à la prison centrale de Kondengui depuis le 29 juillet 2016. Il est accusé de détournement de fonds publics dans un procès où la justice est instrumentalisée à des fins politiques.

Sur son chemin de lutte contre les violations des droits humains, Sébastien Nadot, alors député, prend connaissance de sa situation, multiplie les échanges avec Amadou Vamoulké et décide de faire entendre la voix embastillée du brillant journaliste.

Ce livre fraternel est une conversation née de la volonté d’écoute d’un élu de la République française, l’oreille attentive à la condition d’un homme pris dans l’étau du « théâtre camerounais ».

Il dit à toutes les victimes de la dictature : tenez bon ! Le soleil apparaît lentement à l’horizon, sublime peu à peu les bonnes âmes de la montagne et éblouit les ténèbres de la jungle.

Après 7 années d’injuste privation de liberté et plus de 100 reports d’audience pour charges d’accusation insuffisantes et absence de témoins, c’est en homme digne et pacifique qu’il fait face à la tragédie camerounaise et à la tyrannie du régime de Paul Biya, désormais accusé de génocide sur une partie de sa population.

Ici : Le site de Teham Editions

C’est très libre et sans arrière pensée pécuniaire que j’invite les amoureux de la liberté, ceux qui aimeraient voir un autre Cameroun advenir, de se procurer le livre. Teham Editions vous proposera d’autres ouvrages, romans, essais, musique, poésie, fables… parmi lesquels de véritables pépites… 

Sébastien NADOT, ancien député français et auteur

Related Posts