Apres une cinquantaine d’années de vie commune, Mgr Albert Ndongmo s’est éteint dans un silence boudeur. Né le 26 septembre 1926 à Bafou, il est décédé le 29 mai 1992 à Québec (Canada), où il vivait en exil depuis sa sortie de prison en 1975. La voix de Mgr Thomas Nkuissi, successeur d’Albert dans ce diocèse de larmes et de sang résonne encore sur les hauteurs de la cathédrale de la petite ville de Nkongsamba ou ont eu lieu les obsèques du prélat:
« Nous sommes nombreux à avoir collaboré à la mort de Monseigneur Ndongmo, mais nous n’en avons pas conscience, nous refusons d’en prendre conscience.
Nous sommes coupables de la mort de tous ces hommes et de toutes ces femmes, mais nous ne savons pas ce que nous faisons pour qu’ils meurent. Pitié Seigneur pour ceux qui meurent et pour ceux qui font mourir et qui vont mourir. »
Comme Albert au Canada, son successeur Mgr Thomas Nkuissi mourra aussi en exil plus tard. Nommé le 15 novembre 1978 à la suite d’Albert, il est démissionné par le Saint Siège le 21 novembre 1992 pour s’être dressé contre la promotion des missionnaires occidentaux en terre africaine au détriment des nationaux.
Mgr Nkuissi mourra après une longue errance. Au lendemain de son départ de Nkongsamba, il est recueilli au Diocèse d’Obala par Mgr Owono Minboe. Au courant de l’année 1993, c’est Mgr Ama du diocèse d’Ebolowa qui l’héberge ; puis peu de temps après il revient à Nkongsamba pour les obsèques de son petit frère l’abbé Bernard Nkuissi qui fut aussi son collaborateur dans l’administration diocésaine. On lui trouve une résidence provisoire à Melong II, mais cela ne va pas se faire sans créer des violentes tensions. L’évêque est de nouveau expulsé sous décret express du Nonce apostolique.
Prélat sans domicile fixe, il reprend la route de l’exil cette fois ci pour Douala où il est accueilli en famille ; fait l’acquisition personnelle d’un logement à la cité sic Maképé et y réside jusqu’au retour d’exil 18 ans plus tard pour Nkongsamba ou il s’est éteint.
Ndongmo et Nkuissi, deuxième et troisième évêque de Nkongsamba ont fait leur classe à Nkongsamba. Mais ils n’étaient pas spécialement amis. A l’école et au séminaire, Albert était le premier en tout, premier dans toutes les matières, premier dans l’usage de ses doigts : coiffeur des pères et des séminaristes, ce qui irritait Nkuissi mais leurs relations étaient mystérieuse, ni hostilité, ni familiarité…
Au séminaire, Albert n’avait jamais su comment s’y prendre avec Thomas qui était au même rang de l’excellence que lui en classe. Albert, malgré la haute intelligence qu’on lui reconnaissait, ne l’avait jamais surpassé au grand séminaire. A cause de certains faveurs (comme la grande proximité entre le papa de Thomas et Mgr Bouque premier évêque de Nkongsamba), Thomas a pu poursuivre des études universitaires jusqu’au doctorat en droit canon. Albert, bien que brillant, mais frondeur permanent n’avait pas été encouragé à avoir le Bac. Mais grâce à ses qualités il était devenu Evêque.
Evêque, Mgr Ndongmo s’est illustré comme un grand innovateur. Malgré la violente confrontation entre les forces gouvernementales et les maquisards de l’UPC qui avaient installé leur base arrière dans son diocèse, il cherchait vaille que vaille à faire sortir le diocèse du sous-développement. Thomas le chancelier, était le proche collaborateur de l’Evêque, par contre, il ne fut jamais son familier. Il ne s’entretenait que des problèmes de l’Eglise. Sur ces problèmes leurs points de vue ne concordaient pas toujours. Mais les deux hommes se respectaient.
C’est en Juillet 1964 qu’Albert Ndongmo est nommé Evêque de Nkongsamba. Mais, écrira plus tard Thomas, « le nouvel Evêque de Nkongsamba ambitionnait de ravir l’hégémonie de l’épiscopat à son rival de Yaoundé. Il pensait à haute voix, et, parfois, prenait ses rêves pour des réalités.
A côté de ses ambitions, il entretenait dans le secret des relations soutenues avec les dirigeants du Maquis. Les relations ne pouvaient plus se cacher, en tout cas pas se justifier»
Ahidjo ne voulait pas d’une affaire Ndongmo. Il disait : « Je ne veux pas avoir des problèmes avec votre Eglise, je suis depuis des années les agissements de Mgr Ndongmo avec l’U.P.C et les maquisards. Il est entrain de manœuvrer pour faire sortir les chefs du territoire. Ouandié est déjà dans le Moungo; je vais faire arrêter Mgr Ndongmo. Pour éviter cela, je vous demande de le faire sortir du pays».
Selon Mgr Nkuissi, « Les Evêques étaient d’accord pour que l’Evêque de Nkongsamba s’éloigne pour un temps, mais lui, n’était pas de cet avis. Il justifiait son action par un mandat qu’il avait, disait-il reçu du Président Ahidjo. Le Prononce le soutenait. Quand les autorités accordèrent le visa de sortie à l’Evêque de Nkongsamba pour se rendre à Rome, elles étaient convaincues que la crise était évitée. Mais contre toute attente, l’évêque rentrera au Cameroun prendre part au débat qui s’était ouvert après l’arrestation d’Ernest Ouandié et des autres. »
Thomas Nkuissi ? Un pasteur têtu comme une mule depuis le berceau, et dont personne n’a cru qu’il tiendrait quelques mois au séminaire. Selon un témoignage, à son entrée au petit séminaire sa mère lui avait dit : « Tu es têtu comme ça, et tu dis que tu veux aller au séminaire comment ? Déjà à l’école tu avais toujours des problèmes à cause de ta bouche. Quelqu’un ne peut pas parler sans que tu parles, jusqu’ ‘aux Blancs. Les Blancs ne veulent pas ça. Tu crois que quand nous disons “Oui, mon Père ”, c’est parce qu’on est d’accord ? Le Blanc veut que le Noir dise comme ça. »
Né à Baressoumtou le 07 juillet 1928, d’Alphonse Nkuissi et de Joséphine Monté, on l’appelait Thomas Djankou à l’école, il est devenu Thomas Nkuissi après le baptême. Si Ndongmo paraissait fasciné par les qualités des Blancs entièrement livré à l’acculturation, Nkuissi par contre alors évêque se révélera passionné par les potentialités des noirs, et se battait pour l’inculturation. Ce qui lui valait l’inimitié féroce des missionnaires blancs qui voulaient se débarrasser de lui.
Nkuissi trouvait qu’il y avait dans le diocèse assez de garçons pour être prêtres, assez de filles pour être religieuses, et assez d’argent pour vivre.
Au séminaire déjà, on le soupçonnait d’anticléricalisme. Directeur diocésain il avait arraché l’enseignement des mains du clergé pour le confier aux laïcs. Evêque, il avait nommé un laïc Directeur Diocésain.
De son exil, Mgr Ndongmo était revenu dans le diocèse deux fois. La première à l’occasion de la visite du Pape. Il reçut un accueil triomphal à la Cathédrale.
La deuxième visite fut une surprise. Les deux fois il résida à l’évêché, où il recevait librement ses visiteurs. Une villa, achetée après lui, attendait au cas où il reviendrait définitivement. Il reviendra, mais dans un corbillard…
L’arrivée du corps fut mouvementée. La Délégation de Nkongsamba dut se battre contre celle de Douala, mais surtout contre la foule des partis politiques, pour arracher le cercueil et le conduire dans le Moungo. Mgr Ndongmo entra une dernière fois dans son évêché pour une messe. Dans l’homélie, le successeur renvoya dos à dos le gouvernement et l’opposition de 1970, « qui abusèrent de la naïveté de Mgr Ndongmo, en se servant de lui, les uns comme un paravent, les autres comme un moulin à vent ».
Alors le Prononce vint à l’évêché voir Thomas. Il parla de la démission, l’Evêque savait et était prêt ; il demanda une feuille blanche et signa. Nkuissi quitta l’évêché de Nkongsamba le premier Janvier 1993 accompagné d’une religieuse. En chemin, la nuit commençait à tomber sur Bangangté. A Bafia tout le monde dormait dans la voiture.
Ezéchiel l’avait mimé autrefois: « …dans l’obscurité, Thomas allait en exil… »
Edouard Kingue