(émission & texte)
Nous sommes au Cameroun en cette année mil neuf cent cinquante-sept qui s’achève. Les indépendances africaines pointent à l’horizon. Un jeune camerounais alors âgé de huit ans, passe un paisible séjour dans un village des Grass Fields à l’Ouest du pays. Depuis trois ans, le père envoie régulièrement son fils unique pour passer les vacances scolaires chez ses grands-parents. L’adolescent savoure insouciant, l’amour profond de sa grand-mère et profite de la liberté que lui procurent les grands espaces de plantations qui bordent l’immense domaine de son grand père, le chef du village.
La guerre de libération qui déchire le pays va brutalement frapper à leur porte. Le village est rasé au napalm, grand père est enlevé et Ma’a, la grand-mère déchiquetée par les bombes qui pleuvent du ciel.
Recueilli par les résistants, l’adolescent est enrôlé dans les troupes du commandant Dissakè, général d’armée du « Kamerun libre sous maquis » qui sévit dans la région. Il sera formé à l’art du combat clandestin et partagera la douleur de l’adorable petite Mina dont le père aussi a été déporté et la mère violée.
Trainé de prison en prison, notre héros échoue à Bourra, un camp de redressement pour jeunes rebelles. Il est libéré à la faveur d’un décret d’amnistie signé par le président de la nouvelle République, la veille du jour de l’indépendance du Cameroun.
Quand le train en provenance de Bourra déverse les amnistiés sur l’esplanade la gare de Yaoundé, notre héros perdu dans cette ville qu’il ne connait pas, est interpellé par un gendarme camerounais en faction sur le parvis de la gare et qui contrôle les papiers d’identité des arrivants.
Après avoir épelé syllabe après syllabe le nom de l’ex détenu, le soldat camerounais, subitement énervé lui crie : Fils de maquisards ! Rentrez chez vous, espèce d’envahisseurs.
Cette phrase va hanter le malheureux garçon tout au long de son parcours d’homme « libre ». Rentrer chez lui, mais où donc ? Il est bien camerounais ! Et puis, le Cameroun est indépendant, résultat du combat de tous !
Le coq de l’indépendance avait chanté. On attendait le jour. La nuit de l’exclusion s’est installée.
L’élite administrative et politique nouvellement arrivée au pouvoir brille par sa voracité matérielle et sa vacuité morale. Pour assouvir ses appétits financiers, elle a institué comme mode de gouvernance, le règne de « l’assignation à résidence ». Assignation à résidence ethnique, politique, administrative, économique et sociale tout court. Elle a réussi à insuffler dans tout le corps social, le venin de la haine du frère et du rejet de l’autre. Le peuple majoritaire esclavagé et le pays étranglé par ses propres enfants suffoque et se déchire.