Cet expert camerounais en mines et pétrole dénonce une «convention minière minée». Pour l’enseignant de l’université de Cape Town (Afrique du sud), Sinsteel, au-delà du fer, va s’enrichir en exploitant de l’or, du chrome, du nickel, du cuivre, etc.
Le Cameroun n’a pas encore fini avec le litige relatif au projet de fer de Mballam, et voilà que le pays se retrouve dans un autre scandale : le fer de Lobe. Les chinois sont toujours au centre : simple coïncidence ? En fait, au début du mois de mai 2022, la nouvelle tombe comme un coup de tonnerre : le Cameroun à travers le ministère des Mines vient de signer une convention minière avec Sinosteel. Une compagnie chinoise beaucoup plus spécialisée dans la fabrication de l’Acier.
Quoi de grave en fait ? Tout à fait rien, car des investisseurs qui veulent développer notre première mine, il faut leur dérouler le tapis rouge (ministre des Mines) ; comme toujours, les Camerounais ont senti du louche dans cette histoire et la nouvelle s’est répandue aussitôt sur les réseaux sociaux. Comme il fallait s’y attendre, beaucoup ont dénoncé cette convention à l’instar de la société civile, des partis politiques et des leaders d’opinion tels que les honorables Jean Michel Nitcheu et Cabral Libii. Malheureusement, la sortie des deux députés sur un terrain qu’il maîtrise imparfaitement, leur a fait perdre des points là où ils pouvaient en gagner. Les politiciens plus intelligents comme le prof Kamto ont préféré garder le silence et ne pas s’aventurer en terrain inconnu.
En fait, le problème du Cameroun et son industrie minière est que nous n’avons pas au niveau du ministère des Mines ou bien de notre start up, la SONAMINES, des experts pouvant poser un avis contradictoire sur des projets miniers en développement au Cameroun. Ce pays n’est pas un pays minier, nous n’avons pas de mine en opération ; donc n’avons pas d’expertise dans les négociations des contrats miniers ni en développement des projets miniers ; pire, en matière de mise en évidence des gisements miniers et du calcul des réserves.
Connaissant les multinationales et leur mode de fonctionnement (j’ai eu la chance de travailler pour des multinationales minières à des postes de responsabilités). Elles ont toujours tendance à cacher les informations sur les gisements qu’elles découvrent et les Chinois sont des experts en tricherie minière.
Il y’a depuis trois semaines, des débats sur cette convention. Mais malheureusement jusqu’à ce jour, aucun expert en la matière n’a pris la parole. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de donner mon point de vue de technicien sur ce qu’on doit désormais appeler « Affaire du projet de fer de Lobe/Kribi ».
Jusqu’à quand les pays africains en général et le Cameroun en particulier vont-ils se laisser rouler dans la farine par les Chinois ??
C’est une malédiction?? Comment comprendre qu’au 21ème siècle, nos ministres continuent à brader nos ressources de cette manière?
Qui est sinosteel?
C’est une compagnie d’État chinois spécialisée dans la fabrication des aciers. Donc ils ont besoin des entrants tels que le fer, le chrome, le nickel etc., pour produire cet acier ; ils ont des JV sur des projets en Australie, en Afrique du Sud et un projet de fer Lobe/Kribi au Cameroun.
Sinosteel en principe n’est pas vraiment connu dans le monde minier comme certaines grandes compagnies. Ceci signifie que sa capacité technique à prospecter, explorer et exploiter un gisement minier reste à vérifier.
Pour ce qui concerne son projet de fer au Cameroun, à savoir celui de Lobe à Kribi, il faut déjà être clair : le gisement de fer de Lobe jusqu’à un avenir récent ne figuraient pas dans le listing des projets du fer au Cameroun qui sont :
1- le fer de Mballam
2- le fer de Nkout
3- le fer du Ntem
4- le fer de ngovayang
5- le fer de Mayo Binga
Sinosteel Cameroun déclare avoir découvert un gisement de fer à Kribi qui porte le nom de Lobe ; mais nous n’avons pas de certitude sur cette découverte : la somme déclarée par les Chinois sur l’exploration est minable ; 12 millions de dollars américains.
Pour que ce soit clair pour tous, nous devons comprendre que pour porter un projet minier jusqu’à l’exploitation, il faut franchir plusieurs étapes telles que
1- la prospection
2 – l’exploration
3- l’étude de pré faisabilité
4- l’étude de faisabilité
5- l’étude bancable
6-la recherche des partenaires financiers
7- le démarrage de la construction du projet
8- la mise en production du projet, etc
La liste est loin d’être exhaustive.
Les Chinois de sinosteel avancent des réserves prouvées de 650 millions de tonnes pour une teneur de 33 % de fer pouvant être enrichie à 60% ; selon les sources chinoises. Ces réserves ont été certifiées par leur Institut national de géologie.
Le ministre des mines camerounais, tout récemment dans une interview, déclare que les Chinois ont certifié les réserves dans un cabinet international reconnu mondialement. Mais ce qui est curieux, c’est qu’ il ne dévoile pas le nom du cabinet. Donc soit le ministre lui-même ne comprend rien de ce qu’il dit, soit il cache la vérité.
Pour avoir travaillé avec les Chinois au Gabon et en RDC, ils sont connus comme des spécialistes de la minimisation des réserves des gisements. Il faut donc toujours contre-expertiser leurs résultats. Il est plus qu’évident que les Chinois ont revu à la baisse les réserves de fer de Lobe.
Le plus inquiétant c’est que les Chinois ont délibérément caché le DSO (direct shipping ore) ; en langage technique, c’est cette partie du gisement prête à être exportée sans enrichissement avec une teneur en fer de plus 65% les hématites ; car ayant suivi une altération supergene (la partie supérieure du gisement) ; comment les Chinois ont pu faire croire aux spécialités du ministère qu’à Lobe, il n’y avait que de la roche saine ; les Itaberites?
C’est impossible, car la partie du gisement de fer qui est exposée aux intempéries, etc, s’enrichit tout naturellement grâce au processus d’altération.
Le plus gros scandale est le suivant … tout géologue qui a travaillé dans le complexe du Ntem et qui trouve sa continuité dans les pays comme le Gabon (gisement de fer de Belinga) dans le Congo (gisement de fer d’Avima) sait que nous avons toujours à faire à des gisements polymétalliques. En langage simple, ça veut dire qu’en dehors du fer il doit nécessairement y avoir d’autres substances telles que :
1- l’Or
2-le Cuivre
3-le Chrome
4- le nickel
5- etc….
Que les Chinois nous disent où sont passées ces substances. Ils ont caché ça où ? Avec la complicité de qui ???
Tout le monde a les yeux sur le fer. C’est juste l’arbre qui cache la forêt ; les Chinois se feront des milliards de dollars ailleurs (sur l’exploitation de l’or, du chrome, du nickel et du cuivre de Lobe) et non sur le fer.
Le ministre des Mines a déclaré tout récemment que le permis de recherche a été délivré au Chinois en 2008 ;
Donc ça fait 14 ans que les Chinois travaillent sur ce projet ;
M. le ministre pendant tout ce temps qu’est-ce que les Chinois ont fait concrètement ??
Quelle géophysique aéroportée?
Quelle cartographie?
Quelles galeries et leur échantillonnage ?
Combien de mètres de sondage carottés et sur quelle grille?
Où sont stockés les échantillons témoins que normalement les Chinois doivent mettre à la disposition du ministère
L’enrichissement pilote a été fait où ?? En Chine ou au Cameroun ?
Le code minier camerounais demande à tout opérateur qui fait de la recherche de soumettre chaque année un rapport d’activités (dans lequel on retrouve les parties techniques et financières). M. le ministre, où sont ces rapports (au moins 7 rapports, car c’est en 2015 que les Chinois font la demande de permis d’exploitation)? Peut-on les consulter ?
Dans le code minier camerounais, pour qu’un permis de recherche soit transformé en permis d’exploitation, il faut non seulement certifier les réserves mais il faut aussi produire une étude de faisabilité. Curieusement dans les documents en annexe de la convention minière, il n’y a que la certification des réserves, ou est passée l’étude de faisabilité????
Bref, les activités de sinosteel Cameroun sont entachées de beaucoup d’irrégularités et de tricheries. C’est le mode de fonctionnement des chinois et c’est de notre responsabilité en tant que camerounais d’attirer l’attention des autorités sur des manquements des opérateurs miniers qui exercent au Cameroun.
Je propose un audit total de ce projet par un cabinet international reconnu en la matière.
Le Gabon l’a fait en 2012 sur le gisement de fer de Belinga et les Chinois ont vu leur titre minier annulé.
Nous devons faire très attention avec les Chinois. Ils ne sont pas des enfants de chœur surtout dans le domaine des mines.
Aux Camerounais qui sont prêts à brader les ressources de leur pays pour leur intérêt personnel, les portes de la prison sont ouvertes pour eux.
Dr Youmssi Bareja