Dans les bourgades les plus reculées des environs de Garoua et dans certains quartiers peuplés d’autochtones, les murmures vont bon train à l’endroit du jeune monarque fraîchement élu à la tête de cette chefferie créée en 1810 par le Ardo Tayrou sous l’égide de l’appel au djihad d’Ousman dan Fodio depuis Sokoto au Nigéria voisin. A peine arrivée au trône, El Rachidini a d’abord ébranlé les membres de sa communauté en destituant l’imam de la grande mosquée de la ville de Garoua et en récupérant son fameux poste. Mais comme l’appétit du pouvoir vient en mangeant, son ambition démesurée le conduit dans les encablures de Pitoa où il a tenu presque un discours de guerre à l’endroit des chefs autochtones sans ne pas passer à des actes dignes de l’époque du djihad.
« En effet, témoigne un observateur, nous nous réjouissions de la venue d’un jeune à la tête du lamidat de Garoua. D’après nous, monsieur IBRAHIM EL RACHIDINI, le nouveau lamido de la ville de Garoua, incarnerait l’idéal de paix, de tolérance et d’ouverture pour une région du Nord résolument tournée vers la paix et la cohésion sociale, loin des velléités révisionnistes d’antan dictées par l’hégémonie peule. Nous avons sincèrement cru à sa capacité de fédérer les esprits et de redorer l’image du lamidalisme dans la région du Nord en vue de rendre cette instance traditionnelle suffisamment pétrie d’humanisme et de justice sociale. Nous étions ses principaux admirateurs d’ailleurs. Cependant, à peine quatre (04) mois passés à la tête de la chefferie de Garoua, les pleurs et les grincements de dents fusent de toute part ».
Parmi ses faits d’armes les plus marquants, figure son « expédition » digne de l’ancienne époque des conquêtes et des razzias, qu’il a menée au début du mois d’août 2021 envers ses cibles que sont les « Fali » de l’arrondissement de Pitoa qui n’est d’ailleurs pas dans son territoire de commandement d’. Là-bas, il les a réunis pour leur tenir un discours teinté de menaces et d’intimidations. Dans ses subtilités langagières, il est allé jusqu’à réveiller des démons endormis tels que les périodes atroces du djihad et des conquêtes islamo-peules en taxant toutes les autres tribus d’allogènes. En effet, dans une vidéo plusieurs fois partagée dans les réseaux sociaux, on peut l’entendre dire en langue fulfuldé : « a fotay a maha sare goddo fere wara wala. Nanowo nana » pour signifier : « Tu ne peux pas construire une maison et quelqu’un vient y habiter. Comprenne qui comprendra. » D’après lui, ils (les Peuls) seraient les bâtisseurs de la région du Nord, et que par ce fait, il aurait la légitimité de dominer et de régner sur les autres communautés telles que les Fali. S’il fallait procéder par un tel raisonnement, que diraient les Allemands et les Français, qui, malgré leur apport considérable à la construction du Cameroun, ont accepté que le Cameroun accède à l’indépendance ? Son expédition ne s’est d’ailleurs pas limitée dans une simple furie verbale, mais il a, de connivence avec les forces de maintien de l’ordre, procédé le même jour, à la destitution de monsieur Halidou, chef de quartier Sékandé dans la ville de Pitoa tout en rappelant aux uns et aux autres qu’ils subiront le même traitement au cas où ils tenteraient de s’opposer à ses ordres.
Pour ce qui est des Fali, il faut rappeler qu’il n’y a pas d’hostilité récente ouverte entre eux et la chefferie peule de Garoua, ce d’autant qu’il y a eu des séries d’alliances desquelles sont nées de personnalités respectables mêmes à l’échelle internationale. Jusqu’à une époque récente, les rapports entre le lamidat de Garoua et les Fali ont toujours été relativement bons, et tout différend était réglé de manière pacifique et non par des menaces et des injures comme ce qui se passe aujourd’hui.
Un autre fait, rapporté par le journal L’Oeil du Sahel du 06 août 2021 est relatif à une scène de bastonnade que le monarque de Garoua aurait administrée à un certain Bouba Bémi, chef de quartier Ngalbidjé 3. Celui-ci aurait été reproché de procéder aux ventes frauduleuses de terrains tout comme le chef de quartier Sékandé à Pitoa. Des pratiques qui tranchent nettement avec les articles 27, 29 et 30 du Décret No 77/245 du 15 juillet 1977 portant organisation des chefferies traditionnelles au Cameroun en matière de mesures disciplinaires qui devraient être prises à l’encontre d’un chef traditionnel indélicat. D’après ce même journal, de tels agissements malencontreux ont été perpétrés contre d’autres chefs de 3e degré de la ville de Garoua.
En outre, une instruction portée par Yérima Guébaké (un poste de notabilité de l’époque du djihad que le lamido de Garoua a réhabilité aux environs de Pitoa), exigerait aux chefs traditionnels de 3e degré de débourser chacun une somme de deux cent mille (200 000) francs CFA pour les lawans et cent cinquante mille (150 000) francs CFA pour les djaoros en vue du renouvellement de leurs turbans, et dont le délai de paiement est fixé au 30 septembre 2021. Cette instruction qui n’est autre chose qu’une scène d’escroquerie organisée ne saurait prospérer dans un pays républicain comme le Cameroun. Ce d’autant plus qu’aucun texte n’a prévu le port du turban pour un chef traditionnel encore moins son renouvellement pour le moment. (Cf. Art. 26 du Décret No 77/245 du 15 juillet 1977 portant organisation des chefferies traditionnelles au Cameroun). Ce dernier (Yérima Guébaké) en plus a pris l’habitude de brimer les lawans et djaoros à travers des appels téléphoniques en leur rappelant qu’il est leur hiérarchie locale. Si les chefs traditionnels de ces localités n’ont pas osé dénoncer ces abus, c’est juste par peur de représailles compte tenu des menaces qui leur ont été brandis par le lamido de Garoua et Yérima Guébaké. « Nous avons peur. Il est capitaine de l’armée et il peut bien nous tirer dessus », martèle un lawan sous cap, à l’idée de porter l’affaire auprès des autorités compétentes.
Du côté du nouveau monarque de Garoua, les subterfuges se tissent au jour le jour, allant des simples allégeances que les chefs autochtones devraient lui faire jusqu’au renouvellement du turban moyennant chacun une somme de 200 000 F CFA pour les lawans et 150 000 F CFA pour les djaoros. Le délais d’acquittement du montant est fixé au 30 septembre 2021, délais de rigueur, nous apprend une source digne. Passé ce délai, ils verront de quel bois il se chauffe. Car, selon lui, il est leur supérieur hiérarchique et ses ordres ne sont pas discutables. Approché sur cette question, un ancien commis de l’État réagit en ces termes : « ces agissements constituent des atteintes graves à l’égalité de tous les Camerounais comme prévu par la constitution et son préambule, et une violation des textes qui régissent l’organisation administrative et sociale de notre pays. Par ailleurs, le fait de vouloir institutionnaliser une pratique ou un mode vestimentaire propre à la culture peule comme accoutrement pouvant consacrer le statut de chef traditionnel relève d’un abus de pouvoir incontestable et inacceptable dans la mesure où ces populations, chacune en ce qui la concerne, ont une façon d’honorer leurs chefs. Ainsi, vouloir imposer un mode vestimentaire autre n’est qu’une atteinte à la liberté individuelle et culturelle de certains chefs traditionnels qui ne sont pas de confession musulmane et de l’ethnie peule. Tout au moins, cette initiative devrait émaner de l’autorité administrative et non d’une tierce personne n’ayant aucune compétence en la matière ».
En attendant que le gouverneur de la région du Nord, les Préfets et Sous-Préfets se penchent sur la résurgence des pratiques moyenâgeuses telles que les conquêtes et les razzias dans la région du Nord, les autochtones de cette partie du Cameroun ont encore leurs yeux pour pleurer face à la fureur gratuite et indécente d’un jeune chef traditionnel qui s’arroge le droit de tout usurper pour marquer sa légitimité et sa domination sur les populations les plus démunies.
Bindowo Alexis et Richard Atimniraye Nyelade, auteurs de “Lamidalisme, colonialisme, esclavage et génocide des Autochtones au nord Cameroun : aux confins de l’expérience cachée des “Fali”.