Par ces temps de démondialisation, une proposition de loi en France qui vise à stimuler le rôle des diasporas aux côtés de leur pays d’origine, c’est politiquement faire preuve de bravoure…et de sens des réalités africaines ! Ebranlée par la Covid-19, l’Afrique est déjà financièrement aux urgences ; la dépression des transferts d’argent (baisse moyenne de 20% en 2020 selon la Banque Mondiale) pilonne durement l’équilibre de nos pays et bouleverse le quotidien de millions de familles africaines dépendantes de cette aide.
Aussi, la proposition d’une loi dite « bi-bancarisation » par la députée française d’origine sénégalaise, Sira Sylla, a le mérite de reposer avec calme et inventivité les enjeux du codéveloppement via et par les diasporas…dans cette France qui n’assume pas d’être le pays hors d’Afrique (et à l’exception des USA) qui compte le plus d’africains sur son sol (10 millions d’individus) ! Et donc une richesse, un avantage concurrentiel…
Dans un post succinct sur LinkedIn daté du 15 juillet, la députée française nous fait savoir qu’elle attend de sa proposition de loi qu’elle booste la bibancarisation entre la France et les pays d’origine, par l’activation de ces deux leviers principaux : « l’assouplissement des modalités d’accès au marché français pour les banques africaines et l’élargissement des produits commercialisables ». Une bibancarisation vertueuse qui permettrait selon elle :
- Réduction du coût des transferts,
- Participation à la lutte contre le blanchiment et terrorisme.
- Pérennisation des transferts d’argent vitaux au financement des pays en développement. (notamment avec un crédit d’impôts…)
Certes la bibancarisation qui se définit par la double relation bancaire dans le pays d’accueil (ou de naissance) et le pays d’origine est un axe stratégique et structurant du lien économique avec le pays d’origine mais est-elle la voie la plus directe pour faire baisser les coûts des transferts et à posteriori stabiliser voire augmenter les flux financiers diasporiques par ces temps d’urgence ? Si l’Afrique est hélas la destination la plus chère du monde en termes de transferts d’argent, c’est davantage la conséquence de positions oligopolistiques sur ce marché et donc du manque de concurrence ! D’ailleurs, les corridors les moins onéreux au monde (Amérique et Asie) émanent des écosystèmes qui font jouer la plus grande intensité concurrentielle et surtout les plus « fintech friendly »…
Vers moins de barrières à l’entrée pour l’implantation des banques africaines en France !
Il faut saluer le front ouvert par la loi qui se propose d’alléger les barrières réglementaires privant les banques africaines d’une présence commerciale de proximité en France et de pouvoir y collecter de l’épargne. Et il est regrettable que du fait de ce barrage, à l’exception du Maroc dont le modèle est historiquement ancré, rares soient les banques africaines à être dotées aujourd’hui d’un réseau commercial en France à la hauteur du potentiel de leur diaspora. Mais garde aussi à l’illusion qu’en assouplissant les conditions d’entrée, les agences bancaires africaines pousseront automatiquement comme des champignons ! A l’exception des banques de l’habitat, les banques africaines seront confrontées à de sérieux problèmes de modèle et de taille du marché car hors contingents des sans-papiers, seulement quatre pays africains (Algérie, Maroc, Tunisie, Sénégal) dépassent le seuil du demi-million en nombre de concitoyens en France… avec selon les communautés, de 60 à 90% d’ouvriers, d’emplois informels et/ou précaires… ! D’où l’idée qui me parait intéressante d’autoriser les banques africaines à exercer légalement en France selon une présence digitale (et physique moindre) à l’instar des établissements de monnaie électronique dans certains pays de la CDEAO, ce qui engendrerait des coûts d’implantation et d’exploitation allégés !
Surtout, la grande erreur serait de considérer que le premier frein à la bibancarisation des diasporas soit aujourd’hui d’ordre réglementaire. Il est tout autant culturel et structurel avec du côté des banques françaises et autres acteurs de l’écosystème, un certain prisme du client africain et un déficit d’intégration des diasporas dans des stratégies restées profondément conservatrices quand elles ne traduisent pas une vision stigmatisante de l’Afrique ! Par exemple, qu’est ce qui empêche aujourd’hui une banque en France d’accorder des prêts hypothécaires pour financer une acquisition dans un pays africain où elle dispose déjà d’une filiale ? Ces prêts transnationaux aux conditions financières françaises seraient assurément beaucoup plus avantageux pour le client et sont techniquement viables puisque l’hypothèque peut être prise par la filiale de la banque dans le pays d’acquisition. L’immobilier (résidence secondaire, investissement locatif…) répondant à un besoin clé des diasporas, nous avons là un puissant levier de codeveloppement « win-win » avec à la clé un gisement additionnel pour les banques françaises, de précieuses rentrées de devises pour les banques du pays d’origine et des promoteurs immobiliers qui retrouveraient le sourire…
Le vrai levier pour mobiliser la diaspora : la digitalisation
Enfin, pour capitaliser sur le volontarisme de cette loi et impacter davantage sur le système, pourquoi ne pas pousser plus largement à l’émergence d’un nouvel écosystème digital centré sur les néo-besoins des diasporas en tant qu’acteurs assumés du codeveloppement ? Avec à la clé, un nouvel univers d’offres transnationales (« bibancarisation », fintech et autres) où tout le monde y gagnerait (France et pays d’origine), parrainé par des champions français déjà présents en Afrique (Orange, Free, startups…), organisé en mode « sandbox » pour faire remonter toutes les difficultés (réglementaires, techniques…) et les traiter aussitôt. En quelque sorte, une année digitale de l’Afrique et des diasporas en France sous forme de concours fintech ouverts aux talents de la diaspora et autres.
Et cela est peut-être la meilleure stratégie d’anticipation vers ceux nombreux en France à considérer que l’argent envoyé par les migrants africains (soit 0,43% du PIB) pour aider leurs familles et leur pays d’origine, est un préjudice voire une marque de déloyauté à la France. Des vents et esprits contraires qui ne manqueront pas de s’embraser quand le temps politique d’examen de cette loi arrivera…
Par Samir Bouzidi, Ethnomarketer spécialiste des diasporas africaines. CEO Impact Diaspora