Rappelons juste que cet homme qui a lourdement échoué n’avait rien demandé. Il n’avait strictement aucune ambition. Il faisait exactement ce que les patrons lui demandaient de faire. Il n’avait jamais été candidat à aucun mandat électif même pas chef de classe. En quelques jours son patron lui a appris qu’il serait Président de la République. Il n’en avait ni l’envie, ni le projet, ni le rêve. Devenu président par la seule volonté d’un autre, il a hérité d’un pays dont le « père fondateur » le fascinait. 2 ans plus tard son mentor a voulu le renverser et il s’est rendu compte que l’Etat qu’il avait créé était suffisamment institutionnalisé pour résister aux caprices du « père ». Vivre avec l’idée que l’homme qu’il admirait le plus est celui contre lequel il devait bâtir son renouveau est sans doute le premier grand traumatisme de cet homme qui était sans histoire et sans aspérité. Sans ambition non plus. Il s’agrippe à l’héritage d’un fantôme qui le hante et prolonge l’imposture de la réunion de Foumban et la galéjade du 20 mai. Il avait les moyens et la « légitimité » de réinventer le Cameroun. La création du RDPC à Bamenda était l’occasion de relancer un projet phare. Il est resté enfermé dans le logiciel de son mentor dans un monde en pleine mutation. Cet homme qui n’aurait pas fait de mal à une mouche est devenu la statue virtuelle d’un pays mirage qui crépite sous les balles. Il était simple et discret. Secret et docile. Il a fallu que l’homme qui faisait ce qu’on lui demandait d’effectuer devienne celui qui oriente, pense, dirige, invente et organise. Bref celui qui gouverne. Sans ambition ontologique c’est difficile. Alors, il est devenu « le meilleur élève de Franćois Mitterand ». Cherche Maître désespérément. Alors sans chef à qui se soumettre il suit le vent, au gré des circonstances : France, Chine, FMI, Banque mondiale, etc. Sur place, il choisit avec une grande précision ceux qui n’ont pas de vision. Et si ces derniers commencent à en avoir ils sont neutralisés.
Pour diriger un pays il faut y avoir penser, s’y être préparé, aimer les débats, prendre du plaisir à convaincre. S’imposer. En 2008, il a dit à un journaliste français qu’il n’avait pas besoin de parler car, disait-il, « seuls les actes comptent ». Alors il signe des décrets. Et encore des décrets. Ce sont ses « actes ».
C’est l’histoire d’un homme dont les amis étaient originaires de toutes les régions du Cameroun et qui a été choisi par son « père politique » justement parce qu’il n’avait aucune attache tribale, aucun « fief politique ». Il dirige 38 ans plus tard un pays rongé par le tribalisme. C’est l’histoire d’un homme sans ambition qui dirige sans ambition un pays qui s’enfonce du fait de manquer d’ambition.
Pour diriger un pays il faut l’avoir voulu, il faut l’avoir souhaité. C’est l’histoire d’un homme paisible qui est devenu le premier citoyen d’un pays où l’on tue tous les jours des hommes, des femmes, des enfants, des militaires, des civils.
C’est l’histoire d’un malentendu congénital.
Il était jeune, il était frais, il était sensible à « la rigueur » et « la moralisation ». Il dirige un des pays les plus corrompus du monde. Il était jeune et sportif et traversait Yaoundé avec ses amis le dimanche en vélo de course. Le dimanche soir, alors qu’il était déjà Premier ministre, il allait assisté à la dernière séance de cinéma au Capitole. Seul.
Il n’avait rien demandé. Nous savons ce que ça coûte de n’avoir pas d’envie, pas d’ambition.
Il a jeté sa soutane aux orties et il a endossé le costume trop grand trop lourd d’un pays phare que la crise des années 80 allait frapper en même temps qu’il devait survivre au cauchemar de son
ancien maître. Nous savons à présent que tout cela fut trop lourd à porter. Alors, il s’accroche à ce qu’il pense être inscrit dans le marbre de ses souvenirs : l’héritage ambigu du maître qui voulut le tuer.
Il mourra au pouvoir. Ce qui est une autre manière de ne pas penser et de rien décider de nouveau.
Il n’avait rien demandé…
Pr. FRED EBOKO