

(texte)
La Commission Macron sur l’Histoire du Cameroun est une supercherie qui cherche à re-habiliter l’image de la France)
de Soany Pougala
La jeunesse africaine s’oppose à la distorsion du devoir de mémoire !
Les pays africains sont nés dans le sang et la violence. C’est une réalité historique que le temps n’effacera jamais.
Si nous sommes aujourd’hui libres, si nous pouvons aujourd’hui vanter notre indépendance et rêver de notre émancipation, c’est parce que nos ancêtres sont morts pour nous.
Nos grand-parents et nos parents ont souffert d’atroces cruautés de la part de nos bourreaux afin de donner une chance à leurs enfants de sourire. Ils ont fait face à la répression, la torture, les camps de concentration et les massacres afin d’offrir à leur descendance un semblant de liberté.
Nos prédécesseurs ont refusé les promesses creuses et les pitoyables consolations que les colons ont tenté de leur offrir pour les amadouer. Ils ont refusé l’esclavage et ont bravé les plus vicieuses campagnes de terreur pour ne crier qu’une seule phrase :
« L’indépendance ou la mort ! ».
L’Afrique d’aujourd’hui, aussi meurtrie et affaiblie soit-elle, est le résultat du combat inlassable d’un siècle au cours duquel nos révolutionnaires ont lutté contre l’oppression et la tyrannie coloniale.
Comment pouvons-nous alors expliquer qu’aujourd’hui, nos propres chefs d’Etats refusent d’honorer leur mémoire et au contraire, laissent à nos bourreaux la liberté de choisir comment définir notre propre histoire ?
Le 21 Janvier 2025, une nouvelle humiliante nous parvient depuis le palais de l’Elysée, à Paris. Une commission pluridisciplinaire franco-camerounaise, nommée commission Duclert, a remis un rapport au président Emmanuel Macron au sujet du « rôle et l’engagement de la France au Cameroun dans la lutte contre les mouvements indépendantistes et d’opposition entre 1945 et 1971 ».
L’objectif de ce rapport serait pour les membres de cette commission de déterminer quel était le « rôle » de la France durant les répressions indépendantistes au Cameroun.
Ce rapport, seulement après avoir été consulté par Macron, sera par la suite remis au président camerounais Paul Biya, selon le journal français Jeune Afrique.
Ce rapport concerne la période de répression violente engagée par la France contre les révolutionnaires indépendantistes camerounais.
En effet, pendant la deuxième moitié du XXème siècle, la France a poursuivi au Cameroun une violente répression contre le mouvement indépendantiste camerounais, lui-même mené par le parti de l’Union des Populations du Cameroun (UPC).
Afin de mettre un terme à la révolution anti-coloniale et nationaliste qui faisait rage, la France a instauré au Cameroun un régime colonial totalitaire.
L’Etat français a imposé un système de surveillance de masse afin de traquer, torturer ou tuer les dissidents au régime, puis a poursuivi la répression politique et le massacre de tous ceux suspectés comme étant des indépendantistes.
Quand il s’avérait évident que les révolutionnaires ne reculeraient pas, la France a finalement orchestré en pays bamiléké un génocide qui arracha la vie d’au moins plusieurs centaines de milliers de Camerounais.
Même face à de telles atrocités, les indépendantistes, traqués et tués inlassablement, n’ont jamais cessé de combattre l’oppression française, et celle-ci, à contrecœur, a accordé au Cameroun une prétention d’indépendance afin d’apaiser l’esprit révolutionnaire des populations.
Cependant, la France ne s’est jamais excusée pour ses crimes. En réalité, elle ne les a même jamais nommés. L’appellation « génocide » ou « massacre » n’est jamais sortie de la bouche d’un président français pour qualifier les atrocités commises par leur régime au Cameroun, de même que les mots « excuses » ou « pardon ».
La France faisant maintenant face à une jeunesse africaine de plus en plus hostile à son arrogance, mais désespérée d’embellir son image auprès des Africains, a donc annoncé en 2022 un projet proposant d’ouvrir une enquête sur ses crimes de violence qu’elle a jusqu’ici pourtant ignorés.
Cet agissement, prétend-t-elle, est l’opportunité de bâtir la fondation d’une meilleure relation entre France et Afrique, et de laisser les vieilles hostilités et ressentiments derrière nous.
Lors d’une conférence de presse à Yaoundé organisée en 2022 par le président français Emmanuel Macron, des intellectuels camerounais et français se sont adressés tour à tour pour discuter de l’avenir de la France-Afrique.
L’historienne française Karine Ramondy, chercheuse à l’université de la Sorbonne en Etudes Africaines, annonce alors une série de « propositions concrètes » à l’établissement de meilleures relations franco-africaines, notamment :
« […] la création d’une commission pluridisciplinaire conjointe, composée d’acteurs internationaux, historiens chercheurs, artistes, écrivains, cinéastes ; impulsée par le Conseil pour le suivi des recommandations du nouveau sommet Afrique-France, qui devra s’appuyer sur les laboratoires de recherche existants. »
« Elle devra travailler à l’identification, à la collection et à la préservation des archives écrites et orales nécessaires à l’écriture d’une histoire commune. Elle devra aussi travailler à l’identification et à la valorisation de lieux de mémoire, y compris les lieux de répression, de réhabiliter les figures emblématiques, sans oublier les figures emblématiques féminines, des résistances et des luttes des indépendances. »
Le discours paraît si mielleux qu’il est tentant qu’un esprit naïf souhaite croire en la bonne volonté française et de la part de nos intellectuels et dirigeants dans la poursuite d’un tel projet.
Pourtant, il ne faut pas faire d’erreur. Ce projet n’est que la tentative à peine masquée d’enterrer une bonne fois pour toute la gravité de la guerre sanglante du Cameroun, et d’en exonérer à fort prix ses commanditaires.
1) EN 65 ANS D’INDEPENDANCE, IL N’YA JAMAIS EU AU CAMEROUN D’ENQUETE SUR LA GUERRE D’INDEPENDANCE
Le Cameroun a été forgé par sa guerre d’indépendance. Sans cette guerre, et sans les braves révolutionnaires qui l’ont menée, il est juste de dire que nous serions probablement encore une colonie aujourd’hui.
Comment un pays dont l’histoire entière repose sur sa colonisation et la violente révolution qui l’en a libéré, ne peut-il a aucun moment de son histoire avoir cherché à écrire sur papier les évènements qui l’ont formé ?
A la fin de la présidence d’Ahidjo, qui a été responsable pour avoir collaboré avec la France dans la persécution des indépendantistes et des populations Bamiléké, la première action du nouveau gouvernement aurait dû être la mise en place d’un comité d’historiens camerounais cherchant à récolter les témoignages de tous les survivants et de tous les accusés afin de mettre en place un système d’archives.
Ce comité d’historiens aurait dû servir à construire la version officielle du gouvernement de l’histoire du Cameroun, et permettre à ce que cette version serve de balise dans la construction de notre nation.
Après avoir enquêté sur le nombre total de morts estimés par les autorités camerounaises, notre gouvernement aurait dû aller réclamer aux autorités françaises des excuses aussi bien que des réparations pour l’inestimable pertes de vies qu’elle a causées pendant trois décennies.
Il n’y aurait pas dû avoir une seule école primaire, aucun collège, aucun lycée au Cameroun où ne sont pas enseignés les noms de nos héros, les dates de leurs combats, de leurs morts, leurs discours et leurs textes, la signification de leur lutte.
Comment pouvons-nous rester fiers de nous-mêmes en sachant que nous avons tellement dédaigné nos héros, que nous n’avons même pas écrit leurs noms sur une seule plaque sur un seul mur !
Que nous avons complètement négligé leur histoire au point à ce que jusqu’aujourd’hui, il n’existe que deux ouvrages l’enquêtant en détail : Kamerun ! (2010) et La guerre du Cameroun (2016), et que chaque ouvrage a été fait sous la direction d’historiens français ?
Comment pouvons-nous nous prétendre dignes de leurs sacrifices, alors qu’il faut attendre la France, la responsable du crime, pour en étudier l’étendue ?
Existe-t-il une façon plus cruelle de souiller nos morts ?
Non !
2) LE CAMEROUN CONTINUE DE TRAITER LA COLONISATION COMME UN HASARD DE L’HISTOIRE
Qu’est-ce qu’un pays si ce n’est son histoire ?
La France elle-même a construit son archipel national à l’image de la révolution française qu’elle a menée pourtant il y a déjà deux siècles. Son hymne national est un cri de guerre contre ceux qui oseraient défier la volonté française.
Chaque année, le 14 juillet, les Français célèbrent en tant que peuple le jour où leurs ancêtres sont allés envahir un des symboles les plus emblématiques de leur oppression : la prison de la Bastille, qui en son sein détenait nombreux paysans et révolutionnaires français.
Le Cameroun, pourtant, a échoué à son devoir de mémoire. Notre pays est pratiquement amnésique !
Le jour de l’indépendance ne correspond à aucune fête ou célébration. Il est traité comme une journée parmi tant d’autres.
Notre hymne national a été écrit par un prêtre français avant l’indépendance, et parle d’obéissance, de paix et de travail, les valeurs idéales pour les colonisés.
La résidence présidentielle Camerounaise, le palais de l’Unité, a été dessiné par un architecte français du nom de Olivier-Clément Cacoub. Cet architecte était un grand proche de Jacques Chirac, qui, en tant que président de la République Française, a fièrement défendu la colonisation française et la Françafrique.
En 2005, le gouvernement Chirac a proposé une loi qui devait introduire dans toutes les écoles de France, l’étude du « rôle positif » de la colonisation française pour l’Afrique.
Ce même architecte, proche donc d’un fier partisan de la colonisation française, est également l’architecte du palais présidentiel de Gbadolite en RDC et de Yamoussoukro en Côte d’Ivoire.
Pas un seul nom de rue, pas un nom de place, pas une brique n’a été dédiée à la commémoration de nos héros.
Pire, nos rues et nos écoles, comme le lycée général Leclerc à Yaoundé ou l’avenue Charles de Gaulle à Douala, portent les noms des tyrans qui ont brutalisé notre peuple !
Nos politiciens autant que nos intellectuels bafouent notre histoire comme un malheureux détail qu’il nous est possible d’oublier.
Qu’en est-il donc de nos livres d’histoire ?
La plupart sont publiés par des maisons d’éditions françaises comme Hachette, et se permettent donc de survoler les événements qui ont façonné notre pays afin de ne pas criminaliser l’image de nos colons, la France et le Royaume-Uni.
Pendant ce temps, qu’en est-il d’autres pays aux passés tragiques comme les nôtres ?
Devant chaque mairie et école publique française, une statue intitulée « à nos héros » porte les noms de plusieurs soldats morts au cours de la première et de la seconde guerre mondiale.
Bien sûr, aucun nom africain : ce sont les Français qui commémorent leurs héros à eux, pas les esclaves dont ils se sont servis pour mourir à leur place.
Le Royaume-Uni en fait de même.
Et L’Allemagne ?
Au-delà des innombrables musées destinés à l’exposition des cruautés commises envers les populations juives et autres victimes du régime nazi, l’Allemagne a placé de nombreuses statues, instauré des noms de rues, financé la publication de livres, de films et de documentaires pour qu’aucune génération ne puisse oublier ou renier les crimes commis en son nom. Et comme l’Allemagne sait que cela ne sera pas assez, qu’il y aura toujours ceux qui voudront réécrire l’histoire à leur manière, elle instaure une loi qui fait du déni de l’holocauste un crime, de même que l’utilisation des symboles nazis.
En Chine, dans chaque ville envahie par les Japonais, il existe un musée pour raconter l’histoire de l’occupation de cette ville, ainsi que des combats qui se sont suivis pour l’en libérer.
Aucun détail n’est épargné. A Harbin, ville située au Nord-Est de la Chine, proche de la frontière avec la Russie, j’ai eu la chance de visiter les musées de la ville.
Parmi eux, le musée « Unité 731 », où sont exposés en grand détail tous les mécanismes de torture et expériences inhumaines que les Japonais ont utilisé contre les Chinois.
Tous les rapports, confessions, outils utilisés, tous les moindres indices et détails sont minutieusement exposés. Des statues sont faites simplement pour répliquer les scènes de cruauté humaine, et les touristes peuvent se balader le long de couloirs similaires à ceux où on enfermait les Chinois torturés.
Pourquoi le font-ils ?
Parce qu’il faut que les Chinois voient ce qui a été fait à leurs ancêtres. Il faut qu’ils voient la souffrance, qu’ils comprennent sa profondeur, et même s’ils ne pourront – et ne devraient – jamais eux-mêmes la vivre, il est de leur mission, de leur devoir de s’en rappeler.
Ainsi, ils ne pourront jamais prendre leur liberté et leur pays comme acquis, car quelqu’un est mort dans d’atroces souffrances pour les protéger.
C’est leur responsabilité envers les défunts, c’est ce qu’on appelle le devoir de mémoire.
De tels mémoriels existent un peu partout dans le pays : on trouve des mémoriels aussi bien dans des grands musées importants que dans des gares.
A la fin du musée, on laisse des cahiers blancs où chacun peut prendre un stylo afin d’écrire sa reconnaissance envers les sacrifices de ces prédécesseurs, et leur tristesse face à la douleur qu’ils ont dû traverser.
Mais en Afrique, l’Europe nous a dit que le devoir de mémoire, c’était la « repentance perpétuelle », qu’il fallait passer à autre chose, arrêter de pleurer nos morts, et nous avons écouté !
Nous chantons des hymnes qui n’ont aucun rapport avec ce que nous avons vécu, nous marchons dans des rues qui n’ont pas été nommées par nous, nous parlons dans une langue qui n’est pas la nôtre.
Mais malgré ça, nous disons aimer notre pays, dont le nom donné par les colons européens est une humiliation en lui-même (le Pays des crevettes !).
La France nous dit que ça c’est le vrai nationalisme ! Que c’est l’oubli et le pardon.
Et elle nous demande de hocher la tête, d’accepter.
Et si elle le fait, c’est bien parce que la France cherche à se dédouaner de toute culpabilité, car elle a passé la seconde moitié du vingtième siècle à se construire l’image d’une nation libératrice du totalitarisme nazi, alors qu’elle a poursuivi en même temps le totalitarisme colonial dans ses colonies !
3) QUELLE LEGITIMITE A LE BOURREAU POUR PARLER DE LA SOUFFRANCE DE SA VICTIME ? AUCUNE !
Si les participants de cette mascarade ont jusqu’ici utilisé des euphémismes pour en dissimuler la vraie nature, il faut bien s’en rendre compte.
L’objectif de cette commission n’est rien d’autre que l’opportunité pour la France de réécrire son passé de puissance coloniale totalitaire, afin de n’avoir jamais à en payer les frais, aussi bien symboliques que matériaux.
Il est vrai que jusqu’ici, le Cameroun est coupable d’avoir bafoué sa propre histoire et d’avoir refusé d’entreprendre le travail de mémoire qui lui avait été confié.
Il n’en reste qu’il faut soit être naïf, soit être malhonnête pour penser que la France, après avoir pendant des décennies refusé toutes les preuves compilées par les rares travaux de recherche sur la guerre au Cameroun, ait soudainement décidé de se racheter par le biais de ce projet.
Lorsqu’il est venu au Cameroun annoncer en 2022 la création d’une telle commission, Macron déclarait en même temps que « la France restera résolument engagée pour la sécurité du continent, en appui et à la demande, de nos partenaires africains ».
En d’autres termes, Macron venait défendre la perpétuation de l’interférence française dans les affaires politiques africaines, 60 ans après les indépendances, dans un contexte où la grande majorité des Africains demande l’expulsion des troupes françaises de leurs territoires.
C’est donc dans une tentative de ressaisir l’autorité et l’influence de la France en Afrique que Macron, dans une arrogance classiquement française, a proposé aux Africains la création d’un comité franco-camerounais comme on jetterait des os à des chiens affamés.
Quelle légitimité a le bourreau pour enquêter si oui ou non, il a véritablement tourmenté sa victime ? Comment bourreau et victime peuvent-ils ensemble se mettre d’accord sur la gravité de la blessure sans qu’il y ait conflit d’intérêts ?
La Chine a-t-elle attendu que le Japon donne son avis sur la gravité des crimes japonais avant de publier sa version de l’histoire ?
Les nazis ont-ils offert de travailler avec les Juifs pour rétablir « ce qui s’est réellement passé » ?
Le fait est qu’une commission franco-camerounaise existe simplement pour que la France puisse enfin offrir sa version officielle des faits.
Ainsi, elle pourra se dédouaner de l’apathie qu’elle a jusqu’ici montré envers la situation : elle trouvera sûrement un léger crime pour lequel elle plaidera coupable, afin de se faire pardonner les plus graves accusations qu’elle pourra maintenant se permettre d’ignorer.
Si dans le futur, des Camerounais verront la supercherie et demanderont une nouvelle enquête, la France pourra se défendre en déclarant que des historiens camerounais, ainsi que des membres du gouvernement camerounais, ont également participé à la commission et ont donné leur accord sur le verdict final !
Toute tentative de rétablir la vérité sera balayée d’un revers de la main comme une attaque injuste envers la France par des Africains qui continuent de vivre dans le passé.
Cette bêtise n’est donc pas simplement la bêtise de quelques individus. Elle concerne notre devoir de mémoire à tous, et met en péril la mémoire nationale de notre pays, en réécrivant l’histoire pour faire du tyran un innocent !
Pour ceux qui doutent de cette analyse, répondez-donc : pourquoi la Commission s’appelle-t-elle Commission Duclert ?
Pourquoi ne pas la nommer Commission Moumié, ou Um Nyobé, ou s’il fallait un historien camerounais, Commission Tatsitsa, en honneur à l’un des rares historiens camerounais qui a travaillé sur la formulation d’un tableau complet de la guerre du Cameroun ?
Non, il fallait que la commission s’appelle Duclert, en hommage à l’historien français qui a enquêté sur le génocide des Tutsis au Rwanda et au génocide des Arméniens.
C’est le même historien qui, à la demande de Macron, a présidé la Commission française d’historiens sur le rôle de la France au Rwanda de 2019 à 2021.
Verdict final de cette commission ?
La France a commis quelques erreurs, mais non, elle n’a aucune responsabilité dans le génocide rwandais.
Donc le Rwanda peut cesser de l’embêter et de demander quelconques réparations que ce soit, car la France ne lui doit absolument rien.
4) LE BOURREAU ET LA VICTIME N’ONT COMME DESTINEE COMMUNE QUE LA CORDE DE LA PENDAISON
Les pays impérialistes agiront toujours contre l’intérêt des pays exploités. Il ne faut donc pas être surpris de cette tentative flagrante en plein jour de la France de réinventer l’histoire de sa colonisation afin de ne pas faire face à ses crimes.
Cependant, il faut aussi se rendre compte que s’il n’y avait pas, à chaque tournant, des Africains prêts à la soutenir dans chacune de ses manipulations, la France aurait aujourd’hui en Afrique très peu de champ pour agir.
Il faut donc aussi reprocher à ces intellectuels africains qui, sans se poser de questions, ont répondu à l’appel de Macron et ont participé à la confection d’un rapport qui ne sert qu’à minimiser les violences françaises réalisées au Cameroun.
Se sont-ils même demandés pourquoi leur rapport devait d’abord être présenté au Président français avant le Président camerounais, et pas l’inverse ou bien aux deux en même temps ?
En lisant les déclarations de chaque participant africain dans l’entourage de Macron, il est très simple de comprendre pourquoi chacun a été choisi.
Ainsi, l’avocat camerounais Jacques Jonathan Nyemb, décrit l’histoire de la France au Cameroun en ces propos :
« Excellences, Mesdames et Messieurs, qu’on s’en souvienne, à l’appel du 18 juin 1940 du Général De GAULLE, le Cameroun a été parmi les premiers territoires à rallier la France libre. De nombreux jeunes Camerounais ont versé leur sang pour la reconquête et la libération de la France. Moins de deux décennies plus tard, dès 1955, c’est au tour de plusieurs jeunes militants progressistes français de porter la voix des leaders camerounais pour la cause de l’indépendance et de la réunification du Cameroun. Ainsi, unis par une histoire parfois douloureuse, mais inexorablement appelés à partager un destin commun, les jeunesses camerounaises et françaises ont toujours su s’engager ensemble avec audace, courage et espérance, lorsque la sécurité collective est menacée.”
Il est difficile pour moi, en tant que jeune camerounaise de 22 ans, de faire sens de ces propos.
Il est difficile pour moi de comprendre comment des Camerounais, consciemment ou par ignorance, peuvent-ils faire le choix de détruire à ce point la mémoire de nos révolutionnaires, et de travailler contre tout ce pour quoi ils se sont battus.
Les Camerounais se sont battus contre la France. Les Camerounais se sont battus également contre leurs frères africains, les Sénégalais, utilisés par la France comme des chiens de chasse pour maintenir en ordre chacune de ses colonies. Ce sont les
Camerounais qui ont versé leur sang. Ce sont les Camerounais qui n’avaient même plus suffisamment de terre pour enterrer leurs enfants.
Ce sont les Camerounais qui ont souffert pour ce pays, qui ont été pendus, fusillés, torturés, violés…!
Parce qu’ils ont simplement espéré pour un avenir meilleur pour nous, les générations d’après.
Comment peut-on aujourd’hui mentir et les effacer de leur propre histoire, tout ça pour mettre en valeur ces prétendus “militants progressistes français” , qui auraient supposément aidé l’indépendance du Cameroun ?
Les Camerounais qui se sont battus pour la “libération de la France” étaient des colonisés que le maître a envoyé mourir sur les lignes de front pour épargner le sang de ses fils. Ils n’étaient pas des frères qui ont choisi de se sacrifier ; ils étaient des énièmes victimes dans le sillonage sanglant de l’Empire Français.
En mettant en avant ces supposés militants français, l’objectif est clair : prétendre à la réciprocité.
Des centaines de milliers d’Africains sont morts pour la France, et en échange, la France les a aidés !
C’est ce qu’on appelle le révisionnisme historique.
En échange d’avoir libéré la France, Charles de Gaulle a assuré durant la Conférence de Brazzaville que jamais il ne libèrerait les colonies africaines.
En échange d’avoir libéré la France, Mitterrand a envoyé en Algérie des guillotines pour exécuter les indépendantistes rêvant de la même liberté.
En échange d’avoir libéré la France, la France refuse toujours aujourd’hui d’ouvrir les archives sur notre propre histoire afin de nous permettre de correctement pleurer nos morts et leur offrir l’hommage qu’ils méritent.
Qui sont ces prétendus militants progressistes français ?
La France aime toujours mettre en avant le bref soutien du Parti Communiste Français envers les mouvements anti-colonialistes africains, comme si le PCF représentait la pensée ou l’action de l’Etat.
La France aime toujours faire oublier, cependant, que dès que le PCF en 1956 devint le premier parti gouvernemental français, il vota pour une réforme donnant à l’administration coloniale algérienne les pleins pouvoirs afin d’annéantir la révolution algérienne en cours. Les détails de cette “trahison” sont développés dans le livre
“L’Afrique D’abord”, par Thomas Deltombe, à partir de la page 214.
La France utilise les intellectuels africains comme des marionnettes pour répéter inlassablement la même phrase “destinée commune”.
La France et l’Afrique ont une histoire commune, nous dit Macron, nous dit Hollande, nous dit Sarkozy, nous disaient également Chirac et Mitterand, et rien ne saurait les séparer.
Mais les présidents français tiennent-ils un tel discours au Vietnam ? Au Laos ?
Qu’est-ce qui unit la France et l’Afrique mise à part la relation de maître et esclave de la colonisation ?
Qu’est-ce qui fait que l’Afrique, selon tous ces intellectuels souvent sortis des plus prestigieuses universités parisiennes, serait une sorte de jumelle siamoise avec celui qui l’a brutalisée pendant des siècles ?
Les Etats-Unis ont-ils une destinée inséparable avec le Royaume-Uni ?
La Chine a-t-elle une destinée inséparable avec le Japon ?
Le Vietnam a-t-il une destinée inséparable avec la France ?
La Serbie a-t-elle une destinée inséparable avec l’Empire Ottoman ?
Pourtant tous étaient des pays colonisés par l’autre. Pourquoi cette phrase ne s’applique qu’à l’Afrique ?
Car ce qui attache la France à l’Afrique, ce sont les liens coloniaux.
Ce sont ces liens coloniaux qui font que l’Afrique parle français, anglais et portugais, qu’elle utilise une monnaie coloniale et prie aux dieux de ses colons.
Mais ces liens ne sont pas inséparables. Et nous ne voulons pas qu’ils soient inséparables.
Nous vendre une image d’une France et d’une Afrique éternellement liées, c’est nous vendre une colonisation qui ne s’interrompra jamais.
Nous refusons ! Nous disons non !
La jeunesse africaine en a assez de voir des gens qui n’ont pas les intérêts de nos pays à cœur parler en son nom.
Si tous ces intellectuels Camerounais voulaient honorer la mémoire de nos ancêtres qui sont morts pour qu’ils puissent aujourd’hui vivre libres, ils auraient dû parler avant.
Plutôt, ils ont choisi de se taire, et ce n’est que quand le maître a eu besoin de les utiliser comme masques pour cacher ses intentions qu’ils se sont pressés d’agir.
Aux endroits où nous aurions dû ériger les statues de nos héros, trônent les statues de ceux qui les ont massacrés. Mais on nous dit que la France va travailler à “valoriser les lieux de mémoire” et « rendre hommage aux figures emblématiques » !
Quelle mauvaise blague !
Les Africains qui ont choisi de participer à une telle farce ne parlent ni au nom de l’Afrique, ni au nom du Cameroun. Ils parlent au nom d’eux-mêmes.
Ils ne représentent pas nos pays, pas notre peuple, et certainement pas notre jeunesse !
A la jeunesse africaine : écrivez-tout. Ecrivez les témoignages de vos parents, de vos grands-parents s’ils sont encore là.
Ne laissez pas leurs souvenirs mourir avec eux.
Ne laissez pas ceux qui nous tourmentent écrire notre histoire à notre place.
Tenez un journal, et marquez le toujours d’une date et de votre nom.
Les souvenirs vacillent en une nuit, mais l’encre peut survivre pendant des siècles.
C’est-à-nous de respecter le devoir de mémoire qui nous a été confié.
Nous refusons de répéter les erreurs de ceux qui nous précèdent.
La jeunesse africaine dit non !
Soany Pougala
Pékin le 26 Janvier 2025