Prologue
J’arpente le bitume défoncé de ce tronçon de la souffrance et de l’esclavage centenaires. Je
regarde ces bayam sélam hagards, assises, les pieds tendus, entre fruits et légumes. Un silence
de douleur extenuée. Elles ont tellement pleuré quelles dansent maintenant, dans une posture
inhabituelle ; les fesses trainant au sol humide, balançant les hanches. ‘Massasa’, la danse
sawa, la danse de la mort…
…Mort sans préavis, on ne l’a pas vu partir. Inhumé dans les plus brefs délais, nous n’avons
pas eu le temps de le pleurer à l’africaine. On se serait cru devant une dépouille
embarrassante. Ni Moumie, ni Ouandie ni Um Nyobe. Pek était inénarrable. En ces temps
troubles, le Covid 19 a bon dos. Faut-il alors craindre pour tout jeune qui ose se dresser contre
le nouvel ordre ?
…je m’assoie sur une pierre de fortune devant une véranda lépreuse ou les gens se baignent de
misère avec obstination. Derrière moi les cases sont alignées, lugubres. 30 ans, 40 ans dans
ces minis cités de deux pièces. En planches et sans peinture.
Ils ont été recrutés jeunes, robustes. Ils ont pris femme et élèvent une brigade d’enfants qui
grandissant dans cette promiscuité, sont recrutés après une scolarité sommaire, dans les
plantations de bananes.
…Combien sont-ils par foyer ? 5 ou 6 ou 10 ? Les parents occupent l’unique chambre, avec 1
ou 2 petits derniers. Les ainés sont agglutinés au salon-cuisine, comme des sardines
frétillantes sur les feuilles de bananiers…
L’esclavage! Ces travailleurs sont religieusement tondus: Des salaires de misère ; des soins de
santé sommaires… à leur compte ; la tuberculose ; les infections pulmonaires héritées de
l’épandage par avion des insecticides pour protéger les saintes bananes qui rapportent des
milliards sur le marché international. Interdit de gouter aux fruits maudits, sinon c’est la
prison…
La mère de PEK y est passée au temps d’Ahidjo pour avoir refusée de céder ses champs
destinés aux futures plantations. Suivi de Paul Eric qui avait ramené ce fief politique de l’Upc
et ensuite du Sdf au …Rdpc. Pour le remercier, le pouvoir le jeta en prison. Il parlait trop ! Il
revendiquait le payement des impôts locaux pour le bien être des populations. Mais la toute
puissante multinationale qui nourri les pontes du régime l’a broyé comme un comprimé de
paracétamol qu’elle distribue pour soigner les infections…
Mais du haut de ses dix ans, le ‘messie’ avait jurée entre les interstices des barreaux où sa
mère pleurait dans le noir, de devenir un jour ‘criminologue’ et de la venger. Il deviendra
homme politique. Maire…
Le messie de Njombe-Penja était donc revenu, ressuscité ! Pour poursuivre le combat pour la
justice sociale. Maintenant il en est mort…
Aujourd’hui orphelins, les populations de Njombe-Penja, mais aussi de toutes ces contrées qui
réclament justice pour le juste prix de la pouzzolane, pour l’or, pour le coton, pour le café,
pour le cacao… Ces populations sont foutues. Le temps de reconstruire ce pays dans 50 ans
au moins, il ne leur restera que la peau sur les os, si elles survivent aux pandémies.
…12ème enfant d’une famille de 12 enfants, son père était gardien de nuit et sa mère
cultivatrice qui, pour améliorer le quotidien, vendait les beignets de maïs le soir à Penja. Son
père est décédé alors qu’il a 7 ans. Les champs familiaux sont arrachés à sa mère parce que le
gouvernement Ahidjo envisageait de créer une société de bananeraies qui s’appellera
Organisation Camerounaise de la Banane (OCB).
Dès le bas âge, PEK est déjà un révolté, car il ne supporte pas de voir sa mère dans une
cellule…Devenu adulte, cet écorché vif réclame les fruits de la croissance pour tous
confisquées par la multinationale des bananes. On le jette en prison.
Déjà, à l’université, il voulait organiser un festival de musique universitaire. L’Unesco est mis
dans la confidence et débloque 150 millions CFA. Les ministres se bousculent au portillon
pour lui arracher ce pactole. Choqué, l’Unesco retire ses billes. De guerre lasse l’étudiant, par
un pur hasard propose le projet à l’université de Pretoria dont l’adresse est piquée dans jeune
Afrique. Pretoria accepte de discuter du projet et lui envoie un billet d’avion. Le Fils de
cultivatrice et de gardien de nuit embarque pour l’Afrique du sud…
« Nous vous avons fait venir parce que votre projet va nous permettre de fédérer dans un
festival, les noirs, les blancs, les métis ». La première édition du Festival Interuniversitaire des
arts et de la culture (Fuac) aura lieu en Juin 1995 sous la présidence de Nelson Mandela…
…Retour au Cameroun. L’Afrique du sud le nomme représentant de La South Africa Trade
organisation (Sato) créée en 1996 avec pour mission de sensibiliser les entreprises
camerounaises sur les opportunités qu’offre l’Afrique du Sud. Pek officie 7 ans à la Sato
avant de démissionner et devenir importateur de salons en cuir sud-africain. Une autre
histoire…
Epilogue
…Devenu prospère, il entre en politique, se fait élire maire de Njombe-Penja et fini
en…prison. Le 8 février 2008, Paul-Eric Kingué est arrêté à son domicile et traduit en justice.
La peine du tribunal sera lourde: la réclusion à perpétuité. Près de huit ans plus tard, après un
long et pénible processus judiciaire derrière les barreaux, la Cour suprême annule le jugement.
Libre ? Pas pour longtemps. Arrêté au début de l’année dans le cadre des marches blanches
organisée par le MRC, il repart au ‘Ngata’ pour un deuxième tour de neuf mois et libéré le 5
octobre 2019, il reprend sous haute lutte son fauteuil de maire, met en route un projet de
logement sociaux ; ouvre une chaîne de télévision axée sur l’éducation et… meurt
lamentablement d’une maladie mystérieuse.
La mort est le seul adversaire qui aura réussi à mettre son dos à terre…
A Man! Now we you don change position, nobi mboko I don boumboula saï by saï?
Edouard Kingue