Le retour d’une lectrice française occidentale Il est clair qu’à la lecture du livre de Pierre E. Moukoko : « Relations Afrique France: les gâchis français, Plaidoyer pour un changement de paradigme dans la politique africaine de la France. », en tant que française n’ayant jamais été en Afrique et de culture occidentale, on se doute des injustices faites depuis des siècles aux Africains. Si on est honnête, oui on le sait. On l’a en conscience. L’esclavage est à peine abordé dans les manuels scolaires à l’école,(les camps de concentration le sont beaucoup plus) et la politique à sens unique depuis Jacques Foccart encore moins. J’avoue ne pas m’être penchée sur la question non plus pendant des années car les sujets de mes conversations et mes préoccupations étaient aussi de l’ordre de ma survie et de mon mal être personnel à apaiser. On ne vit pas forcément bien en France même quand on est autochtone. Je suis née au Havre. Dans mon quartier, nous cohabitions entre Marocains, Tunisiens, Algériens, Sénégalais et Français autochtones. J’ai grandis avec cette diversité et encore aujourd’hui je ne conçois pas ma vie sans cette cohabitation, sans les Africains. Elle m’a aidé à me construire et à vivre mon sentiment de différence avec même beaucoup de bonheur. La culture, les langues, les odeurs de cuisine et les autres façons de vivre, de faire, de s’exprimer sont devenues primordiales pour cultiver un esprit ouvert au monde. Je ne conçois pas ma vie sans, mais le dialogue de partage est parfois compliqué voir même impossible pour les plus en colère. Les dialogues avec mes camarades de classe restaient très succincts. Pas par manque d’enthousiasme mais par sentiment inconscient qu’il fallait rester séparés, chacun de son côté.
Il est donc clair qu’en lisant l’ouvrage admirable de Pierre Moukoko et aujourd’hui avec les manifestations de plus en plus exprimées du droit au respect et à la dignité, que l’éducation enseignée en France reste imprégnée de ce passé colonialiste et ce sentiment de supériorité arrogant et infondé parfois encore à l’état inconscient. Qu’aujourd’hui encore, un Africain est considéré comme inférieur comme si c’était dans la nature et surtout quelqu’un « à problèmes ». Je me considère de la génération « touches pas à mon pote » d’Harlem Désir car cette campagne a été ma première prise de conscience.
Pourquoi ce livre a autant d’impact sur moi? Parce qu’il me donne les éléments de compréhension à une colère de plus en plus présente et légitime. Oui, il fallait bien s’attendre à un retour. Cette même attitude arrogante, brutale et humiliante que j’ai parfois reçue à l’école et devant laquelle je devais faire profil bas parfois à l’école, se confirme aussi en Afrique. Oui, l’histoire individuelle et personnelle interagit avec l’Histoire de la communauté humaine. Il y aura toujours du politique dans son histoire individuelle et dans son quotidien. S’il y a les gilets jaunes, la manifestation de personnel soignants et une demande de justice pour Adama Traoré en même temps, ce n’est pas le fruit du hasard. C’est que la France se complaît à traiter ses concitoyens Français et Africains francophones comme des gamins. Avec évidemment plus de brutalité et d’injustice pour les Africains car avec eux bien sûr, les autorités pensent se permettre d’avoir le « geste large ».C’était devenu compliqué pour ma part de faire avec du mépris à l’école car j’étais considérée comme élève moyenne voir parfois irrécupérable. Je n’ai donc jamais oublié les rires, l’insouciance et parfois la complicité que je pouvais avoir avec mes camarades de classe face à un jugement sentencieux nous disant que nous étions sans avenir. Je suis donc partie en Europe de L’Est, faire des études en Anglais. La première personne à qui je suis allée parler le plus naturellement du monde était une étudiante Seychelloise. Elle représentait un repère. On se promenait dans la ville de Budapest, et arrivées au contrôle de titres de transport dans le métro, il arrivait que je me dispute avec les contrôleurs, indignée de cette suspicion systématique dont mon amie écopait. Je n’ai pas eu non plus de traitement de faveur de la part de l’administration hongroise quand j’ai dû faire mon permis de séjour pour étudier. C’était avant que la Hongrie rejoigne l’Union Européenne. J’ai donc fait la queue à 08h00 du matin dans un commissariat de quartier avec les Chinois et j’ai eu le droit au même geste méprisant d’une employée ne parlant pas un mot d’anglais et me glissant avec nonchalance sans mot dire la liste des pièces justificatives à fournir écrite en hongrois. Bon…Le retour en France a été de constater l’ignorance sans complexe parfois rencontrée dans le cadre de la poursuite d’études. De me retrouver face à des personnes ne voulant pas admettre leur inculture. Je pensais à ma grand-mère revenue de camps de concentration en Allemagne et se confrontant au déni. On ne voulait pas savoir l’horreur non plus. Et bien quand on me parle de brutalité, de dignité humaine plus que bafouée et rouée de coups jusqu’à la mort, je l’entends dans toute ma chaire.
La légitimité, la dignité humaine et l’avancée de la conscience ne peuvent se faire sans les changements politiques nécessaires permettant un bien vivre et bien être ensemble. L’économie sert au bien-être, non à dorer un blason et entretenir les apparences pour les privilèges d’une minorité. Tout ça se sent au quotidien plus que jamais. Les Africains sont l’exemple à suivre pour les Français. Il s’agit d’un dialogue humain basé sur le respect mutuel. C’est encore une fois à redire et ce sera à redire inlassablement jusqu’à obtention.« (…) Ici, il me semble que les Blancs doivent apporter une dimension nouvelle en politique, c’est la délicatesse du cœur. Qu’on fasse très attention, il n’est pas question de sentimentalisme, mais d’une délicatesse dans les rapports avec des hommes qui n’ont pas les mêmes droits (…) »« (…) Il est bien vrai que les Noirs et les Blancs ont à combler un fossé de mépris de 400 ans et d’une histoire falsifiée. Une prétendue supériorité était du côté des Blancs, mais les Blancs ne se doutaient pas qu’ils étaient observés, en silence il est vrai. Cela, les radicaux répètent que tout le monde le sait, mais comme personne n’en tient compte, cela revient donc à dire que tout le monde agit en mentant. C’est donc au Blancs d’entreprendre la compréhension des Noirs, et, je le répète, cela ne peut se faire que dans la délicatesse des rapports, quand les Blancs et les Noirs décident en commun une action politique – révolutionnaires (…) »« (…) Jusqu’à présent, les Noirs ne trouvaient chez les Blancs que deux moyens d’expression: la domination brutale, ou le paternalisme distant, et un peu méprisant. Il faut chercher une autre voie. Celle que j’ai indiqué en est une (…) »« (…) Ce que l’on nomme la civilisation américaine disparaîtra. Elle est déjà morte car elle est fondée sur le mépris. Par exemple, le mépris des Blancs pour les Noirs, etc. Toute civilisation fondée sur le mépris doit nécessairement disparaître. Et je ne parle pas du mépris en termes de morale, mais en terme de fonction: je veux dire que le mépris comme institution, contient son propre dissolvant, et le dissolvant de ce qu’il engendre(…) »Ces quatre extraits de « May Day Speech » de Jean Genet ne sont-ils pas encore d’actualité?
La situation aux Etats-Unis et la politique Française en Afrique n’ont-elles pas ce point commun: le mépris de l’homme Africain? Et même si ce texte date du 1er mai 1970, n’est-il toujours pas d’actualité? Ne peut-on pas voir enfin « Blanc » et « Noir » comme les diversités de notre monde? Ce qui est sûr c’est que l’indépendance de tous les pays Africains francophone doit être revue, et réellement faite et que tous les privilèges de la France: Franc CFA, achat de matières premières au prix juste et sans exclusivité, retrait des militaires français et arrêt de fricotage/arrangement avec les véreux locaux, effacement de soi-disant dettes (n’a-t-on nous cette dette de l’esclavage?) donnerait ce réel bien être au quotidien. Que les Africains souhaitant venir en France ait un accueil digne et à la hauteur de leur considération pour la culture française : culture devant rester secondaire et complémentaire de leur belle culture Africaine. Quand enseignera-t-on les langues africaines et les créoles en France? Pourquoi ne le fait-on pas? Cela tomberait sous le sens de se donner ce réel échange culturel et davantage de force, non? Et ma dernière interrogation: jusqu’à quand la mauvaise politique et le déni vont s’inviter dans l’intimité d’un couple pour mieux y installer la discorde? Je pose ça là avec mes lacunes et mes expériences personnelles car ce qui compte au fond est de rester dans ce perpétuel dialogue, cette perpétuelle envie d’apprendre de l’autre et cette liberté de pouvoir s’aimer sans que ce passé vienne gâcher cette énergie qui ne demande qu’à sortir. Gaël Cadiou , le 22 janvier 2021