Edito
Nous avons assisté, depuis une quinzaine de jours, à un éveil des consciences coordonnées des femmes et des hommes émus par l’assassinat de Georges Floyd aux Etats-Unis. Mais cet éveil soudain ne trahit-il pas nos lâchetés et nos manquements face à un terrorisme structuré des grandes puissances qui reprennent à leur compte la révolte toujours étouffée des faibles, des minorités et des pauvres ?
Combien de fois avons-nous dénoncé les affres des guerres injustifiées que livrent les grandes puissances pour assoir leur domination ? La mort en direct de George Floyd n’est qu’un épisode parmi les crimes du pouvoir que l’État couvre et justifie dans une société cyniquement divisée par la couleur de la peau et du rang social. Un pouvoir qui jouit d’une impunité totale.
Mais ne soyons pas dupes. Le monde n’est pas près de changer. Il refoule seulement un mal soigneusement entretenu par une oligarchie au-dessus des lois. La mort de Georges Floyd n’est que le reflet d’une société malade, indigente et sclérosée par des siècles d’une injustice normalisée et acceptée par les dominés. Nous avons intégré en nous, consciemment ou pas, l’injustice. Nous sommes convaincus qu’un monde meilleur ne peut exister.
Les élans de solidarité auxquelles nous assistons ne sauraient masquer nos échecs collectifs et les lendemains qui déchantent. Le monde s’est montré solidaire. Mais, pour combien de temps ? Le ballon de l’espoir qui a survolé nos cieux retombera aussi vite. Le racisme, l’injustice et la discrimination sont solidement ancrés dans les antichambres des dirigeants du monde et de leurs maitres argentiers à qui profite le crime.
« Si tous les gars du monde décidaient d’être copains »
Ce refrain n’a pas pris une ride. Mais, à l’écouter aujourd’hui, nous avons l’impression que le monde navigue à contre-sens. La barbarie est toujours là. Elle épouse des formes multiples pour être aux avant-postes et imposer des lois implicites et scélérates qui régissent le monde.
Le monde des puissants a-t-il la volonté de réduire les inégalités ? J’en doute. Ils livrent aux plus faibles le rêve, la religion, l’illusion, l’espoir et un paradis étriqué. Car la mort, cette fin de soi, ne peut être qu’un paradigme de repos où l’injustice n’a pas sa place. Dans cette acceptation du terme, Georges Floyd doit être heureux à présent. Il est soulagé et libéré.
Voilà le paradis que nous offre ceux qui nous dirigent et qui trouvent que la terre est trop étroite pour partager ses richesses. L’éclectisme n’a aucun sens pour ces avortons. Pour eux, seul compte l’accumulation des richesses et la domination des faibles.
La mort de Georges Floyd ne changera pas le monde. C’est un coup d’épée dans l’eau. C’est pourquoi les esprits vifs doivent passer à l’action. Celle-ci n’est possible qu’avec une mobilisation permanente de ceux qui se sentent opprimés et de tous ceux qui épousent un combat permanent pour les droits élémentaires et la justice pour tous.
La lutte pour l’égalité est un droit fondamental. Il interpelle toutes les races, toutes les communautés, toutes les couches sociales. Il doit mobiliser tout le monde pour qu’il n’y ait plus d’autres Georges Floyd, d’autres indiens, d’autres amérindiens, d’autres Rohingyas, d’autres aborigènes…
La mobilisation doit être permanente pour conscientiser les esprits faibles qui ne jouissent de leurs droits élémentaires pour dire non à l’injustice étatisée. Non, notre siècle ne mérite pas les bavures qui l’entachent. Nous devons nous mobiliser pour chanter en cœur « Si tous les gars du monde décidaient d’être copains ». Car sans la pression de la rue, rien ne bougera.
L’Afrique absente des rendez-vous de l’histoire
Qui ne se souvient des chefs d’États africains qui battaient le pavé au lendemain du drame de Charly Hebdo ? Ils pavoisaient sur les belles avenues, en France, derrière les pancartes « Je suis Charlie », pour plaire à leurs maitres occidentaux. Ils ont brillé par leur absence aux cours des manifestations de soutien à George Floyd.
Ce silence n’est pas seulement coupable. Il est l’expression d’un continent gouvernés par des satrapes despotiques. Ont-ils encore la confiance de leur peuple ? Certainement pas. Ceci explique leur silence coupable.
En cette période agitée et ténébreuse dénoncée par les violences des forces de l’ordre à travers le monde, une autre colère est venue assombrir le lourd passif des journalistes morts sous la torture au Cameroun. Notre confrère anglophone, Samuel Wazizi, a tragiquement quitté la scène médiatique. Il est mort en détention et rejoint la longue liste des crimes ordinaire du régime.
L’annonce faite par les autorités est inqualifiable. Samuel Wazizi serait mort depuis le 17 août 2019, c’est-à-dire, quatre jours après son transfert à Yaoundé. Sa famille, ses confrères et ses amis ont attendu dix mois pour que les autorités s’expliquent. À qui profite ce nouveau crime d’État ?
Par Michel Lobé Étamé
Journaliste