Devenue la première puissance économique d’Afrique en s’appuyant sur ses efforts et son dynamisme propres, le Nigeria poursuit inexorablement son chemin vers le progrès et entame désormais la reconquête de sa liberté et de sa souveraineté vis-à-vis des puissances extérieures et des multinationales pétrolières qui avaient trop pris leurs aises dans ce pays. Le défi que relève sans tambour ni trompette ce géant africain, que beaucoup négligeaient il y a encore une décennie, n’est pas pour plaire aux promoteurs de l’afro-pessimisme et des préjugés sur l’Afrique Noire. D’ailleurs, la couverture médiatique « internationale » des élections, présidentielle, législative et sénatoriale du 23 février dernier l’illustre bien. L’ensemble des médias occidentaux présents ou non sur le terrain ont ignoré l’essentiel des préoccupations des Nigérians, lors de ces élections, et n’ont retenu que des détails de « dysfonctionnements » et les « incidents », parfois graves, survenus pendant la campagne ou le jour même du vote. Certes, tous les points négatifs nécessitant des corrections méritent d’être soulignés mais ils ne sauraient constituer l’enjeu principal de ce scrutin. Pour de nombreux Nigérians, le plus important était de choisir un dirigeant -ayant une politique claire- capable de redresser le pays et proposant des perspectives d’avenir moins angoissantes. Voilà ce qui hantait les Nigérians qui ont voté pour l’un des soixante-treize candidats en lice.
1-Le choix d’une politique claire Parmi tous les postulants au fauteuil présidentiel, les Nigérians ont plébiscité le chef de l’État sortant, Muhammadu Buhari, qui a obtenu 56 % des suffrages contre 44% pour son principal challenger Atiku Abubakar. C’est entre ces deux hommes que s’est réellement joué le scrutin et le destin du Nigeria pour les prochaines années. Le premier, considéré comme le champion de la lutte contre la corruption qui gangrène l’Afrique et le Nigeria depuis des décennies, partait avec un léger avantage pour son bilan satisfaisant en faveur de la moralisation de la vie publique et de la lutte contre le terrorisme de Boko-Haram. Ils sont nombreux à reconnaître objectivement qu’il a obtenu, depuis 2015, de bons résultats sur la sécurité et la lutte contre la corruption dans son pays. En revanche, une partie de l’élite nigériane et certains milieux d’affaires occidentaux lui reprochent d’être sinon l’auteur de la récession économique en 2016 du moins celui qui freinerait la relance économique et l’investissement étranger. Le second, Atiku Abubakar, ancien vice-président du Nigeria, homme d’affaires controversé et réputé corrompu, avait, lui aussi un léger avantage non pas à l’intérieur mais à l’extérieur du Nigeria. En effet, il a bénéficié du soutien des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de certaines multinationales occidentales qui voyaient en lui l’homme « providentiel » qui allait redresser l’économie du pays et réduire le chômage. Atiku Abubakar avait effectivement fait la promotion dans son programme aux accents de Donald Trump intitulé « my plan to get’s Nigeria working again », de la construction d’une « économie de rêve ». Au fond, entre les deux candidats, il y a deux visions du Nigeria : celle du président Buhari qui, bien qu’ouvert aux investissements extérieurs, refuse la soumission totale et sans condition au diktat des grandes puissances et des multinationales et celle de son rival Atiku Abubakar qui souhaite ouvrir grandement ou presque les portes du Nigeria à ces dernières, sans avoir la garantie que cette ouverture évitera la destruction de l’économie ou des emplois du pays ni qu’elle n’entravera l’action des entrepreneurs nigérians désireux de créer, eux-aussi, des emplois et des richesses dans leur propre pays. Les Nigérians avaient donc à trancher entre la consolidation d’une politique, certes critiquable mais efficace pour justifier sa place de première puissance économique continentale et le mirage d’un développement économique et social fondé sur la primauté des financements et des acteurs extérieurs dont les résultats restent invisibles dans tout le continent. Depuis son arrivée au pouvoir, le président Buhari a constaté que les multinationales du pétrole ne payaient pas toujours leurs impôts au Nigeria alors qu’elles gagnent des centaines de milliards de dollars en pompant continuellement le pétrole nigérian. Pour mettre un terme à cette situation préjudiciable, le service de recouvrement de la compagnie nationale Nigerian National Petroleum Corporation a adressé un courrier aux différentes compagnies pétrolières de la place, en particulier Shell, Chevron, Exxon Mobil, Total, Equinor et ENI, pour qu’elles payent, toutes, leurs arriérés d’impôts à l’État du Nigeria dont les montants oscillent entre 2,5 à 5 milliards de dollars. Les autorités nigérianes espéraient ainsi récupérer près de 20 milliards de dollars pour développer la situation de l’emploi et améliorer la vie de leurs populations. Le moins qu’on puisse dire est que toutes ces compagnies pétrolières, habituées à la corruption des régimes politiques africains, n’ont pas apprécié que les responsables nigérians leur demandent de se conformer à la loi fiscale du pays. Plusieurs enquêtes sur les affaires de corruption impliquant ces compagnies au Nigeria sont en cours en Italie, en Hollande et aux Etats-Unis. Mais elles agissent comme si les demandes des autorités nigérianes étaient ridicules et sans fondement. La sulfureuse banque britannique HSBC, connue pour ses scandales de blanchiment et d’aide à la fraude fiscale, s’est sentie, elle aussi, mal à l’aise devant ces initiatives des autorités nigérianes. Elle a préféré fermer ses bureaux au Nigeria. Il n’y a aucun doute que la ligne politique du président Buhari, réputé « incorruptible », ne fait pas l’affaire de certains Occidentaux, réfractaires au respect des règles et de la transparence en Afrique. Ce sont précisément ces derniers et leurs relais qui multiplient les récriminations et des déclarations d’hostilité envers le régime d’Abuja. Mais pour les Nigérians, cette politique est plutôt bonne pour leur pays et c’est à ce titre qu’ils ont voté majoritairement pour Muhammadu Buhari plutôt que pour Atiku Abubakar. Si les électeurs du Nord musulman ont été largement convaincus par le président sortant, ceux du Sud chrétien l’ont aussi été en partie alors que certains observateurs croyaient que Atiku Abubakar allait faire le plein des voix dans cette région.
2-Le choix de l’avenir Si les Nigérians ont voté pour une politique efficace affichant des objectifs précis, ils ont également voté pour l’avenir. Et l’avenir c’est aussi la jeunesse, c’est-à-dire la majorité de la population. Sur ce plan, les promesses de campagne du président Buhari sont ambitieuses : formation de 200 000 jeunes aux métiers de services, de loisirs et des nouvelles technologies, réhabilitation de 10 000 établissements scolaires et formation des enseignants pour répondre aux besoins pressants du pays. Du côté d’Atiku Abubakar, une déclaration résume à suffisance sa pensée sur les jeunes : « Je promets que 40% de mon gouvernement sera composé de jeunes. Mon ministre de la jeunesse aura moins de 30 ans. Si vous êtes dans cette catégorie, ce pourrait être vous! », avant d’ajouter : « Des taux d’imposition moins élevés et d’autres incitations seront données au secteur privé pour créer des emplois comme dans un monde civilisé ». La référence au « monde civilisé » semble renvoyer au discours des partisans de l’ultra-libéralisme ou du libre-échangisme occidental. Ce qui présupposerait que les Nigérians n’étant pas partie au « monde civilisé », il devrait donc s’en inspirer pour la création d’emplois. Cette perspective n’a pas trouvé d’échos dans la jeunesse nigériane qui constitue aujourd’hui, pour les moins de 25 ans, près de 60% de la population. A la différence de certains pays africains où le poids des entrepreneurs étrangers est plus important que celui des nationaux, c’est l’inverse au Nigeria. Ils représentent l’avenir dans la lutte contre le chômage de masse et sont écoutés et encouragés par le chef de l’État. ll faut se rappeler que ce sont des entrepreneurs nigérians de très haut niveau ainsi que le très influent syndicat Nigeria Labour Congress (NLC) qui ont suggéré et convaincu le président Buhari de ne pas signer l’accord de Libre-échange (ZLEC) rassemblant 44 pays africains au Rwanda, le 21 mars 2018. Leur analyse était simple… L’Union Européenne, ayant signé des accords bilatéraux avec le Maroc pour l’importation des produits européens en Afrique, essayait de profiter de ce nouvel accord pour inonder les pays africains car une fois arrivés au Maroc, tous ces produits faits en Europe obtiennent l’étiquette « made in Morocco ». Pour les dirigeants nigérians, cet accord de libre-échange serait un piège qui ne permet nullement la
protection des marchés africains ni des producteurs africains. Devant cette réalité, comment réussir la création de 15 millions de nouveaux emplois dans un pays et une sous-région ouverts à la concurrence sauvage ? Si ce traité de libre-échange venait à s’imposer comme le prévoient ses promoteurs, ce serait un jeu de massacre sans commune mesure avec les dégâts que produit déjà le libre-échangisme en Europe ou sur le continent américain. Prudents, les Nigérians ont choisi de ne pas compromettre leur avenir. En cela, ils n’ont ni la même lecture ni la même appréciation qu’une certaine presse occidentale des réalités de leur pays et le choix du président Muhammadu Buhari semble répondre à leurs préoccupations. L’avenir dira s’ils se sont trompés ou s’ils ont été perspicaces… Pour l’instant, ils sont les premiers de la classe dans tout le continent et l’humilité commanderait plutôt de saluer leur performance.
Charles ONANA Politologue